L’éducation aux médias, perspectives canadiennes

Alors que vient de paraître la circulaire qui annonce la 24ème Semaine de la presse et des médias dans l’école (nous y reviendrons en son temps), je vous invite à traverser l’Atlantique pour nous intéresser à la Semaine éducation médias qui va se dérouler du 5 au 9 novembre au Canada. Le thème de cette année est « Le respect de la vie privée : ça compte« , appliqué à l’environnement numérique, ce qui caractérise ce dispositif mis en œuvre par l’organisme « Habilomédias » et la « Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants ». Vous apprécierez comme moi la complétude de genre.

Semaine éducation médias du 1 au 5 novembre 2010

A l’instar du CLEMI en France, la Semaine éducation médias se donne pour objectif de développer l’esprit critique des élèves du primaire (de 6 à 11 ans) et du secondaire (de 12 à 17 ans), mais aussi de former les « cybercitoyens » actifs et éclairés de demain. A cette fin, il s’agit « de développer leurs connaissances, leurs valeurs et toute une gamme d’habiletés de réflexion critiques, de communication et de gestion de l’information » (voir Liens pédagogiques). C’est à dire des connaissances, une éthique et des compétences selon un ordre qui a sans doute son importance… Parti pris (NDR). Pour cela, s’il est vrai que les systèmes scolaires canadien et français sont différents, les professeurs documentalistes que nous sommes pourraient se retrouver dans le paragraphe sur les « Technologies de l’information et des communications » de l’éducation aux médias en action. Du moins si l’on veut bien considérer que l’acquisition de savoir-faire procéduraux ne saurait être prééminente, comme c’est encore la tendance en France.

Matière d'ombre Creative Commons licence photo credit : unautreroman
Matière d’ombre Creative Commons licence photo credit : unautreroman

Afin de concrétiser ces réflexions de fond, dont les enjeux politiques et éducatifs sont majeurs, le site de la Semaine éducation médias propose de nombreuses ressources vers des publications en lien avec l’éducation aux médias. Par ailleurs, vous y trouverez des suggestions d’activités pédagogiques qui, pour n’être bien souvent que des pistes, n’en constituent pas moins un début pertinent pour qui envisage d’élaborer une séquence sur l’une des thématiques abordées : citoyenneté numérique et cybercitoyenneté, impact du numérique sur l’identité des jeunes, empreintes numériques…, développées aussi dans le calendrier des événements et les bulletins hebdomadaires.

Pour terminer, Cactus acide souhaite apporter sa modeste contribution à cette Semaine éducation médias avec ces quelques idées de séquences pédagogiques, en lien avec la thématique de cette année, que vous pouvez consulter ici, ici, ici, encore ici ou… .

Comment exercer une présence numérique assumée?

Après la publication d’une séquence en classe de 2nde sur l’Identité numérique il y a quelques semaines, voici une séquence pour la classe de 1ère baccalauréat professionnel qui poursuit l’objectif annoncé :  faire acquérir aux élèves  la notion de  présence numérique. Alors qu’en 2nde l’objectif visé était les deux premiers degrés de la pyramide de Louise Merzeau, en 1ère c’est le haut de la pyramide qui est visé : exercer une présence numérique en déposant des traces d’expression de soi et en anticipant une traçabilité de son activité sur le Web.

En concevant cette séquence, j’ai eu aussi en tête un article d’O. Le Deuff intitulé Le ka documentarisé paru en 2008 et lu il y a quelques temps déjà.  Dans cet article, O. Le Deuff expose comme l’un des objectifs de la  culture informationnelle celui de  former  à la « conscience de ses activités numériques, à l’identification du besoin de communication et au bon usage communicationnel. »

Comment parvenir donc à la gestion de ce double numérique, ainsi nommé Ka, constitué d’une identité passive (la traçabilité aveugle évoquée par Louise Merzeau et vue en classe de 2nde selon la progression ici proposée) et d’une identité active (la traçabilité assumée ou habitée, analysée par Louise Merzeau) ?

Mon hypothèse pour tenter de transposer ces théories est d’apprendre aux élèves :

  • à réfléchir à la notion de profil sur un Réseau social numérique professionnel : une forme d’expression de soi,
  • à déposer des traces en vue d’interactions souhaitées en faisant vivre un compte sur un Réseau social numérique professionnel (pour des raisons évidentes de protection de la vie privée des élèves, le compte utilisé est un compte collectif fictif créé pour la situation pédagogique),
  • à prendre conscience des enjeux économiques et sociaux de cet objet numérique qu’est un Réseau social numérique professionnel.

Plus que jamais, la compétence mise en avant dans cette situation d’apprentissage est celle de publication. Lire et écrire dans le contexte du numérique font appel à de nouvelles compétences. Savoir publier est sans aucun doute  la plus importante parce qu’elle permet d’atteindre les 3R de la culture informationnelle ainsi décrite par Alexandre Serres : le R de Réaliser, le R de Réfléchir, et le R de Résister.

