Cadre théorique et prospective
Je me propose, dans cet article sur l’écriture numérique et la publication, de clore une réflexion engagée sur le document et prolongée par la lecture numérique. J’entends, pour ce faire, aborder cette notion selon la même méthodologie et commencer par préciser le cadre théorique dans lequel je m’inscris, avant d’envisager des pistes d’exploitation pédagogique. Il me faut préciser, d’emblée, que je n’aborderai pas la question du code, non qu’elle manque d’intérêt, mais parce qu’elle me semble devoir être traitée distinctement. Je regretterais de devoir la cantonner à sa spécificité computationnelle, quand cela n’est pas nécessairement le cas, alors que mon approche de l’écriture numérique cherche à s’affranchir de toute prévalence littéraire, en tant que forme sémiotique, ou technique, de l’ordre des usages, voire des ressources numériques. Je suppose davantage pertinent de concevoir le rapport de l’écrit au support, dont l’écriture numérique est le prolongement, sans doute complexifié, d’une relation plus ancienne, afin d’éviter l’aporie conceptuelle qui résulterait nécessairement d’une approche strictement disciplinaire. C’est par ailleurs ce qui ressort de ma lecture du corpus d’articles « Du document numérique au textiel« sur lequel je vais m’appuyer.
Je trouve particulièrement opérantes les notions de « texte » et de « signe passeur » développées par Yves Jeanneret et Jean Davallon. Cela me semble une réponse structurante pour qualifier la caractéristique dynamique de l’écriture numérique. Il me semble que ces notions, qui constituent une passerelle entre le concept de « document » et celui de « média », viennent articuler les savoirs qui y sont associés dans ce qui pourrait constituer la progression d’un enseignement. Ce qui suppose, tel que définit par Jean-Michel Salaün, que les éléments constitutifs du document, c’est à dire la « perception » (inscription repérable), l’ « intellect » (texte construit) et le « social » (référence partagée appropriable) soit, oserais-je dire, vu, lu et su par nos élèves. Il est fondamental que ce concept soit stabilisé si nous voulons qu’ils dépassent la condition de simples usagers pour concevoir la dimension culturelle de l’écriture-lecture numérique, entre projet de communication et interprétation contextualisée.
Cela suppose aussi que soit abordé le concept de « média » dont la distinction entre média support, média type et média source est loin d’être acquise. D’abord parce que l’écriture numérique, médiation sociale, suppose que l’on sache où l’on se situe, mais aussi afin de distinguer les caractéristiques du dispositif « sémio-technologique » que l’on utilise. Ce qui suppose de tenir, à mon sens, auprès des élèves, un discours distancié sur l’évolution, dans le temps, des dispositifs de lecture ainsi que du rapport socialement construit entre auteur et lecteur. Mais encore de bien avoir à l’esprit que l’écrit est un objet de pouvoir qui, au-delà du discours, affère à des conditions techniques, économiques et réglementaires. Ce faisant, je ne crois pas que cette richesse épistémologique puisse donner lieu à une approche disciplinaire cloisonnée, ce qui, je le rappelle, occasionnerait une aporie conceptuelle.
Il me semble, pour terminer, qu’il faut aborder la question de la publication dont le statut, dans le contexte du Web 2.0, est particulier. Il s’agit moins ici de la considérer du point de vue de l’éditorialisation que selon le principe de « rendu public » qui en découle. Pour commencer à observer cette tendance chez les élèves, je partage le questionnement d’Olivier Ertzscheid sur les pratiques à venir des jeunes en matière de « production consommation » d’écrits. Une étude, si elle n’a pas déjà été faite, serait sans doute à mener sur le rapport symbolique que donnent nos élèves à la valeur d’échange sur le web. En l’occurrence, pour avoir pu aborder cette question avec des élèves, certains me disent concevoir avec difficulté les restrictions d’usage qui résultent du droit dans la mesure où il leur semble naturel, de par leurs pratiques, de déposer ou de prendre du texte ou de l’image. Sans doute l’éducation a-t-elle ici un rôle à jouer.
