S’informer et informer avec un nouveau genre de document, l’infographie : une situation pédagogique translittératique ?

Pour quelles raisons mettre en place une séquence sur l’infographie en première année de CAP vente ? Il y a eu plusieurs Interrogations pédagogiques de départ :

– comment prendre en compte le développement dans la presse du caractère de plus en plus visuel de l’information ? Et comment l’intégrer dans des situations pédagogiques d’EAM, notamment dans le secteur de la documentation professionnelle de la vente où les infographies se développent ? Avec une évidence : il y a des compétences à acquérir en matière de lecture et d’analyse pour que l’apprenant se trouve en mesure de s’informer avec de tels documents ;

– comment prendre en compte le développement des nouveaux outils de communication en magasin pour les clients via les écrans ? Les élèves, lors d’un salon professionnel ont pu appréhender un phénomène émergent dans leur domaine d’activité : l’importance des écrans dans le monde de la vente, de télévision, d’ordinateur, de tablette, mais aussi et surtout de mobile. Or, quand l’élève est en situation d’informer un client sur un produit, il doit acquérir de nouvelles compétences en matière de lecture/écriture des documents mis à disposition de la clientèle via ces écrans ;

– enfin, suite à des lectures récentes et au séminaire qui s’est déroulé à l’ENS Cachan [1] consacrés aux « Translittératies : enjeux de citoyenneté et de créativité », je me suis demandé comment mettre en place des situations pédagogiques prenant en compte ce nouveau paradigme éducationnel de l’ère cybériste où, entre autres caractéristiques, la culture visuelle est dominante ?

Cette séquence est donc une tentative d’aller vers la translittératie [2], en mettant l’élève en situation de lecteur/producteur d’information, tout en lui faisant prendre conscience de l’évolution actuelle de son environnement médiatique professionnel, et en lui faisant acquérir des compétences informatiques.

Avant de la décrire je voudrais insister sur l’un de mes postulats de départ : écrire et lire sur le web nécessitent des compétences appartenant à des champs différents. Il y a donc eu co-construction entre le professeur documentaliste et le professeur de vente pour faire acquérir aux élèves des compétences documentaires (savoir lire et savoir produire une infographie, produit documentaire répondant à des règles de communication) et des compétences professionnelles (connaître les nouveaux outils et produits de communication à disposition du vendeur). Une collaboration inscrite dans la transversalité pour l’acquisition de savoirs, savoir-faire et savoir-être en matière de lecture/écriture d’un nouveau genre de document sur le web, l’infographie.

* Séance 1 : L’infographie : une nouvelle forme de document ?

o Deux heures classe entière (18 élèves)

o Objectif professeur : établir un diagnostic pour percevoir les acquis en matière de lecture de ce dispositif de communication avec ces codes propres.

o Objectifs élève : prendre conscience d’un environnement médiatique qui évolue avec l’émergence d’une forme nouvelle d’information, très visuelle.

o Description succincte de la séance :

– réflexion collective sur les façons de s’informer dans leur domaine professionnel par l’observation de la presse papier [3] : ils reconnaissent des images vues sur le web (nuages de mots clés et infographies qu’ils appellent des « décorations »). Les élèves ont tous émis une préférence pour cette forme de présentation de l’information qu’ils trouvent « belle » et « plus facile à comprendre parce qu’il y a des dessins ». Je leur pose alors la question de la raison de ce goût pour l’image ? Hypothèse d’un élève : ils préfèrent l’image qui est partout (bande dessinée, jeu vidéo, etc.) car elle est plus facile à comprendre. Interrogation sur les services du web qu’ils utilisent le plus : You tube dans leur grande majorité. Cela conforte l’intuition de départ sur leur goût pour l’image, fixe ou animée. Je propose alors un exercice : lire une infographie pour en extraire les informations principales et voir comment elles sont présentées.

– Les infographies proposées, choisies en lien avec le cours d’économie, sont accessibles via un scoopit construit à cette occasion. La lecture analytique demandée est d’abord individuelle. Puis il y a confrontation de l’analyse avec un autre élève. Enfin il y a mise en commun au sein du binôme avec la rédaction d’un résumé sur le scoopit qui doit comporter les informations principales et décrire comment l’auteur les a mises en scène (pour reprendre l’idée d’un élève d’une « décoration »).

Pourquoi avoir choisi cet outil du Web 2.0 pour constituer la collection d’infographies ? Tout d’abord pour renforcer le côté visuel de cette séquence et ensuite pour co-construire une collection de documents éditorialisés, la co-construction de connaissances, la participation et la contribution de chacun dans un projet commun étant certaines des conditions essentielles de la translittératie évoquées lors du séminaire de Cachan. Par ailleurs, les élèves ont pris conscience de la publication en ligne via un outil web 2.0. Cela les a motivé.

– Devant les formes hétérogènes des résumés, nous avons élaboré un protocole commun de rédaction en déterminant les éléments à faire apparaître impérativement : fonds et forme de l’infographie, nouvelle forme de document sur le web. * Le résultat visible ici :

* Séance 2 : Définition d’une infographie, un produit de communication répondant à des règles de réalisation.

o Séance d’une heure classe entière

o Objectif professeur : parvenir à un niveau d’abstraction, dans la définition de l’infographie, qui intègre les éléments du concept de document selon Pedauque : forme, signe, medium.

o Objectif élève : définir cette nouvelle forme de document comme un produit de communication ayant des règles de réalisation.

o Description succincte de la séance :

A partir de leur travail et de la collection ainsi constituée, a débuté alors un travail de réflexion sur la nature de l’infographie replacée dans un contexte plus général de la communication. Cette séance est donc une étape de construction théorique à partir de leurs connaissances sur la théorie de la communication et de leur expérience de lecture analytique.

Au tableau, nous avons élaboré un schéma de communication très simple : l’infographie est un message émis par un auteur (émetteur) pour un lecteur (destinataire) qui passe par un canal (lecture via un écran). Il y a élaboration d’une stratégie de communication par l’émetteur pour atteindre son objectif de communication auprès du récepteur. Le document est créé ainsi pour être lu dans un but précis et pour un public particulier.

A partir de ce schéma, les élèves ont dû conduire une réflexion individuelle sur l’infographie en s’appuyant sur le schéma construit ensemble et en répondant à cette question simple : quelle est la stratégie de communication pour un émetteur qui réalise une infographie ? Quels sont les éléments à prendre en compte pour atteindre l’objectif visé?