 

Écrire une expression de soi sur un réseau social numérique professionnel c’est

  • identifier un besoin de communication,
  • faire usage d’un outil du web choisi en toute connaissance de cause (économie, choix d’architecture et de design du dispositif socio-technique de communication, place sur le marché, etc.),
  •  anticiper la traçabilité de sa présence en déposant des traces assumées.

 

 

 

La présence numérique : anticiper sa traçabilité

Inspirée de la séquence « Ma présence sur le Web : D’une identité numérique subie à une identité choisie » d’Angèle Stalder, cette séance d’une heure se veut être une alternative pour qui ne dispose pas de six heures pour traiter cette question. Conçue selon le principe d’une situation-problème, il s’agit d’aborder avec les élèves la notion de traces afférentes à nos activités sur le Web.

Japanese garden Artshooter

Les objectifs restent les mêmes, à savoir « aborder l’hypermnésie du Web » (traces intentionnelles ou pas),  « percevoir l’économie du Web » (profilage) et « développer une posture de prudence en publiant sur le Web ». Il va de soi que tel ou tel objectif sera privilégié selon la question-problème qui doit être adaptée au niveau des élèves. Pour reprendre les propositions d’Angèle Stalder, il doit pouvoir être proposé à des collégiens, à partir du cycle central, de formuler des hypothèses sur les propositions d’une célèbre librairie en ligne lorsque je m’y connecte, sur la localisation géographique proche de la ville où j’habite lors d’une requête météo ou encore sur les publicités qui me sont proposées et qui correspondent à des recherches récentes que j’ai pu faire. Exemples que l’on pourra éventuellement reprendre avec des lycéens mais auxquels il peut être préféré un questionnement sur les propositions de « Google » lorsque l’on commence à inscrire une requête dans le formulaire. Ou encore, pour aborder des réseaux familiers aux élèves, sur les « amis » que « Facebook » me propose et sur les suggestions que me fait « Twitter ».

La question-problème posée et les hypothèses d’explication formulées par les élèves, un second temps est consacré à la recherche de la réponse par les élèves réunis par groupe de deux. Afin de les guider, en particulier au collège, il peut être envisagé des ressources présélectionnées. A cet effet des sites comme celui de la CNIL ou Internet sans crainte proposent des contenus adaptés. En revanche les lycéens doivent pouvoir se passer de ces ressources, du moins dans un premier temps.

La phase de recherche terminée, les élèves sont rassemblés et les groupes (qui le souhaitent) présentent au reste de la classe leurs éléments de réponse qu’ils confrontent à l’hypothèse de départ. Il peut s’en suivre un échange avec les autres élèves, le but étant ici de travailler sur l’oral et la prise de parole argumentée. Pour terminer le professeur documentaliste, accompagné ou non d’un autre enseignant, apporte les compléments ou les rectifications au travail fourni par les élèves.

Au terme de cette séance l’évaluation peut donner lieu à une reformulation écrite sous la forme d’un questionnaire où seront confrontées les pratiques des élèves avant et après cette séance.  L’objectif étant ici, au delà du simple contrôle des acquis, de pousser les élèves à s’interroger sur leurs propres pratiques afin que commence à opérer, dans leur réflexion, une mise à distance.

De l’identité à la présence numérique

Quelles notions enseigner quand on enseigne l’identité numérique ? Comment faire pour, une fois le discours légitime des dangers d’Internet énoncé, aller au-delà et apprendre aux élèves à évoluer dans cet espace médiatique en exerçant une présence numérique assumée ? Comment conduire les élèves à l’acquisition d’une véritable culture informationnelle dont les objectifs sont de réussir à Réaliser, Réfléchir et Résister dans le contexte du numérique ?

La lecture des travaux de Louise Merzeau[1] a été pour moi éclairante. Avec le numérique, l’un des bouleversements majeurs à prendre en compte dans notre enseignement est la mémoire de nos activités sur le web et leurs enjeux sociétaux. Cette mémoire est une mémoire totale au point de pouvoir parler de l’hypermnésie du web. En effet, le web est devenu un vaste entrepôt de données dont beaucoup sont des données personnelles.

Toutes nos activités sur le web laissent  des traces, on parle aussi de traçabilité de l’individu qui est devenu une collection de traces. Certaines de ces traces sont intentionnelles (un mail, un commentaire, etc.), d’autres ne le sont pas. Elles sont techniques, automatiques (IP, cookies, navigation, requêtes) ou proviennent d’un tiers.

Par ailleurs, ces traces sont combinables par les grandes firmes : les données stockées, dupliquées, croisées par elles, forment alors des métadonnées qui permettent de profiler l’individu, on parle de redocumentarisation de l’individu.

Pour exemple, avec la géolocalisation :

  • les  données  sont la  longitude, la latitude, l’horaire et le nom du lieu
  • les métadonnées sont comportementales : quel lieu pour faire quoi ?