Le cadre théorique posé je vais dorénavant m’employer à envisager des pistes de séquences pédagogiques sur l’écriture numérique.
Du texte comme « design de soi »
J’entame ma réflexion pédagogique sur l’écriture numérique et la publication par l’exploration de la notion de « texte ». Pour ce faire, il me faut, au préalable, préciser le sens que je donne à cette notion qui, dans le contexte de l’écriture numérique et de la publication, prend une nouvelle complexité. J’entends, pour ce faire, emprunter à Roger T Pédauque ses propositions sur ce que recouvre le « texte », ou plutôt la « textualité », dans les conditions du numérique. Les travaux de ce collectif me semblent apporter une grille de lecture particulièrement opérante dans la distinction entre l’ « inter-sémioticité », qui fait du texte un objet multimédia (écrit, image et son), et la « sémiotique multidimensionnelle » qui rappelle que le « texte n’est pas un objet ponctuel, mais un ensemble associant une réalité matérielle (l’objet texte), des formes qui l’organisent (la textualité) et des moyens culturels pour le qualifier (les pratiques interprétatives). Je me suis par ailleurs inspiré de la récente intervention de Divina Frau-Meigs aux journées de l’innovation pour, notamment, faire travailler mon « cerveau créatif » et imaginer un titre dont l’idée de « design de soi », en fait, … existait déjà. Je l’ai tout de même conservé en vue d’articuler la forme, associée au design, avec les deux autres entrées que sont l’ « éditorialisation de soi » et l’ « écriture de soi ». J’apporte d’emblée ces précisions pour préciser que ces trois approches sont en réalité intimement liées et que je ne les aborde séparément que pour, je l’espère, clarifier mon propos.
Au-delà du sens classique de ce que l’on entend par l’écrit, il me semble tout aussi essentiel d’aborder avec les élèves les dispositifs, formes textuelles et configurations (ou « formes sémiotiques » selon Bruno Bachimont) qui interagissent médiatement. Je suppose primordial, dès la sixième, de replacer l’écriture numérique dans l’histoire des dispositifs d’écriture. Il ne s’agit pas ici de « trancher » un débat entre évolution ou révolution numérique, mais de situer l’écriture dans un rapport entre esthétique et conditions techniques. Et ce quand bien même il nous faut remonter aux peintures rupestres. L’objectif, à terme, est ici de faire comprendre aux élèves que leur « usage » est médiatisé par des conditions technologiques, mais pas seulement, inhérentes aux dispositif qu’ils utilisent. C’est par exemple le cas du mur pour les peintures rupestres ou de l’écran pour l’ordinateur. La question de l’informatique peut ici être abordée, ne serait-ce que de manière théorique, en rappelant que les formes textuelles sont réalisées par celles et ceux qui les configurent (« code is law »). La notion d’architexte est sans doute trop complexe pour pouvoir être abordée dès le secondaire, mais il y a probablement des analogies intéressantes à trouver entre les murs de la caverne et l’ombre projetée par « Facebook » sur le mur des utilisateurs.
De fait, je suppose qu’il serait pertinent que les élèves se familiarisent avec des plateformes et des applications sélectionnées par l’enseignant, mais pas uniquement, pour leurs caractéristiques et leur complémentarité. L’objectif visé pourrait être ici de faire comprendre aux élèves que les technologies ne sont pas neutres. Il me semble, à cette fin, que les conditions pédagogiques de cette prise de conscience pourraient passer, chez les élèves, par l’approche des applications et des plateformes en tant que système, ainsi que par leur expérimentation de sorte qu’ils puissent en mesurer la complexité réelle. En l’occurrence je trouve regrettable que l’on s’interdise d’analyser Facebook quand ce modèle pourrait être comparé avec Diaspora. De même que je trouve regrettable de ne considérer Twitter que pour ses apports pédagogiques en terme d’écriture quand c’est l’ensemble du modèle qui à mon sens devrait être étudié. C’est dans les deux cas, sinon, prendre le risque de mettre en œuvre les conditions de création d’un public captif.