La mise en commun a été très riche. Le schéma en appui a facilité la réflexion qui a conduit à une conceptualisation de l’infographie comme document numérique visuel. Je reproduis ici leurs phrases de synthèse :

Une infographie c’est :

* un message visuel à transmettre. Il faut indiquer les informations principales avec un fil conducteur (marqué par le titre) ;

* un message à mettre en forme et à structurer grâce aux moyens mis à disposition par le logiciel. D’où l’importance du choix des éléments à utiliser pour présenter les informations de façon la plus symbolique possible pour une compréhension rapide au premier coup d’œil via un écran : un graphique, une couleur, un dessin doivent être choisis pour leur valeur symbolique auprès du lecteur.

* Un message qui a des effets attendus : faire réagir, faire joli, faire comprendre

Tous ces points évoqués constituent des éléments de la définition d’une infographie et montrent aussi que les élèves ont saisi la dimension sociale du document : il est produit pour un public cible, dans un contexte singulier, pour un usage déterminé.

The picture that supports the texte Creative Commons Licence photo credit : National Library NZ on The CommonsThe picture that supports the texte Creative Commons Licence photo credit : National Library NZ on The Commons

* Séance 3 : Production d’une infographie selon les règles établies

* Séance de deux heures, classe entière (18 élèves)

* Objectif professeur : faire prendre conscience de l’influence de l’outil sur le sens et la forme du message. La maitrise de l’outil peut renforcer le pouvoir de celui qui construit le document : sa stratégie de communication sera d’autant plus efficace.

* Objectif élève : en posture de scripteur, prendre conscience des codes sémiotiques de l’infographie.

* Description succincte de la séance :

* A partir d’un texte court avec des données chiffrées (tirées de l’INSEE sur les usages d’internet, la vente en ligne, etc.), produire une infographie pour rendre compte des informations principales en tenant compte des caractéristiques observées lors de la première séance dans la production du document : structure, composition, couleurs, formes, dessins, fil conducteur, etc. Choix du service en ligne « infogr.am ».

* Rappel : l’infographie est une écriture à part entière du document. Si on calque un modèle existant, on perd les caractéristiques propres de ce document : les dessins, couleurs, tableaux, ne sont pas là pour illustrer les informations, mais constituent les informations elles-mêmes. Elaborer avant tout une stratégie de communication.

* En conclusion : peu d’infographies achevées du fait d’une difficile prise en main de l’outil. Très vite les élèves ont été confrontés à des difficultés liées.

o A des compétences computationnelles non maitrisées : le tableur intégré pour la composition de graphiques par exemple.

o A la difficulté de ne pas « décorer » leur document. Je reprends là leur expression car, pour eux, elle a été le déclencheur de la compréhension de ce qu’est l’infographie : non pas une façon d’illustrer les informations, mais une façon d’écrire des informations, de façon visuelle, en utilisant des codes sémiotiques qui ne sont pas encore maitrisés.

Conclusion de la séquence : deux questions posées aux élèves.

Tout d’abord, trouvent-ils toujours qu’un document visuel est plus facile à comprendre qu’un document où le texte est plus présent ? Les avis ont été divergents. Je note que les élèves qui ont éprouvé le moins de difficulté à comprendre les infographies et à en produire, sont ceux qui éprouvent le moins de difficultés à comprendre un document où le texte est très présent. Cela venant confirmer le triste adage « les riches s’enrichissent » très utilisé lors du séminaire sur les Transittératies de Cachan.

Pourquoi, d’après eux, on retrouve cette forme de document dans la presse papier (nuages de mots clés par exemple) ? Réponse unanime : pour « faire moderne », pour « faire comme Internet », pour « attirer les lecteurs du web sur leurs journaux papier », pour « attirer des jeunes qui ne lisent que sur Internet ».

Pour terminer sur ce constat au sujet de notre environnement informationnel : si au début d’internet, le document en ligne prenait son modèle dans les formes connues tirées du support papier, désormais, Internet crée ses propres modèles de documents qui a leur tour influencent les documents sur support papier.

 En guise de conclusion j’aimerais préciser encore quelques points.

Pour cette séquence, j’ai essayé de mettre en lien des travaux en didactique et des travaux de recherche en Sciences de l’information et de la communication.

* penser la tâche et l’intention didactique pour élaborer cette séquence (P. Duplessis).

* utiliser la taxonomie de Bloom pour déterminer les tâches et les consignes.

* intégrer les éléments de définition du document numérique selon Pedauque pour aborder la notion d’infographie (forme, signe, medium).

* équilibrer temps de prescription et temps de médiation dans la situation pédagogique, ne pas faire comme si les élèves ne savaient rien, ne pas freiner leur créativité et le caractère nécessairement exploratoire de certaines tâches (A. Cordier).

* tenter d’intégrer des éléments de la translittératie : déterminer la part des champs translittératiques à explorer pour mieux les prendre en compte et favoriser l’acquisition de nouvelles compétences en matière de lecture/écriture numérique.

A l’issue de cette expérimentation je garde :

Une conviction :

* le travail par projet est nécessaire, car ces situations pédagogiques nécessitent un temps long.

* Il faut une collaboration authentique pour donner du sens, certes ; pour mettre en réalité le participatif si revendiqué du monde digital certes encore ; mais surtout parce que ces situations nécessitent des compétences diverses et complémentaires de tous les enseignants.

* Pour cela, il faut bien circonscrire les champs d’action de chacun. Pour ma part : faire prendre conscience d’une mutation de l’environnement médiatique personnel et professionnel avec une forme de document qui se développe avec ses caractéristiques propres, en partie dues aux moyens techniques de sa réalisation et de sa diffusion.

Un doute :

Connaître les travaux en SIC et en Sciences de l’Education pertinents et savoir les intégrer dans une pratique professionnelle en constante évolution.

Des attentes :

Des avis ! Des échanges !

Notes :

[1] Organisé par l’ENS Cachan et Crew, les 7, 8 et 9 novembre 2012 avec la présence notamment de A. Liu et Sue Thomas.

[2] Selon la définition désormais entendue de S. Thomas la translittératie peut se définir ainsi : « l’habileté à lire, écrire et interagir par le biais d’une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication, de l’iconographie à l’oralité en passant par l’écriture manuscrite, l’édition, la télé, la radio et le cinéma, jusqu’aux réseaux sociaux ».

[3] Par exemple le HS n° 94 d’Alternatives Economiques, 4e trimestre 2012, p. 8 « Les chiffres clés : les chiffres de l’économie 2013 ». Ou encore, Terra Eco, n°42, décembre 2012, p.52 : « Critique n° 5 : ça vient de loin, le bio, et ça ne crée pas de vrais emplois ».

Peut-on copier en toute L-égalité ? Retour d’expérience

Ce vendredi 7 décembre s’est déroulé au lycée ce qui restera comme étant la première copy party organisée dans un établissement scolaire. Au-delà du caractère sympathique de cette manifestation originale, je me propose de revenir sur ce qui a retenu mon attention, en complément de ces premiers éléments.

