Aborder la notion de document par le mind mapping (3) : dimension matérielle

Troisième article consacré à la notion de « document » abordé sous l’angle du mind mapping, je vais ici m’employer, après la dimension intellectuelle, à proposer quelques pistes de séances pédagogiques sur la dimension matérielle du document. Cette dimension porte en elle la notion de « support » dont le lien avec les cartes et schémas conceptuels ne semble pas, a priori, particulièrement fécond tant il y a une forme d’ « indépendance matérielle » que l’on réalise ces cartes sur un support imprimé ou numérique. Pourtant…

Pourtant il serait intéressant de faire travailler très tôt les élèves sur les caractéristiques techniques des différents supports, que l’on se place, du point de vue du document, dans le champ de la conservation (papier, disque dur,…), de la communication (imprimé, numérique,…) et de la transmission (postale, filaire,…). Ce serait là leur donner les moyens de se repérer dans des environnements souvent flous, ce qui est bien compréhensible. Ils n’en concevraient alors que mieux les différences entre les différents supports, abordés comme des technologies.

Ces premiers savoirs posés, afin de  se donner des références communes pour aller plus avant, les cartes et schéma conceptuels peuvent faire l’objet, entre autres documents, d’une réflexion sur les supports mêmes. L’idée est ici de sortir de la dichotomie manichéenne imprimé/numérique pour considérer les évolutions et complémentarités de ces supports selon l’emploi que l’on en a. Sans doute serait-il pertinent sur ce point, dès la fin du collège, de questionner la place que prennent les technologies dans notre quotidien et quel rapport nous entretenons avec elles. C’est à mon avis là le minimum, avant d’aller plus loin.

i, robot Creative Commons Licence photo credit : Myriapod
i, robot Creative Commons Licence photo credit : Myriapod

Pour avancer sur ce sujet le dossier de l’INA sur L’éducation aux cultures de l’information offre des perspectives fascinantes, en attendant la didactisation des contenus. L’approche de la notion de « support » par le mind mapping est intéressante en ce qu’elle caractérise une modification de notre rapport au document. Cartes et schémas conceptuels formalisent la cohabitation d’une culture de l’écrit fondée sur l’imprimé à une culture visuelle liée au numérique. Or, au-delà des charges symboliques et culturelles qui se trouvent parfois réifiées dans les objets, c’est notre lecture qui s’en trouve modifiée.  Le numérique, en intégrant davantage l’image, crée les conditions d’un rapport spacialisé là où l’imprimé, avec les va-et-vient dans le texte, l’inscrit dans une temporalité. Cette relation induite par le support modifie nos cadres mentaux et donc, potentiellement, notre analyse d’un document. Il me semble important d’aborder avec les élèves ces formes d’intersubjectivité qui dépassent largement la relation homme/machine.

La matérialité du support ne se limite pas à l’objet, qui arrête notre regard, mais se prolonge dans le système auquel il est intégré. Il faut associer les potentialités de la machine, support-objet, aux potentialités qu’offre le réseau auquel elle est connectée. Reporté au document, ce sont ici les notions de conservation (des données « data ») et de partage qui sont à réinterroger. Sur ce deuxième point la notion d’architexte évoquée par Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier au sujet des écrits d’écran est essentielle. Appliquée aux logiciels et applications, qui dépendent de plus en plus des supports (Apple, Amazon,…), un deuxième rapprochement semble s’opérer, après celui de la culture de l’écrit avec celle de l’image, caractérisé par l’imbrication partielle de la dimension matérielle du document avec sa dimension structurelle.

Mind the system, find the gap - opening Creative Commons Licence credit photo : Z33 art center
Mind the system, find the gap – opening Creative Commons Licence credit photo : Z33 art center

Les enjeux sous-jacents, éducatifs, sociocognitifs et politiques sont cruciaux, et si la dimension matérielle du document renvoie à des notions qui demandent à être didactisées, je rejoins la proposition 4 du GRCDI qui vise « à faire le lien entre les cultures info-documentaire, médiatique et numérique », afin que les élèves accèdent à la majorité dans leur rapport aux technologies. Ce qui s’avérera aussi vrai au sujet de la dimension structurelle du document que je me propose d’aborder dans un prochain article.

Aborder la notion de document par le mind mapping (2) : dimension intellectuelle

Après avoir posé le cadre épistémologique, je poursuis cette série d’articles, envisagée pour deux, mais qui devrait finalement en comporter quatre… ou cinq, afin d’examiner avec méthode des pistes de séquences. Le Dictionnaire des concepts info-documentaires est en cela intéressant qu’il fait apparaître, au-delà d’une approche épistémologique et didactique des différents concepts, les liens qui les unissent, de sorte que ces ramifications sont autant d’opportunités pour y piocher des contenus et élaborer un scénario pédagogique. Je me concentrerai donc ici sur la dimension intellectuelle du document avant de consacrer deux nouvelles publications à une approche matérielle puis structurelle de celui-ci.

Aborder la dimension intellectuelle du document renvoie explicitement au concept d’auteur, qui doit pouvoir être envisagé selon deux axes, que les élèves soient les « lecteurs » ou les producteurs d’une carte ou d’un schéma conceptuel.