Pour en venir à des propositions concrètes je vois (au moins) deux pistes à envisager. En terme d’expérimentation je trouve très réussie la séquence proposée par Angèle Stalder sur l’architecture de l’information. Cela me semble très structurant en terme de mise en forme (ou de design), tout en considérant un corpus de notions informatiques, informationnelles et médiatiques. Je trouve particulièrement formateur, pour mon propos, cette idée selon laquelle « les élèves doivent acquérir des connaissances en matière informatique (connaître les propriétés du dispositif technique pour savoir ce qu’il est possible d’en faire) ». Acquérir ces connaissances sous-entend que les élèves, pour avoir eu accès au « backoffice », sont plus intelligents, qu’ils comprennent, lorsqu’ils sont sur des plateformes. Deuxième piste, je suppose pertinent d’aborder les questions de design pour l’intérêt que cela présente en terme d’évaluation de l’information. Faire travailler les élèves sur des plateformes en tant que système, tout en leur donnant la possibilité de les expérimenter concourt à les familiariser avec les critères de qualité de l’information liés à la mise en forme. Hasard des publications sur la « profdocosphère », le travail de Richard Peirano sur l’évaluation d’une source, doit pouvoir constituer la base de scénarios pédagogiques particulièrement riches, tant du point de vue de la comparaison entre différents sites que par le travail d’enquête sur ceux-ci.
Je suis conscient de la difficulté qu’il peut y avoir à aborder l’écriture numérique et la publication sous l’angle du design en le dissociant de l’éditorialisation. Une autre approche eut été possible en considérant la notion de « représentation » sur laquelle Roger Chartier, historien du livre, de l’édition et de la lecture, a livré récemment une conférence. Je suppose féconde la transposition de ce que sous-tend cette notion, « donner à voir un objet absent » et « tenir la place de quelqu’un », à l’écriture numérique.
Du texte comme « éditorialisation de soi »
Après m’être intéressé à la question du design, je prolonge ici ma réflexion en abordant le concept de « texte » sous l’angle de l’éditorialisation. L’objectif étant de dégager des pistes qui puissent faire l’objet de séquences pédagogiques dans le secondaire. Je vais m’appuyer, pour ce faire, sur la notion d’ « énonciation éditoriale » dont Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret sont à l’origine. L’écrit numérique et la publication, en tant que forme de « pouvoir », sont le fruit d’une inter-détermination entre les conditions apportées par l’objet technique, la forme sémiotique et les pratiques. Rapporté à l’éditorialisation, selon le dispositif de publication, cela veut dire que le « média de l’écriture n’est pas seulement le lieu de passage d’un flot informationnel ; c’est un objet matériel configuré qui cadre, inscrit, situe et, par là même, donne un statut au texte ». L’idée de « configuration » est essentielle en ce qu’elle suppose une autre forme d’intervention sur le texte que l’unique forme créative de l’auteur. Le paramétrage opéré sur le backoffice, selon les plateformes, crée les conditions d’un espace dialogique scriptural qui implique un dispositif normé (gabarit) et l’utilisateur. De même, le statut de ce dernier est en mutation. Je vous renvoie sur ce point, au sujet des CMS, à l’étude de Valérie Jeanne-Perrier pour qui « éditeur et auteur composent ensemble une nouvelle partition dans laquelle chacun emprunte ou dérobe des compétences à l’autre ». J’observe, du reste, dans ma pratique, cette forme de métissage des fonctions qui mêle la création à la responsabilité éditoriale.