Creative Commons Licence : L&S Lycée RabelaisCreative Commons Licence : L&S Lycée Rabelais

Pour présenter quelques données statistiques, 88 élèves (dont 21 « tuteurs ») et 5 enseignants ont été concernés par cette journée banalisée. Les rotations sur les quatre ateliers, voir présentation ici, répartis sur le CDI et 2 salles attenantes ont permis de limiter la concentration des élèves sur un même lieu. Disposition d’autant plus importante pour l’atelier réflexif où les élèves ont pu « se poser » lors de ce temps d’échange. Pour l’essentiel cette copy party s’est donc déroulée agréablement, les élèves « tuteurs » prenant de l’assurance au fur et à mesure des rotations. Il reste que pour être critique, quelques aspects peuvent être améliorés.

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Des infographies… pas tout à fait

Nous avions demandé aux élèves de réaliser une infographie sur le sujet qui était le leur. L’idée était ici de sortir du traditionnel panneau d’exposé tout en évitant un recours trop systématique au copier-coller pour la réalisation de documents que nous espérions pouvoir publier à titre d’exemple pour le « kit pédagogique de la copy party ». La comparaison des deux infographies ci-dessous révèle une difficulté que nous avons manifestement sous estimée. Les élèves, peu familiarisés avec ce type de production, ont eu de réelles difficultés pour les réaliser. La rhétorique structurelle de ce type de document ne semble pas leur être spontanément accessible. Ce qui se conçoit pour des élèves auxquels il a été régulièrement demandé de travailler sur la réalisation de panneaux d’exposé. Ce que l’on observe avec l’infographie sur la copy party (ci-dessous) qui n’en est pas vraiment une mais davantage le type de panneau qu’ils ont eu l’habitude de réaliser jusqu’à présent.

Creative Commons Licence : L&S Lycée Rabelais
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Cette autre infographie est davantage aboutie, en particulier dans sa partie supérieure. Mais il n’en reste pas moins que l’élaboration de ce type de document n’est pas spontanée pour les élèves et qu’ils ont eu des problèmes pour se dégager des textes qu’ils ont consulté et qu’il leur a fallu condenser pour arriver à ce résultat. Sans doute l’approche des cartes ou schémas conceptuels est intéressante pour aborder les différentes formes rhétorique du document. Cela préparerait les élèves à penser la structure formelle des infographies, qui devraient être étudiées pour elle-même, en ce qu’elles constituent un document à part entière, avec ses propres caractéristiques .
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Stabiliser les savoirs dans la durée

Le temps d’échange, fondé sur les représentations des élèves, dans une démarche bottom-up, a laissé apparaître de grandes disparités au niveau des connaissances qu’ils peuvent avoir du numérique. Sans doute cela provient-il, pour les tablettes et les liseuses du moins, de la faiblesse du taux d’équipement pour ce type de matériel qui peut rester inaccessible financièrement. Mais, plus globalement, j’y vois la conséquence d’apprentissages trop éparses pour être tout à fait stabilisés. Aussi il me semble, mais je sais la réflexion en cours, qu’il pourrait être pertinent de systématiser un temps régulier d’enseignement-apprentissage qui s’inscrive dans la durée. Du moins, au fil des séances, j’ai apprécié l’avancée des travaux des élèves lorsqu’ils ont été en mesure de situer leur sujet (plagiat, lecture numérique, droit d’auteur,…) dans un contexte plus global.

Un projet à mener avec des élèves de 1ère ?

Il reste que ce projet est sans doute davantage à mener avec des élèves de première, plus en capacité d’évaluer la complexité des enjeux et les controverses qu’ils peuvent susciter. D’autant que si les élèves qui ont pris part à l’élaboration du projet arrivent avec des références, ceux qui participent aux ateliers sont souvent démunis. Il me semble donc que ce projet pourrait être mené dans le cadre de l’Accompagnement personnalisé, en première, dans une approche de la complexité qui privilégie l’argumentation et la progression dans le raisonnement, en écho à la méthodologie de la problématique travaillé en TPE.

Je souhaite, pour terminer, que ce projet soit repris par d’autres établissements. A cet effet, pour celles et ceux qui seraient intéressés, vous pouvez consulter ce kit pédagogique de la copy party. Par ailleurs, Anne Sophie Domenc et moi-même nous tenons disponibles si vous voulez en savoir davantage.

Peut-on copier en toute L-égalité ?

A l’instar de ce qui va suivre je dois le titre de cet article à ma collègue Anne Sophie Domenc qui a assuré l’essentiel de la préparation et du suivi de la copy party qui va, comme je vous l’avais annoncé il y a quelques mois, se dérouler au lycée, ce vendredi. J’en profite, par ailleurs, pour remercier, en notre nom, Olivier Ertzscheid, Lionel Maurel et Silvère Mercier pour la disponibilité et l’attention dont ils nous ont fait la sympathie. Nous savons l’intérêt qu’ils portent à cet événement qui constitue tout de même une première et, au delà du clin d’oeil, pour sa dimension pédagogique dans le contexte spécifique d’un lycée. Point sur lequel je vais concentrer l’essentiel de mon propos.

Creative Commons Licence photo credit : Geoffrey Dorne
Creative Commons Licence photo credit : Geoffrey Dorne

Nous avons mis en oeuvre ce projet dans le cadre de l’option littérature et société de seconde avec un groupe de 22 élèves, à raison de 2 heures par semaine sur une séquence de 9 séances. Nous avons choisi pour domaine d’exploration le livre et la littérature numérique que nous avons souhaité aborder sous l’angle des normes appliquées au regard du Code de la propriété intellectuelle. Avec un intérêt particulier pour la loi sur la copie privée, modifiée en décembre 2011 avec notamment l’article L 122-5 qui est à l’origine de la copy party. Par ailleurs, afin de travailler sur le domaine d’exploration « Images et langages », nous avons opté pour des visuels sous forme d’infographie, type de document particulièrement adapté à la lecture numérique. L’idée générale, peut être ambitieuse pour des élèves de seconde, j’en reparlerai dans un compte rendu à venir, étant de partir des usages des élèves pour les inclure dans une série d’enjeux, en particulier sociaux, politiques et sociocognitifs, qui les conduise à des pratiques distanciées dans leur relation au numérique en tant qu’objet médiatique.