Autre exemple, celui  d’une recherche sur Google :

  • la donnée est la requête
  •  la métadonnée produite peut être, entre autres, l’historique de toutes les requêtes

Du fait de l’hypermnésie du web ci-dessus analysée, l’identité numérique doit se comprendre comme l’image de soi, l’expression de soi, qui intègre désormais tous les comportements, tous les usages du numérique qui sont enregistrés. Nous sommes « une collections de traces qu’on ne maîtrise pas », au grand regret de l’ancien président de la CNIL, M. Türk.

Dans ce contexte, il faut alors surveiller son identité, verrouiller la confidentialité des données. Ce que regrette Louise Merzeau qui déplore par ailleurs une dimension individualiste dans ce concept réducteur d’identité numérique, conduisant à une défense de soi, à une défense de la réputation de soi. Or, il faut aller au-delà de la surveillance de son identité numérique et exercer une présence numérique dans un espace public en se réappropriant ses traces. Il faut aller  vers une intelligence mémorielle, passer du stockable au mémorable, bref, anticiper sa traçabilité.

Le document ci-dessous permet de percevoir selon la nature des traces déposées le degré de traçabilité que l’on atteint, le plus haut degré à atteindre étant celui de la présence numérique lorsque nous parvenons à nous réapproprier les traces.

Avec l’autorisation de l’auteur qui mentionne à son tour la source d’origine qui l’a inspirée : Silvère Mercier « La pyramide d’un projet de médiation numérique » In Bibliossession accessible sur http://www.bibliobsession.net/2011/04/08/la-pyramide-dun-projet-de-mediation-numerique/ <consulté le 29/03/2012>).

 

La question qui se pose alors est comment mettre en œuvre des apprentissages pour exercer cette intelligence mémorielle ? Certainement cela doit-il passer par :

  •  la connaissance des outils : leur histoire, leurs usages, leur économie
  •  la connaissance  de leur fonctionnement pour savoir interpréter leurs résultats
  •  l’acquisition de compétences en matière de lecture et d’écriture de ces outils

A cette fin je teste cette année, dans le cadre des heures d’accompagnement personnalisé et des heures d’enseignement professionnel[2], une progression dans l’établissement où j’exerce depuis septembre, un lycée professionnel tertiaire. Cette première publication sur Cactus acide, qui en appellera une seconde dans quelques semaines, concerne une classe de 2nde avec la séquence « D’une identité numérique subie à une identité choisie » dont l’objectif est la  prise de conscience, par les élèves, des traçabilités aveugle et concédée ainsi que l’amorce d’une réflexion sur la posture à avoir quand on publie sur le web, quand on navigue sur le Web.

L’analyse des différents documents demandés pour l’évaluation, ainsi que les questionnements individuels lors des situations d’apprentissage montrent que les élèves ont bien pris conscience des traces de leurs activités sur Internet. Je regrette cependant que cette prise de conscience porte davantage sur les traces qu’ils publient que sur celles prises par les services du Web utilisés, ou laissées par leurs machines. Peut-être cela montre-t-il la nécessité d’enseigner davantage  les aspects technologiques de ces services en ligne pour parvenir à une véritable culture technique nécessaire à l’acquisition d’une culture informationnelle.

Ces deux séquences m’ont fait prendre conscience d’un autre objectif devenu important dans mes situations d’apprentissage : apprendre aux élèves le concept de publication dans le contexte du numérique, et son corollaire de notions afférentes (auteur, source, chaine éditoriale, économie de la publication, autoritativité, support-logiciel, propriété intellectuelle, etc.).


[1] Louise Merzeau est Maître de Conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. On trouvera sur son site les axes de ses recherches, notamment l’axe « la question de la mémoire ». http://www.merzeau.net/index.html <consulté le 29/03/2012>. Le support de son intervention au 9e Congrès de la Fadben est en ligne à cette adresse http://www.slideshare.net/louisem/reconstruire-la-mmoire-de-nos-traces-numriques <consulté le 29/03/2012>.

[2] Pour chaque séquence je décris dans les documents joints les objectifs, le déroulement des séances, et les modalités d’évaluations auxquelles j’ai procédé à différents moments des situations pédagogiques construites. La séquence niveau 1ère est moins détaillée puisqu’en cours de réalisation. les éléments d’évaluation sont donc moins nombreux.

 

Mon identité sur la toile

http://www.gettyimages.fr/detail/photo/connections-within-a-social-network-image-libre-de-droits/106055165

Dans le cadre de la formation des élèves à la culture de l’information (numérique), voici une séance proposée à des troisièmes sur le thème de l’identité numérique et des réseaux sociaux. Cette séance de deux heures s’inscrivait dans le cadre d’une pièce de théâtre à laquelle tous les troisièmes avaient assisté et dont le sujet était « les chats et les adolescents ».

Cette séance prend appui sur l’article du Tigre publié en novembre 2008 intitulé Marc L. Le questionnaire d’analyse de l’article est tiré du travail de Charlotte Durand, une collègue professeur-documentaliste.

Enfin, cette séance a très bien fonctionné avec les élèves qui ont pris conscience de leur identité sur la toile et de la distinction entre le privé et le public sur Internet. La réflexion a également permis de questionner les pratiques de publication en ligne des élèves et les enjeux citoyens qui en découlent.