Je trouve particulièrement pertinente cette étude comparative des CMS. Valérie Jeanne-Perrier fournit des indications précieuses sur ce que peut être l’influence sémiotique d’un dispositif sur des formes d’écriture. Je relève en particulier les interrelations entre les dimensions techniques de l’architexte et sociales de la communauté. De fait, je suppose qu’il pourrait être intéressant de commencer à aborder ces questions dès le secondaire avec les élèves. Cela suppose, pour démarrer, que les notions d’auteur et d’éditeur soient assimilées pour ce qu’elles sont, avant d’observer leur hybridation selon les plateformes. Il me semble, par ailleurs, que ces dernières devraient être abordées pour leurs singularités. En l’occurrence, on n’écrit pas de la même façon, ni sans doute la même chose, que l’on publie sur un blog ou sa « timeline », quelle qu’elle soit. En terme d’éditorialisation, la recherche d’un nom pour un site ou le choix d’un avatar peut sans doute donner lieu à des temps de séquence intéressants. Je pense, pour reprendre l’étude de Valérie Jeanne-Perrier, que le choix d’un nom peut donner lieu à un travail sur l’influence de l’indexation. Ce qui peut, par ailleurs, constituer une introduction à l’écriture journalistique dans la perspective d’une éducation aux médias (presse). De même, le choix d’un avatar peut introduire une réflexion sur le contenu supposé d’un site selon le choix qui est fait. Ces temps d’apprentissage, pour humbles qu’ils puissent paraître, me semblent par ailleurs constituer des acquis significatifs, car signifiants, en terme d’évaluation de l’information.
A un deuxième niveau, l’écriture numérique, sous l’angle de l’éditorialisation, suppose que les élèves abordent les différentes formes textuelles. Je pense ici en particulier aux potentialités qu’offre l’écriture multimédia et le lien hypertexte. Sur le premier point, qui concerne le recours au texte, à l’image et au son, outre la dimension créative qui peut impliquer professeurs d’arts plastiques et de musique, la question de l’éditorialisation suppose, chez les élèves, l’acquisition de connaissances informatiques relatives aux différents formats. L’objectif étant ici de permettre aux élèves d’anticiper leur besoin selon leur projet d’écriture. Cette question de l’anticipation intervient de même au sujet des liens hypertextes, pour leur dimension éditoriale. Il me semble essentiel que nos élèves aient à l’esprit que le web est un ensemble mouvant et que les pages qu’ils pointent par des hyperliens aujourd’hui peuvent avoir disparues demain. A titre d’exemple, ou de piste pédagogique, je peux mentionner ce séminaire « Ecritures numériques et éditorialisation » qui me semble particulièrement intéressant, sans toutefois savoir si le lien sera toujours actif dans un an ou deux… Il est vrai que si tel ne devait pas être le cas, peut être aurais-je la possibilité de renvoyer vers une autre page (captation vidéo par exemple). Cette question de l’instabilité documentaire me semble en tout cas fondamentale dans le processus d’éditorialisation, du moins pour que nos élèves, lorsqu’ils publient un texte par « temps calme », aient à l’esprit l’avis de tempête…
… Pour terminer par un point essentiel, la question de la responsabilité éditoriale ne saurait être éludée. Anecdote (..?). Cette année un groupe d’élèves a fait le choix d’intégrer une vidéo récupérée sur « Youtube » en appui à leur évaluation orale de TPE. Parce qu’ils travaillaient sur la publicité et que cette vidéo comportait manifestement des logos de marques, elle n’était plus en ligne le jour J, remplacée par un avertissement concernant le respect de la propriété intellectuelle. A leur décharge, ce n’est pas eux qui avaient déposée cette vidéo qu’ils souhaitaient utiliser pour illustrer leur propos. Il n’en reste pas moins qu’ils ont dû improviser et expérimenter à leur dépend une situation très inconfortable. Je suppose que ce type de situation est conduit à se reproduire dans un contexte où publier est devenu un geste à la portée de tous, ce dont il faut sans doute par ailleurs se féliciter. Il me semble qu’en terme d’éditorialisation, la question de la propriété intellectuelle est à aborder tant du point de vue du respect des droits (auteur, image) que du statut des publications selon les termes des conditions générales d’utilisation (CGU) associées à l’inscription sur les plateformes. Je n’ai pas de séquence type à proposer sur ces deux approches. Toutes les situations pédagogiques sont envisageables en la matière. A titre d’exemple je trouve le projet de « copie partie » complet dans la mesure où il fait une place au libre (creative commons) en intégrant la question du partage qui renvoie aussi à un geste d’éditorialisation. J’ai, par ailleurs, repéré ce travail de Richard Peirano au sujet des CGU.