Afin de remplir nos objectifs notionnels nous avons, dans un premier temps (6 séances), réparti les thématiques par groupe de deux à trois élèves qui ont travaillé sur le livre numérique, la lecture numérique, la copie privée, le plagiat, Hadopi, la copy party, les licences créatives commons, l’exception pédagogique et les Digital Rights Management (DRM).  Outre la réalisation des infographies, qui constituait l’un de nos objectifs d’apprentissage, une partie des séances était consacrée à un moment de mutualisation de sorte que l’ensemble des élèves conserve une vue d’ensemble sur l’avancée du projet. Dans un second temps (3 séances), nous avons travaillé avec les élèves sur les documents qui seront distribués lors de la copy party : un rappel du texte législatif en vigueur accompagné d’un engagement formel à ne pas s’y soustraire ; un mémo sur l’utilisation technique des appareils (privé) de copie, ce qui constitue notre deuxième objectif d’apprentissage ; un questionnaire à remplir lors des différents ateliers qui seront proposés, et à partir duquel nous évaluerons les élèves.

Sans compter ceux qui, au cours de la journée, peuvent venir sur leur temps libre, environ 90 élèves sont attendus sur un créneau banalisé d’1h30. Ce faisant il nous a semblé préférable de répartir les élèves dans quatre ateliers avec des rotations tous les quarts d’heure. Le premier atelier est l’exposition elle-même, constituée par l’ensemble des infographies réalisées par les élèves ainsi que le texte de présentation ci-dessus. Nous avons par ailleurs souhaité un atelier spécifique pour les Licences Créatives Commons. Pour avoir noté les difficultés que pouvaient avoir nos élèves à comprendre ce qu’elles sont, il nous a semblé pertinent de déléguer quelques élèves « tuteurs » pour en expliquer le principe ainsi que les différentes combinaisons, qu’ils pourront expérimenter en ligne. Un troisième atelier, plus technique, va permettre aux élèves de manipuler une tablette ainsi qu’un graveur de DVD, ou encore de retravailler une photo à partir d’un logiciel d’OCR. C’est aussi lors de cet atelier que les élèves seront invités à signer un document récapitulant les conditions de copie inhérente à la copy party. Le quatrième et dernier atelier, plus réflexif, sera l’occasion d’un échange sur les pratiques des élèves ainsi qu’un espace de débat sur deux questions plus complexes : à propos de l’utilisation pédagogique des smartphones ; et sur le modèle économique de la copie privée, qui pour la culture a généré 191 millions d’euros en 2011, dont un quart finance des actions collectives.

Nous supposons ces quatre ateliers complémentaires dans la répartition des contenus et l’approche pédagogique des savoirs, qu’il s’agisse des notions abordées ou des manipulations proposées aux élèves, mais encore dans l’approche des modèles sociétaux sous-jacents sur lesquels les élèves vont pouvoir commencer à réfléchir. Dans un article à venir la semaine prochaine je vous proposerai une analyse de l’ensemble du dispositif, avec un renvoi vers les documents supports, dont les infographies réalisées par les élèves, ainsi qu’un retour sur le déroulement de cette journée. Mais d’ici là vous pouvez nous suivre vendredi avec le hashtag #copyparty. Nous mettrons pour cela à contribution nos élèves de BTS CGO qui dans le cadre de leur enseignement ont un module « paroles, échanges, conversation et révolution numérique ».

MàJ : Pour un compte-rendu de cette copy party sur Bibliobsession. Puis un retour d’expérience sur Cactus acide. Ou une brève de Docs pour Docs consacrée à ce projet.

Appréhender la lecture numérique (1) : petit inventaire des savoirs associés

Je prolonge ici les conclusions de ma série d’articles sur la notion de document abordée par le mind mapping. Le schéma heuristique que j’en ai extrait a placé la lecture numérique en situation de concept nodal, auquel je souhaite désormais me consacrer, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité. Il me semble, en effet, que c’est là un objet d’étude trop récent pour qu’il soit tout à fait stabilisé, du moins selon une approche info-documentaire. Aussi, puisqu’il ne constitue pas (encore ?) une entrée du Dictionnaire des concepts info-documentaires, dont je me suis servi pour la notion de « document », je me propose de prendre appui sur celui de l’association Ars industrialis dont je vais m’inspirer.

Il me semble, pour commencer, que la lecture numérique, au même titre que la lecture « classique », suppose que soit défini un projet de lecture. Celui-ci influence le parcours de lecture, qui dépend en grande partie de la culture que nous avons du domaine que nous explorons. C’est là une constante qu’il faut sans doute rappeler si l’on veut considérer l’importance de la validation des contenus, qui guide notre progression, y compris par sérendipité. C’est ouvrir, par ailleurs, tout un champ de notions info-documentaires déclinées autour de celles de pertinence et de fiabilité. Je vous renvoie, sur ce point, à cet autre schéma heuristique, afin d’en explorer l’étendue. Cela me semble d’autant plus fondamental que le contrôle des contenus, dans l’environnement numérique, hors contexte scolaire où cela peut être envisagé, se fait largement a posteriori. De sorte que la lecture numérique convoque des compétences informationnelles, selon l’acception de Philippe Perrenoud (voir le schéma), au-delà d’une stricte approche méthodologique.

Lettres montage Licence Creatives common photo credit : aloupicturesLettres montage Creative Commons Licence photo credit : maloupictures
Lettres montage Creative Commons Licence photo credit : maloupictures

Concrètement, ce projet de lecture, caractérisé par l’intention du lecteur, se manifeste lors de la navigation hypertexte. L’enjeu éducatif, pour nos élèves, consiste, il me semble, à orienter leur parcours de sorte qu’il conserve du sens, selon l’intention, et qu’il fasse sens, selon les objectifs visés. Je ne m’attarderai pas sur ce second point qui mériterait d’être abordé seul en ce qu’il engage un questionnement pédagogique et politique sur les finalités de l’École. En revanche, dans un contexte numérique caractérisé par des données informationnelles pléthoriques et une attention potentiellement distraite, apprendre aux élèves à conserver le fil de leur lecture est fondamental. Aussi me semble-t-il, sur ce point, qu’il pourrait être pertinent d’élaborer une cartographie sémantique de l’hypertexte qui donne du sens au « champ des possibles » que constitue la navigation des élèves. Il me semble par ailleurs important d’apprendre aux élèves à baliser leur progression de sorte qu’ils en conservent la mémoire. Je pense bien sûr aux sitographies, mais encore aux différentes formes  d’annotation et de marquage pour lesquelles je vous renvoie, par exemple, à la récente publication d’Olivier Le Deuff qui introduit, en outre, la notion de publication, afférente à la lecture numérique et sur laquelle je reviendrai dans une autre série d’articles. Il apparait en tout cas ici que la lecture numérique suppose l’acquisition de compétences documentaires.

