Circulaire de missions des professeurs documentalistes. Une simplification épistémologique préjudiciable

A lire le compte rendu de certains syndicats, la question épineuse de l’inclusion de la formation dans la politique documentaire ne semble pas avoir connu de modification lors de la réunion du GT le 26 janvier 2017. C’est d’autant plus problématique que ces organisations syndicales ne semblent pas s’en inquiéter quand, par ailleurs, cette réunion est annoncée comme étant la dernière avant la publication de la circulaire, attendue dans le courant du mois. Le SNES n’évoque pas ce point dans ce qui est présenté, certes, comme un pré compte-rendu, dont on peut espérer qu’un texte plus complet, à venir, aille plus loin. L’UNSA mentionne la politique documentaire pour dire qu’elle oriente les enjeux à l’échelle de l’EPLE en ce qui concerne notamment la formation des élèves en matière d’EMI ou d’info-documentation [sans] remettre en cause la liberté pédagogique du professeur documentaliste.

Nous lisons dans cette formulation une assimilation de l’EMI et de l’information documentation qui, d’un point de vue épistémologique, est en réalité difficilement compatible. Ce biais est aussi présent dans le texte de la circulaire où l’emploi de l’EMI, de l’information documentation, de la culture de l’information et des médias, de la culture et de la maîtrise de l’information ou encore de la culture informationnelle est fait de manière indifférenciée. Pourtant, ces différents « énoncés » ne recouvrent ni les mêmes savoirs, ni les mêmes approches, les conséquences de ces distinctions étant particulièrement lourdes rapportées à la politique documentaire.

Rappelons ici que la politique documentaire est un concept issu du monde des bibliothèques où la formation est d’essence méthodologique, limitée à une approche procédurale qui doit permettre aux usagers d’utiliser les outils mis à leur disposition. On va plus loin avec l’EMI dont l’approche transversale ne saurait être limitée à des compétences méthodologiques dès lors que l’on prétend assurer à chaque élève une connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle; une maitrise progressive de sa démarche d’information, de documentation; un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion. Quand bien même le référentiel EMI des programmes du cycle 4 vise des compétences, que d’aucun estimerait pouvoir limiter à l’utilisation d’outils, il est bien précisé que ces compétences doivent être réinvesties d’une année à l’autre selon les projets. Cette précision, que l’on retrouve dans le texte de la circulaire lorsqu’il est fait mention d’une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale, est importante dans la mesure où l’acquisition de compétences sous-tend l’acquisition de savoirs par les élèves, selon leur niveau. De fait, le transfert de contenus dits « substitutifs » dans la résolution d’un projet suppose de pouvoir convoquer des contenus dits « cumulatifs » selon la progressivité des apprentissages. Cette complémentarité dans l’association de la transférabilité à la progressivité est loin, très loin, d’une formation qui serait limitée à de la méthodologie. Si elle postule des connaissances procédurales, elle suppose aussi des connaissances déclaratives, métacognitives, stratégiques et des attitudes qui soient référées à la situation d’apprentissage pour laquelle sont convoqués des savoirs opératoires qui englobent des notions, info-documentaires pour le professeur documentaliste.

C’est a fortiori d’autant plus vrai avec l’information-documentation dont l’épistémologie renvoie aux Sciences de l’information et de la communication (SIC), à partir desquelles a été initiée une didactique (de l’information-documentation) qui, pour concerner les savoir-faire, intéresse aussi les dimensions assertoriques et apodictiques du savoir. Notons que le texte de la circulaire convoque cette référence aux SIC dans l’axe 1 qui concerne l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias. Il y a là une cohérence qui fait défaut dans l’axe 2 lorsqu’il est précisé de la politique documentaire qu’elle a pour objectif principal la réflexion et la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle. Il est profondément déconcertant de réduire la culture informationnelle au cadre de la politique documentaire, dont la formation, rappelons-le, est limitée à de la méthodologie. Pour reprendre la définition de la culture informationnelle de Yolande Maury, on retiendra au contraire toute la complexité de ce concept aux nuances importantes selon des acceptions de l’information, tantôt englobantes, organisatrices de ses différentes dimensions, tantôt opératoires, génératrices de lien, ces différentes approches ne s’excluant pas l’une de l’autre.

Le cadre de l’École n’est pas le cadre des bibliothèques, les finalités et le rapport aux savoirs étant différents. En incluant la formation dans la politique documentaire, on se donne pour cadre une aporie, ce que l’on ne peut défendre pour les élèves. Il est urgent pour les syndicats de se saisir et de défendre cette dimension épistémologique, présente dans le texte de la circulaire, mais réduite à une approche méthodologique simplificatrice quand, précisément, ce sont la complexification des dispositifs informationnels, médiatiques et numériques qui justifient la réécriture de la circulaire de missions des professeurs documentalistes.

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