Avant d’aborder l’écriture de soi, je souhaite citer une nouvelle fois Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret qui, en opposition à une conception de l’écriture numérique libérée de toute contrainte rappellent que « toute relation entre sujets usagers des médias informatisés est médiatisée par la relation qu’ils entretiennent aux dispositifs, aux formes textuelles, et par là même aux acteurs qui sont en position de configurer ces objets et ces formes ». L’éditorialisation est d’autant moins neutre que l’écriture numérique résulte de ces interdéterminations. C’est en ayant à l’esprit cet enjeu citoyen que nous nous devons ‘d’y préparer nos élèves.
Du texte comme « écriture de soi-s »
Après m’être consacré à l’écriture numérique et à la publication, abordées selon une approche où le texte est compris comme design puis éditorialisation de soi, je vais m’employer à dégager des pistes pédagogiques à partir du concept d’ « écriture de soi-s ». Si je pense essentiel de donner une dimension théorique à ma pratique professionnelle, c’est en toute humilité que j’entends la questionner sous le prisme de la philosophie foucaldienne. L’on voudra bien, par ailleurs, me pardonner cette petite espièglerie grammaticale sur laquelle j’entends m’expliquer dans un instant. Je vous renvoie, pour la référence à Foucault, à ce billet de Christian Fauré, inspiré, au moins en partie, de Bernard Stiegler. Je retiens en particulier l’idée d’une écriture numérique qui se trouve à la confluence de l’annotation (mémoire) et de l’extériorisation (publication). Au-delà des hypomnemata qui restent fondamentales, je suis aussi frappé par Sénèque (Lettres à Lucilius – lettre 84) que commente Foucault lorsqu’il écrit que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette recollection de choses dites ». Je trouve à ce propos une résonance tout aussi inattendue que potentiellement féconde au regard des enjeux numériques contemporains. D’où l’ajout de ce « s » à « écriture de soi-s » qui renvoie au subjonctif du verbe être, mode du doute, du souhait et de l’incertitude, vers une forme de re-conciliation des deux acceptions du terme « virtuel » dans ce qui est et peut être.
Reportée à la pédagogie info-documentaire, cette approche du texte comme « écriture de soi-s » est pertinente pour aborder les questions relatives à l’identité numérique. Je ne suppose pas devoir insister sur cette notion tant elle fait désormais l’objet de séquences ou séances pédagogiques. Mais je reste néanmoins davantage attaché à une approche qui privilégie la « présence numérique », potentiellement moins anxiogène en ce qu’elle n’opère pas une centration sur les dangers ou les risques d’Internet. Pour qui souhaite travailler cette question avec ses élèves je vous renvoie à cet article de Doc pour Docs où vous trouverez de nombreuses références. Ceci étant, je suppose qu’il serait important d’observer et d’analyser d’éventuels changements dans le rapport qu’ont les adolescents à leur intimité. Il ne semble pas improbable de considérer que la généralisation de l’acte de publication, qui est une extériorisation de soi, peut modifier leurs représentations socio-culturelles.