Ferrocloutivipathie Creative Commons Licence photo credit : Gongashan
Ferrocloutivipathie Creative Commons Licence photo credit : Gongashan

La lecture numérique renvoie aussi à la notion d’architexte (Emmanuel Souchier), ce qui mêle cette fois compétences documentaires et informatiques, tant au niveau des équipements et de leur modèle sous-jacent (propriétaire/libre par exemple), qu’à celui du design ou encore des dispositifs.  Il me semble capital, au delà de la seule lecture du texte, d’aborder l’influence des environnements, en ce qui les caractérise, que l’on se situe du côté des matériels ou des plateformes. A cet égard, je suppose pertinente une approche selon les médias, que le rendu soit textuel, illustré ou sonore (pour ne rester qu’aux formes élémentaires). Ce qui implique des logiciels et des formats variables dont il est sans doute essentiel de connaitre les principales caractéristiques afin de pouvoir anticiper une production (en particulier pour le transmédia, structure documentaire émergente). Mais encore une connaissance de plateformes plurielles afin de ne pas rester sous la dépendance d’un dispositif unique. Je suppose capital, sur ce point, que soient appréhendés différents modèles dans une logique de comparaison. Ce serait là apporter une réponse aux enjeux sociocognitifs et politiques posés par le numérique.

Au moment de conclure je m’aperçois avoir pris pour trame, à dessein peut être, par conviction certainement, le tryptique culture des médias, documentaire et informatique de la culture informationnelle. Sur ces bases, dans une série d’articles à venir, je m’emploierai à proposer des séquences pédagogiques construites à partir de ce petit inventaire des savoirs info-documentaires associés à la lecture numérique.

Projet « Historiae » : pistes de réflexion

Après avoir envisagé l’éventualité d’une évolution du projet « Historiae », je me propose de développer quelques pistes de réflexion suite à une séquence achevée avec des élèves de seconde. En liminaire je souhaite insister sur le fait qu’il ne s’agira là que d’hypothèses non généralisables, compte-tenu de la seule vingtaine d’élèves concernés. Aussi, si mes observations trouvent quelques échos chez vous ou si, au contraire, elles vous sont lointaines, je vous invite à commenter cet article.

Où l’on reparle du copier-coller

S’il est vrai que l’essentiel des groupes a réalisé un travail satisfaisant je regrette de ne pas pouvoir publier les articles écrits par les élèves. Flagrante ou plus édulcorée, la part de copier-coller y est malheureusement trop systématique pour que cela soit possible. Aussi je reprends l’une des conclusions développées dans un article précédent. Il semble qu’il y ait une difficulté réelle à réécrire, pour certains élèves, avec leurs mots, des contenus. Ce qui peut résulter d’un défaut de compréhension, donc d’appropriation.

Mais il est vrai aussi, et peut être surtout, qu’ils sont peu familiarisés avec cette contrainte d’écriture qu’est le style journalistique. Or si celui-ci a en commun avec le style encyclopédique (rappelons ici le recours méthodologique des élèves à « Wikipédia ») l’importance de la présentation des faits, il n’est en revanche pas neutre. C’est là toute l’influence d’une politique éditoriale selon la source. Il me semble donc, ce que je n’ai manifestement pas suffisamment fait, qu’il serait pertinent d’insister davantage sur la mise en contradiction des différentes thèses défendues. En les cartographiant, par exemple, que les auteurs apportent une explication rationnelle ou irrationnelle aux énigmes historiques traitées par les élèves. Ce faisant, il pourrait ensuite leur être donné pour consigne d’argumenter selon leur propre conscience, de sorte qu’impliqués eux-mêmes, ils soient conduits à se situer dans le débat contradictoire.

Contradiction Creative Commons licence photo credit : topastrodfogna
Contradiction Creative Commons licence photo credit : topastrodfogna

Susciter l’esprit de contradiction…

Au-delà du jeu de mot, il est sans doute important de rappeler que les élèves sont peu familiarisés, avant le lycée, avec les notions d’argumentaire et de contradiction. Ce n’est pas là une critique mais le simple constat d’une progression, cohérente du reste, qui voit nos élèves aborder plus systématiquement ces questions en ECJS pour le débat et en TPE pour la problématique. Il me semble cependant, en toute modestie, que ce modèle pourrait gagner à être réactualisé dans la mesure où il est fondé sur un unique contrôle a priori du savoir, aujourd’hui dépassé. Nous savons qu’internet a modifié ce paradigme en introduisant la nécessité d’un examen a posteriori face à la multiplicité de publications qui concourent à la fragilisation du concept d’ « autorité ». Rapporté au projet Historiae, la compétence des professeurs documentalistes se situe probablement à ce niveau, complémentaire de l’attachement des historiens à la recherche des faits, et des professeurs de lettres à la recherche du style.

Open source water Creative Commons licence photo credit : Schoschie
Open source water Creative Commons licence photo credit : Schoschie

Vous avez dit critères d’évaluation..?

Une seconde partie du travail demandé aux élèves consistait en la détermination, par eux dans un premier temps, puis avec ma remédiation, de critères d’évaluation qui nous permettent de considérer si les sites qu’ils avaient consultés étaient a priori fiables ou non. Singulièrement, et je suis d’autant moins porté à généraliser que ce cas ne s’était jamais produit, les élèves n’ont pas compris, malgré plusieurs explications sur ce terme, ce que j’entendais par « critères d’évaluation ». Si une première explication peut tenir au fait que je me sois sans doute mal exprimé ou que ma consigne n’était pas claire, la raison est peut-être à trouver ailleurs. La non reconnaissance du mot « critère » par les élèves, dans ce contexte particulier, laisse supposer qu’il n’est pas signifiant, pour eux, dans leur évaluation de l’information. En conséquence, il me semblerait opportun, pour préparer au débat et à la problématique sans doute, mais surtout en soi, d’aborder systématiquement, et non occasionnellement, quand c’est encore le cas, cette question de la fiabilité en collège. C’est un  enjeu fondamental.

Les deux groupes qui travaillaient sur l’assassinat de JFK ont été confrontés à une difficulté qu’ils n’ont pas vu. Les élèves se sont appuyés sur un site d’extrême droite pour réaliser leur travail. Il ne s’agit pas ici de blâmer des élèves de seconde qui peuvent ne pas être familiarisés avec la terminologie et la symbolique identitaire. De même que je ne crois pas utile de réagir trop vivement face à un élève qui, piqué au vif dans sa relation quasi matricielle au web, ne voit pas de problème à passer par un site d’extrême droite pour construire son travail. Il en va ici davantage de la responsabilité de l’enseignant à aborder avec les élèves ces infopollutions en les replaçant dans les enjeux politiques et axiologiques qui feront sens progressivement, au collège et au lycée, chez des élèves en quête d’une majorité émancipatrice.

C’est sans doute là faire appel au philosophe, qui recherche la vérité.

