Dans un contexte de pandémie lié à l’apparition du virus COVID-19, la situation sanitaire dégradée a impliqué un confinement des populations dont les conséquences portent notamment sur le système éducatif. Les enseignants sont conduits à transformer leur enseignement et ou formations afin de pouvoir les dispenser à distance. La mise en œuvre de formations en distanciel, quand c’est possible, répond à une situation d’urgence qui implique de repenser l’ingénierie de formation.
Nous proposons, dans ce contexte, un cadre méthodologique qui tienne compte des dimensions cognitive, conative et psycho-affective liées au processus d’acquisition des savoirs. L’objectif est d’évaluer la pertinence des activités, transférées en distanciel, selon des modalités synchrones ou asynchrones.
Une première étape à la formalisation de cet enseignement à distance nous semble devoir passer par un questionnement propédeutique sur la nature des situations d’apprentissage et les différents temps de mise en activité. Il nous semble important de dresser une typologie minimale de ces situations et de ces activités afin de pouvoir envisager la possibilité de modalités d’apprentissage à distance nécessairement plurielles (IFE, 2016).
Afin de considérer les dimensions cognitive, conative et psycho-affective inhérentes au processus d’acquisition du savoir, nous nous proposons de nous référer aux taxonomies de Bloom, de Krathwohl qui propose six niveaux progressifs d’apprentissage de type cognitif (Krathwohl, 2002), et à celle de Berthiaume et Daele qui envisage trois niveaux de progressivité pour les apprentissages de type affectif (Berthiaume et Daele, 2013).
Une fois établie cette première répartition, nous nous proposons de l’appliquer à la modélisation théorique qui relie les formats de connaissance aux processus d’apprentissage, pensée par Musial, Pradère et Tricot (Musial et al., 2011). Cette modélisation nous semble pertinente pour situer les objectifs pédagogiques et les modalités d’apprentissage selon les processus d’apprentissage et leur mise en œuvre opératoire (schéma 1). Il s’agit ici de penser les modalités pédagogiques les plus pertinentes selon les formats de connaissance.
A titre d’exemple, si l’on devait favoriser le processus de conceptualisation en vue de l’acquisition d’un savoir, nous savons qu’il peut être pertinent de faciliter la conscience “méta-conceptuelle” des apprenants, ce qui passe notamment par des temps de discussions entre apprenants. Ce faisant, dans ce processus, ces temps d’échange sont à planifier dans la construction d’une séance pédagogique, l’apport du socio-constructivisme, par le conflit socio-cognitif notamment, constituant une modalité d’apprentissage pertinente.
Reste alors à porter un questionnement sur les choix pédagogiques à privilégier dans un contexte marqué par le distanciel. La dimension numérique de l’apprentissage à distance doit être considérée pour la qualité de ses apports, selon une ingénierie plurielle (Henri, 2010). La diversité de ces modalités éducatives ouvrant une multiplicité de tâches qui peuvent être données à réaliser par les élèves et étudiants. Nous nous proposons sur ce point de nous référer aux conclusions du récent rapport Numérique et apprentissages scolaires à destination du Cnesco (Tricot et Chesné, 2020). Il y est notamment établi, Figure 1, une classification des effets du numérique selon les fonctions pédagogiques visées, que ces effets soient plutôt positifs, plutôt limités, pas encore attestés ou plutôt négatifs (Tricot, 2020).
Ce cadre méthodologique, dont l’objectif est de faire le lien entre les dimensions cognitive, conative et psycho-affective inhérentes au processus d’acquisition du savoir et l’entrée par le numérique due au distanciel, doit nous permettre d’élaborer des activités adaptées. Les effets positifs du numérique sur les apprentissages sont ici à interroger. En particulier, nous souhaitons questionner la dimension itérative des activités proposées aux élèves et étudiants, que l’on considère les avantages et les difficultés qu’elle revêt.
Pour aborder ce point, nous nous proposons d’introduire le concept d’approche instrumentale de Pierre Rabardel (Nijimbere, 2013). Si l’on considère le numérique comme un artefact, défini comme un objet technique dont l’usage est pensé dans une situation précise, son appropriation permet l’élaboration de schèmes d’usage selon les interactions du sujet avec l’artefact. Ces schèmes sont un construit individuel, lié à une activité mais transférable à des activités analogues. Pour Rabardel, cette construction individuée participe à l’élaboration et à la transformation de ces schèmes chez chaque personne. Dans son approche instrumentale, Rabardel dégage le concept second d’instrumentation, centrée sur le sujet, pour préciser que ces schèmes d’usage évoluent, se transforment, s’hybrident selon les individus.
Cette réflexion nous semble pertinente pour considérer la dimension itérative des mises en activités dans un contexte numérique. La dégradation de la motivation liée à la répétition doit pouvoir être atténuée dès lors que les activités sont pensées selon une approche centrée sur le sujet et non l’outil. Avec une telle approche les situations pédagogiques sont transférables, ce qui permet d’étayer certaines compétences dans la répétition tout en en construisant d’autres dès lors que l’on apporte des variables dans l’élaboration des activités. Cela contribue à favoriser l’engagement tout en limitant la dimension redondante des activités proposées.
Cette hypothèse pourrait être intéressante en ce qu’elle comporte de potentiel pour mettre en œuvre des situations d’apprentissage en distanciel. Il nous semble important de penser les temps en distanciel selon une approche qui privilégie la construction du sujet plutôt que les apports du numérique en tant qu’outils. C’est une condition essentielle pour que les acquis d’activités spécifiques puissent être transférés à des situations nouvelles.
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– Berthiaume, D. & Daele, A. (2013). Comment clarifier les apprentissages visés par un enseignement ? In D. Berthiaume & N. Rege Colet (Eds.), La pédagogie de l’enseignement supérieur : repères théoriques et applications pratiques, Vol. 1, 55-71. Berne : Peter Lang
– Henri, F. (2010). La formation à distance : enseigner et apprendre autrement. In : Bernadette Charlier éd., Apprendre avec les technologies (pp. 157-168). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France https://doi-org.ressources.univ-poitiers.fr/10.3917/puf.charl.2010.01.0157«
– Institut français de l’éducation. (2016). Organiser une formation hybride : à quelles conditions ? Centre Alain Savary. http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/nouvelles-professionnalites/formateurs/organiser-une-formation-hybride-compte-rendu-de-la-formation-du-1er-et-2-octobre-2013
– Krathwohl, D.R. (2002). A Revision of Bloom’s Taxonomy, An Overview. Theory into Practice. 41(4), pp. 212-218
– Musial, M. Pradère, F. Tricot, A. (2011). Prendre en compte les apprentissages lors de la conception d’un scénario pédagogique, Recherche et formation [En ligne], 68 |, mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 21 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/1483
– Nijimbere Claver (2013). Approche instrumentale et didactiques : apports de Pierre Rabardel. Adjectif.net. Mis en ligne lundi 7 janvier 2013 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article202
– Tricot, A & Chesné, J.-F. (2020). Numérique et apprentissages scolaires: rapport de synthèse. Paris: Cnesco [en ligne] http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2020/10/Numerique_Dossier_de_synthese_du_Cnesco.pdf
– Tricot, A. (2020). Quelles fonctions pédagogiques bénéficient des apports du numérique ? Paris : Cnesco [en ligne] http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2020/10/201015_Cnesco_Tricot_Numerique_Fonctions_pedagogiques-1.pdf