Pour revenir sur le terme d’incertitude mentionné ci-dessus, je suppose qu’une autre piste pédagogique pourrait concerner la recherche d’information, en particulier la navigation hypertextuelle. Si cette dernière peut sembler davantage tenir d’une pratique de lecture, le parcours de recherche, selon les choix que l’on opère, est aussi une « écriture de soi-s ». Nous nous écrivons selon ce que nous lisons ou ne lisons pas. Que l’on me permette en tout cas de soumettre cet élément de réponse à Anne Cordier lorsqu’elle envisage d’enseigner l’incertitude pour construire une culture de l’information. Il me semble qu’il y a en la matière beaucoup à faire et c’est par défaut que je vous propose cette unique séquence qui, pour l’avoir expérimentée à plusieurs reprises, est tout à fait concluante. La navigation hypertextuelle, en ce qu’elle formalise le parcours de recherche, exprime la double intention de celui qui a publié et de celui qui navigue. Il me semble en conséquence qu’elle peut être particulièrement pertinente pour que les élèves apprennent à anticiper leurs recherches et plus généralement leur rapport au web et au numérique.
Il me semble, pour troisième et dernière piste à explorer, que le texte comme « écriture de soi-s » peut donner lieu à des séquences pédagogiques qui abordent l’écriture collaborative. Il s’agit moins ici de considérer le travail d’écriture que de questionner avec les élèves la notion d’ « auteur » dans le contexte numérique. Ici, l’ « écriture de soi-s » devient une « écriture du nous » qui n’a d’intérêt que si les élèves y sont un temps soit peu préparés. Ce serait, sinon, prendre le risque de voir les uns s’effacer quand les plus actifs ne sont pas nécessairement les plus pertinents. J’ai pris pour habitude, pour l’écriture collaborative, de faire travailler les élèves sur des pads. Ils présentent l’intérêt de partager une zone de texte et une zone de chat dont les élèves doivent, entre autre, coordonner l’usage pour avancer dans l’écriture. Surtout, l’écriture collaborative suppose des phases de concertation sur lesquels je m’appuie pour questionner les notions d’auteur, d’autorité et d’autoritativité. Pour quelles raisons le groupe a-t-il choisi la formulation de tel élève plutôt que de tel autre ? Après réflexion, ces choix leur semblaient-ils toujours bien-fondés ? Je reviens par ailleurs sur ces notions comme prérequis lorsqu’il s’agit d’aborder la notion de publication et ce qu’elle implique en terme d’investissement personnel.
Pour reprendre Foucault commentant Sénèque, je vous propose pour finir de remplacer « collection » par « redocumentarisation » de sorte que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette [redocumentarisation] de choses dites ». Et de bien vouloir considérer là, que ce que sous-tend la notion de publication, constitue, pour nos élèves, un enjeu majeur de leur devenir.
Construire du sens
Au moment de conclure cet article sur l’écriture numérique et la publication, je renvoie le lecteur vers le Projet PRECIP dont les travaux ont donné lieu, il y a un an, à un séminaire sur le thème « Enseigner l’écriture numérique ?« . L’approche pluridisciplinaire me semble particulièrement féconde sur cette thématique . La qualité des interventions apportent par ailleurs des éléments de compréhension à cette carte heuristique (merci Angèle) qui décline l’écriture numérique en une hiérarchie fondée sur les tropismes (« tendances inhérentes aux propriétés fondamentales du numérique »), les principes (« potentiels techniques ouverts pour les applications d’écriture ») et les fonctions (« modalités effectives d’écriture rendues disponibles par les applications »).
En toute humilité, avec pour ambition de dégager des possibles pédagogiques qui prennent pour objectifs des notions info-documentaires abordées lors d’une progression adaptée au secondaire, je vous soumets ce schéma conceptuel, qui vient ponctuer cet article. Je le souhaite complet tout en considérant l’éventualité de compléments dont je vous invite à me préciser la nature. Il est vrai que ce schéma, forme de « texte », est le résultat de mes lectures dont je redoute les lacunes, en espérant qu’elle ne soient pas fondamentales.
Il me restera à vous proposer, à venir, un dernier travail de schématisation qui reprenne celui-ci ainsi que les deux autres réalisés sur le document numérique et sur la lecture numérique. J’espère pouvoir en déduire, si ce n’est des concepts intégrateurs, du moins des concepts ou savoirs nodaux qui me permettent d’organiser mon enseignement.