Aborder la notion de document par le mind mapping (4) : dimension structurelle

Avant dernier article de cette série consacrée à la notion de document abordée par le mind mapping, je me propose de développer ici la dimension structurelle, en vue de son exploitation en classe avec les élèves. Il me semble que les notions et objectifs info-documentaires sont différents que l’on choisisse de travailler sur un schéma conceptuel (CmapTools par exemple) ou une carte heuristique (Mindomo). Aussi je pense pertinent d’explorer différentes situations pédagogiques selon le type d’outils qui est utilisé.

S’agissant des schémas conceptuels, je suppose trois pistes intéressantes, fondées sur la hiérarchisation des concepts ou des idées. Pour commencer, il peut être imaginé, dès la sixième, de proposer aux élèves de réaliser, simplement sous forme d’exercice, un schéma conceptuel d’une partie du rayonnage des documentaires du CDI. Ce serait sans doute là un bon moyen de rendre plus concret l’idée de classification. Mais aussi de commencer à aborder les notions de document primaire et secondaire en distinguant la cote, qui dépend d’une classification (Dewey, CDU,…), des « informations » contenues dans les documentaires.

Deuxième point, il peut être pertinent d’envisager les schémas conceptuels sous la fonction de documents de collecte. Nous ne sommes pas très loin, sous cette forme, d’un outil comme « Pearltrees », organisé en arborescence. L’idée est ici de structurer les contenus tel un sommaire, qu’il s’agisse de réaliser une sitographie  ou plus généralement de concevoir un plan. Je pense ici en particulier aux élèves de lycée professionnel (mais cela concerne aussi le lycée général) qui peuvent parfois avoir des difficultés à synthétiser leur travail. La formalisation visuelle des liens qui unissent les différentes questions à aborder pour traiter un sujet ne peut qu’être bénéfique pour qu’ils perçoivent les relations entre les différents points.

Dans le même ordre d’idée, une progression peut être établie avec un logiciel comme « CmapTools » qui impose des connecteurs logiques entre les concepts. Il s’agit ici, en quelques mots, le nombre de ceux-ci pouvant participer de la consigne, d’établir une relation dans la hiérarchie. Nous touchons là à la structure rhétorique du schéma conceptuel qui rend possible l’étape de verbalisation dans l’acquisition des savoirs. Il est à noter que si cartes et schémas conceptuels créent, avec l’image, comme nous l’avons supposé ici, un rapprochement entre les dimensions matérielle et structurelle du document, un deuxième rapprochement semble s’opérer entre les dimensions structurelle et intellectuelle, au niveau de l’approche sémiotique [1].

Never see the signs in my Life Creatives Commons licence Photo credit : mbtphoto
Never see the signs in my Life Creatives Commons licence Photo credit : mbtphoto

Les cartes heuristiques, avec un logiciel du type « Mindomo », apportent d’autres pistes pédagogiques, en lien avec la notion de « média » dans le contexte du Web. La possibilité de recourir aux liens hypertextes dans la construction d’une carte crée de l’instabilité documentaire et questionne la notion d’unité documentaire qui renvoie à celle d’information. Sans nécessairement développer le concept d’hypomnemata, cher à Bernard Stiegler, le document numérique, prothèse mémorielle, trouve une limite avec cette instabilité. C’est d’autant plus vrai pour l’essentiel des élèves qui conçoivent rarement le web comme une structure changeante. Il suffirait, afin d’y remédier, de les faire travailler sur un document qui contienne des liens hypertextes et, petite espièglerie de professeur, d’en « briser » un, entre deux séances, de sorte qu’ils aient à en chercher la raison. Une situation-problème serait sans doute ici particulièrement adaptée. Ce peut aussi être l’occasion de travailler sur la question des mises à jour dont les élèves ne perçoivent pas toujours l’importance. L’idée étant de leur montrer que les pages web peuvent évoluer et que ce qu’ils consultent tel jour peut avoir été modifié le lendemain.

Second point, ces cartes heuristiques peuvent participer d’un scénario pédagogique dans lequel soient mises en jeu les notions d’unité documentaire et de granularité de l’information. L’idée est ici de partir d’une carte terminée, qui contienne des liens hypertextes et de confronter le projet de communication au projet de lecture. Il ne s’agit pas ici d’interroger, strictement, le parcours de lecture interne au document, ce qui a été proposé dans l’article sur la dimension intellectuelle, mais de conduire les élèves à se questionner sur leur navigation, de la carte aux liens. Ceci acquis il est sans doute pertinent de transposer ce questionnement des élèves au Web pour définir, donc distinguer, les notions d’ « information » et de « données informationnelles », ce qui peut trouver un prolongement dans l’acquisition de savoirs relatifs aux infopollutions et à la validation de l’information.

Il apparaît que la notion de document abordée par le mind mapping sous-tend de nombreuses notions que je me proposerai de structurer, surprise, dans… un schéma conceptuel, afin de conclure cette série d’articles.

[1] La virtualité fait ici le lien entre les trois dimensions du document (intellectuelle, matérielle et structurelle). Mais parce que des éléments me manquent et que je devine un syllogisme, je ne pousserai pas plus avant ma réflexion sur le sujet.

Aborder la notion de document par le mind mapping (3) : dimension matérielle

Troisième article consacré à la notion de « document » abordé sous l’angle du mind mapping, je vais ici m’employer, après la dimension intellectuelle, à proposer quelques pistes de séances pédagogiques sur la dimension matérielle du document. Cette dimension porte en elle la notion de « support » dont le lien avec les cartes et schémas conceptuels ne semble pas, a priori, particulièrement fécond tant il y a une forme d’ « indépendance matérielle » que l’on réalise ces cartes sur un support imprimé ou numérique. Pourtant…

Pourtant il serait intéressant de faire travailler très tôt les élèves sur les caractéristiques techniques des différents supports, que l’on se place, du point de vue du document, dans le champ de la conservation (papier, disque dur,…), de la communication (imprimé, numérique,…) et de la transmission (postale, filaire,…). Ce serait là leur donner les moyens de se repérer dans des environnements souvent flous, ce qui est bien compréhensible. Ils n’en concevraient alors que mieux les différences entre les différents supports, abordés comme des technologies.

Ces premiers savoirs posés, afin de  se donner des références communes pour aller plus avant, les cartes et schéma conceptuels peuvent faire l’objet, entre autres documents, d’une réflexion sur les supports mêmes. L’idée est ici de sortir de la dichotomie manichéenne imprimé/numérique pour considérer les évolutions et complémentarités de ces supports selon l’emploi que l’on en a. Sans doute serait-il pertinent sur ce point, dès la fin du collège, de questionner la place que prennent les technologies dans notre quotidien et quel rapport nous entretenons avec elles. C’est à mon avis là le minimum, avant d’aller plus loin.

i, robot Creative Commons Licence photo credit : Myriapod
i, robot Creative Commons Licence photo credit : Myriapod

Pour avancer sur ce sujet le dossier de l’INA sur L’éducation aux cultures de l’information offre des perspectives fascinantes, en attendant la didactisation des contenus. L’approche de la notion de « support » par le mind mapping est intéressante en ce qu’elle caractérise une modification de notre rapport au document. Cartes et schémas conceptuels formalisent la cohabitation d’une culture de l’écrit fondée sur l’imprimé à une culture visuelle liée au numérique. Or, au-delà des charges symboliques et culturelles qui se trouvent parfois réifiées dans les objets, c’est notre lecture qui s’en trouve modifiée.  Le numérique, en intégrant davantage l’image, crée les conditions d’un rapport spacialisé là où l’imprimé, avec les va-et-vient dans le texte, l’inscrit dans une temporalité. Cette relation induite par le support modifie nos cadres mentaux et donc, potentiellement, notre analyse d’un document. Il me semble important d’aborder avec les élèves ces formes d’intersubjectivité qui dépassent largement la relation homme/machine.

La matérialité du support ne se limite pas à l’objet, qui arrête notre regard, mais se prolonge dans le système auquel il est intégré. Il faut associer les potentialités de la machine, support-objet, aux potentialités qu’offre le réseau auquel elle est connectée. Reporté au document, ce sont ici les notions de conservation (des données « data ») et de partage qui sont à réinterroger. Sur ce deuxième point la notion d’architexte évoquée par Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier au sujet des écrits d’écran est essentielle. Appliquée aux logiciels et applications, qui dépendent de plus en plus des supports (Apple, Amazon,…), un deuxième rapprochement semble s’opérer, après celui de la culture de l’écrit avec celle de l’image, caractérisé par l’imbrication partielle de la dimension matérielle du document avec sa dimension structurelle.

Mind the system, find the gap - opening Creative Commons Licence credit photo : Z33 art center
Mind the system, find the gap – opening Creative Commons Licence credit photo : Z33 art center

Les enjeux sous-jacents, éducatifs, sociocognitifs et politiques sont cruciaux, et si la dimension matérielle du document renvoie à des notions qui demandent à être didactisées, je rejoins la proposition 4 du GRCDI qui vise « à faire le lien entre les cultures info-documentaire, médiatique et numérique », afin que les élèves accèdent à la majorité dans leur rapport aux technologies. Ce qui s’avérera aussi vrai au sujet de la dimension structurelle du document que je me propose d’aborder dans un prochain article.

Aborder la notion de document par le mind mapping (2) : dimension intellectuelle

Après avoir posé le cadre épistémologique, je poursuis cette série d’articles, envisagée pour deux, mais qui devrait finalement en comporter quatre… ou cinq, afin d’examiner avec méthode des pistes de séquences. Le Dictionnaire des concepts info-documentaires est en cela intéressant qu’il fait apparaître, au-delà d’une approche épistémologique et didactique des différents concepts, les liens qui les unissent, de sorte que ces ramifications sont autant d’opportunités pour y piocher des contenus et élaborer un scénario pédagogique. Je me concentrerai donc ici sur la dimension intellectuelle du document avant de consacrer deux nouvelles publications à une approche matérielle puis structurelle de celui-ci.

Aborder la dimension intellectuelle du document renvoie explicitement au concept d’auteur, qui doit pouvoir être envisagé selon deux axes, que les élèves soient les « lecteurs » ou les producteurs d’une carte ou d’un schéma conceptuel.

Inside my mind Creative Commons Licence photo credit : HungryForester
Inside my mind Creative Commons Licence photo credit : HungryForester

Il peut être pertinent de les confronter à une carte conceptuelle de sorte qu’ils formulent des hypothèses sur le contenu du document original. L’idée pourrait être, seul ou en interdisciplinarité, de partager les élèves en deux groupes (des « sous groupes » sont envisageables) auxquels est remis un texte différent à partir duquel ils vont devoir élaborer une carte conceptuelle. Celle-ci est ensuite donnée à l’autre groupe, et vice versa, les élèves exprimant des suppositions sur le contenu du texte d’origine. Ce faisant il s’agit de donner aux élèves, en les mettant en situation de concepteurs et de lecteurs d’une carte, les moyens de mesurer l’importance des éléments de contexte, caractérisés en partie par l’auteur, et l’influence de la part de subjectivité présente tant chez les élèves qui ont pensé la carte conceptuelle que chez ceux qui ont déduit des contenus.

Cette séquence peut être montée sur un temps court de une à deux heures avec des objectifs info-documentaires à adapter. Mais aussi sur une séquence plus longue dès lors que la création d’une carte ou d’un schéma conceptuel se justifie. C’est par exemple ce que nous envisageons de faire pour la copy party, l’un des thèmes abordés étant le plagiat, une carte conceptuelle consistant précisément à l’éviter.

L’intérêt de ces deux situations réside dans la complémentarité des objectifs info-documentaires abordés avec les élèves. Au-delà du fait qu’elles participent sur un temps long à l’acquisition de savoirs relatifs aux concepts de « document » et d' »auteur« , elles font le lien avec celui de « validation de l’information« , donc aussi celui de « source« , et d' »autorité« . Attirer l’attention des élèves sur le contexte qui accompagne la réalisation d’un document suppose qu’ils questionnent l’intentionnalité de celle-ci. Ce faisant ils seront conduits à s’interroger sur la source dont ils devront valider l’autorité.

Cette validation, qui passe par une évaluation de l’information, peut donner lieu à une séquence spécifique sur ce second concept. Par ailleurs, ces deux situations élaborées à partir de cartes ou de schémas conceptuels, dès lors qu’elles sont transposées sur le web, peuvent trouver un prolongement autour du concept de « publication« , ainsi que celui de « responsabilité éditoriale » qui lui est lié. Ce peut donc être une étape dans une progression fondée sur des savoirs info-documentaires.

Enfin, dans la relation qui s’inscrit entre l’intentionnalité de l’émetteur et la part de subjectivité inhérente à la singularité du récepteur, aborder la dimension intellectuelle d’une carte conceptuelle peut participer à l’appropriation par les élèves de l’auteur, non plus comme un mythe, mais comme une entité construite, inscrite dans un système de références.

Je m’appliquerai à aborder, dans un prochain article, la dimension matérielle du document associé à une situation de carte conceptuelle.

Aborder la notion de document par le mind mapping (1) : cadre épistémologique

Il participe de l’acte d’enseigner que de pouvoir échanger avec ses élèves de sorte qu’au-delà d’une remarque fortuite germe une idée qui donnera corps à un travail à venir. Ce sentiment est d’ailleurs amplifié quand, petite espièglerie d’élève, l’objectif inavoué de cette observation tient en la diminution de la tâche à accomplir. Ce fut le cas en juin dernier lorsqu’en conclusion de la séquence « Publier sur le Web », un élève de seconde émit l’idée d’une carte heuristique en lieu et place de la production écrite initialement envisagée. Et il faut bien reconnaître que cette idée méritait d’être considérée.

Il m’est spontanément venu à l’esprit l’hypothèse d’une comparaison entre les potentialités d’une carte heuristique et d’un schéma conceptuel. Je me suis donc penché sur les exemples (il en existe d’autres) de « Mindomo », évoqué par cet élève, et « CmapTools », que j’avais utilisé par ailleurs. Quoi que ce projet me soit apparu prometteur je l’ai abandonné un temps, ne parvenant pas à déterminer quelles notions info-documentaires pouvaient y être rattachées. Et ce n’est qu’en me replongeant dans le « Dictionnaire des concepts info-documentaires » que l’évidence s’est faite sur le concept de document. Mais il est vrai que par « document » l’on envisage plus spontanément un texte écrit ou une illustration du type image ou photographie. Pourtant la carte heuristique et le schéma conceptuel répondent bien à la double caractéristique de conservation (avec des nuances il est vrai), de par la possibilité d’inscription sur un support, et de potentiel signifiant, avec une structuration qui évolue avec les notions d’architexte et l’hypertexte,  propres au contexte numérique.

Dès lors, aborder le concept de document par le moyen d’une comparaison entre une carte élaborée sur « Mindomo » ou « CmapTools », au-delà du simple fait que cela se justifiait, m’a semblé être particulièrement intéressant. J’ai repris pour ce faire la grille d’analyse proposée par Ivana Ballarini-Santonocito et Pascal Duplessis selon que l’on s’intéresse à la dimension sémantique, matérielle ou structurelle du document; ces trois approches apportant leurs propres savoirs à faire acquérir aux élèves.

Where is my mind? Creative Commons License photo credit : wayneandwax
Where is my mind? Creative Commons License photo credit : wayneandwax

Du point de vue sémantique la distinction, pas toujours évidente selon l’emploi, entre représentation du contenu en arborescence (carte heuristique) et structuration des concepts (carte conceptuelle) me semble difficilement assimilable avant la terminale par des  lycéens. Aussi il me semble plus pertinent d’insister sur l’intention et la part d’inter-subjectivité inhérente à toute forme de communication en distinguant le « documenteur » (disons l’auteur), le document et le « documenté » (disons le lecteur).

Au sujet de la dimension matérielle, ici numérique, un outil comme « Mindomo » peut paraître plus intéressant de par la possibilité d’y associer des liens hypertextes. Mais sur le fond, en terme de support, je suppose que réaliser ces cartes à main levée revient au même (mais il se peut que je sois en retard sur le numéro de la version la plus récente). L’intérêt que revêt cette dimension tient ici davantage à une confrontation des potentialités et contraintes liées au support matériel ou numérique. Sous-jacents l’on peut aborder les contextes de communication, de conservation ou encore de transmission selon le support.

Pour terminer, l’approche structurelle, plutôt qu’une distinction, pose le principe d’une complémentarité sur la logique interne du document, qu’elle soit fondée sur la mise en relation des concepts par des mots (CmapTools) ou sur la construction d’une arborescence prolongée par des liens hypertextes (Mindomo). Pour le premier outil, il est pertinent de s’attarder sur les connecteurs, ou mots, qui donnent sens à la relation entre les concepts. Cela constitue un bon moyen d’aborder les différences entre approche dénotative, constatative (hypothèses) et interprétative. Le second outil (Mindomo) est lui judicieux pour introduire les notions d’unité documentaire et de granularité de l’information (les liens hypertextes renvoient vers d’autres documents « annexés »), ainsi que d’instabilité documentaire, plus spécifique au contexte numérique. Ce qui constitue sans doute une base intéressante pour conduire les élèves à penser le web comme une structure changeante, en mouvement, avec ses créations et ses « disparitions » de documents. Mais aussi à penser l’influence d’un dispositif technologique dans la lecture que l’on a d’un document (architexte, hypertexte).

Et peut-être ainsi de conclure sur l’idée qu’il ne s’agit pas de mettre en concurrence les outils mais de déterminer lesquels sont les plus appropriés selon les situations dans une relation de complémentarité, ce qui constitue le gage d’une forme d’autonomie.

Le cadre épistémologique posé dans ce premier article, un second est à venir dans lequel j’apporterai des pistes plus précises pour formaliser une séquence pédagogique.

Projet « Historiae » : piste de progression

Pour l’avoir testé l’année précédente en lycée je suppose pertinent de faire évoluer le projet « Historiae » de sorte que les objectifs d’apprentissage, établis à l’origine pour des élèves de troisième,  soient adaptés à des secondes. Aussi, pour répondre à cette logique de progression, j’ai demandé aux élèves de déterminer par eux-mêmes, dans une démarche heuristique, les critères qui leur semblent importants pour évaluer la fiabilité des informations sur lesquelles ils vont s’appuyer pour construire leur article, dont le sujet porte toujours sur une énigme historique ou une légende urbaine.

Ils disposent à cet effet, dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, de 6 heures décomposées comme suit : 4 heures sont dévolues aux recherches d’informations, à la réflexion sur les critères d’évaluation et à la rédaction de l’article (25-30 lignes) ; 2 heures sont consacrées à la présentation, par chacun des groupes (2 élèves), des critères qu’ils auront retenus lors d’une phase d’échange avec l’ensemble du groupe et une phase de remédiation par les professeurs. Je précise, une fois n’est pas coutume, avoir interdit aux élèves l’utilisation de ressources papier. Interdiction dont je ne leur ai pas donné la raison (brouillage des sources – validation a priori/a posteriori) mais sur laquelle je reviens lors de la phase de remédiation.

Brouillage Creative Commons Licence photo crédit : ZeMitch
Brouillage Creative Commons Licence photo crédit : ZeMitch

Une première évaluation diagnostique, pour laquelle je leur demandais de me dire quels étaient les critères qu’ils retenaient pour évaluer la fiabilité d’un site ou d’une information, les a laissé sans voix. Aussi devrait-il être relativement simple de mesurer leur progression, notamment lors de la présentation orale et la phase d’échange. Par ailleurs, selon les contenus (critères de fond/critères de forme) apportés par les élèves, je n’exclus pas de recourir à un « pad » pour un travail collectif de rédaction en classe ou à la maison (entre les séances 5 et 6).

A ce jour les élèves ont choisi le sujet sur lequel ils vont travailler et ont à peine débuté leurs recherches, laissant pourtant déjà planer un doute sur la date de découverte de la sépulture de Toutankhamon… Séquence à suivre dont je vous ferai part ultérieurement.