Inside my mind Creative Commons Licence photo credit : HungryForester
Inside my mind Creative Commons Licence photo credit : HungryForester

Il peut être pertinent de les confronter à une carte conceptuelle de sorte qu’ils formulent des hypothèses sur le contenu du document original. L’idée pourrait être, seul ou en interdisciplinarité, de partager les élèves en deux groupes (des « sous groupes » sont envisageables) auxquels est remis un texte différent à partir duquel ils vont devoir élaborer une carte conceptuelle. Celle-ci est ensuite donnée à l’autre groupe, et vice versa, les élèves exprimant des suppositions sur le contenu du texte d’origine. Ce faisant il s’agit de donner aux élèves, en les mettant en situation de concepteurs et de lecteurs d’une carte, les moyens de mesurer l’importance des éléments de contexte, caractérisés en partie par l’auteur, et l’influence de la part de subjectivité présente tant chez les élèves qui ont pensé la carte conceptuelle que chez ceux qui ont déduit des contenus.

Cette séquence peut être montée sur un temps court de une à deux heures avec des objectifs info-documentaires à adapter. Mais aussi sur une séquence plus longue dès lors que la création d’une carte ou d’un schéma conceptuel se justifie. C’est par exemple ce que nous envisageons de faire pour la copy party, l’un des thèmes abordés étant le plagiat, une carte conceptuelle consistant précisément à l’éviter.

L’intérêt de ces deux situations réside dans la complémentarité des objectifs info-documentaires abordés avec les élèves. Au-delà du fait qu’elles participent sur un temps long à l’acquisition de savoirs relatifs aux concepts de « document » et d' »auteur« , elles font le lien avec celui de « validation de l’information« , donc aussi celui de « source« , et d' »autorité« . Attirer l’attention des élèves sur le contexte qui accompagne la réalisation d’un document suppose qu’ils questionnent l’intentionnalité de celle-ci. Ce faisant ils seront conduits à s’interroger sur la source dont ils devront valider l’autorité.

Cette validation, qui passe par une évaluation de l’information, peut donner lieu à une séquence spécifique sur ce second concept. Par ailleurs, ces deux situations élaborées à partir de cartes ou de schémas conceptuels, dès lors qu’elles sont transposées sur le web, peuvent trouver un prolongement autour du concept de « publication« , ainsi que celui de « responsabilité éditoriale » qui lui est lié. Ce peut donc être une étape dans une progression fondée sur des savoirs info-documentaires.

Enfin, dans la relation qui s’inscrit entre l’intentionnalité de l’émetteur et la part de subjectivité inhérente à la singularité du récepteur, aborder la dimension intellectuelle d’une carte conceptuelle peut participer à l’appropriation par les élèves de l’auteur, non plus comme un mythe, mais comme une entité construite, inscrite dans un système de références.

Je m’appliquerai à aborder, dans un prochain article, la dimension matérielle du document associé à une situation de carte conceptuelle.

Aborder la notion de document par le mind mapping (1) : cadre épistémologique

Il participe de l’acte d’enseigner que de pouvoir échanger avec ses élèves de sorte qu’au-delà d’une remarque fortuite germe une idée qui donnera corps à un travail à venir. Ce sentiment est d’ailleurs amplifié quand, petite espièglerie d’élève, l’objectif inavoué de cette observation tient en la diminution de la tâche à accomplir. Ce fut le cas en juin dernier lorsqu’en conclusion de la séquence « Publier sur le Web », un élève de seconde émit l’idée d’une carte heuristique en lieu et place de la production écrite initialement envisagée. Et il faut bien reconnaître que cette idée méritait d’être considérée.

Il m’est spontanément venu à l’esprit l’hypothèse d’une comparaison entre les potentialités d’une carte heuristique et d’un schéma conceptuel. Je me suis donc penché sur les exemples (il en existe d’autres) de « Mindomo », évoqué par cet élève, et « CmapTools », que j’avais utilisé par ailleurs. Quoi que ce projet me soit apparu prometteur je l’ai abandonné un temps, ne parvenant pas à déterminer quelles notions info-documentaires pouvaient y être rattachées. Et ce n’est qu’en me replongeant dans le « Dictionnaire des concepts info-documentaires » que l’évidence s’est faite sur le concept de document. Mais il est vrai que par « document » l’on envisage plus spontanément un texte écrit ou une illustration du type image ou photographie. Pourtant la carte heuristique et le schéma conceptuel répondent bien à la double caractéristique de conservation (avec des nuances il est vrai), de par la possibilité d’inscription sur un support, et de potentiel signifiant, avec une structuration qui évolue avec les notions d’architexte et l’hypertexte,  propres au contexte numérique.

Dès lors, aborder le concept de document par le moyen d’une comparaison entre une carte élaborée sur « Mindomo » ou « CmapTools », au-delà du simple fait que cela se justifiait, m’a semblé être particulièrement intéressant. J’ai repris pour ce faire la grille d’analyse proposée par Ivana Ballarini-Santonocito et Pascal Duplessis selon que l’on s’intéresse à la dimension sémantique, matérielle ou structurelle du document; ces trois approches apportant leurs propres savoirs à faire acquérir aux élèves.

Where is my mind? Creative Commons License photo credit : wayneandwax
Where is my mind? Creative Commons License photo credit : wayneandwax

Du point de vue sémantique la distinction, pas toujours évidente selon l’emploi, entre représentation du contenu en arborescence (carte heuristique) et structuration des concepts (carte conceptuelle) me semble difficilement assimilable avant la terminale par des  lycéens. Aussi il me semble plus pertinent d’insister sur l’intention et la part d’inter-subjectivité inhérente à toute forme de communication en distinguant le « documenteur » (disons l’auteur), le document et le « documenté » (disons le lecteur).

Au sujet de la dimension matérielle, ici numérique, un outil comme « Mindomo » peut paraître plus intéressant de par la possibilité d’y associer des liens hypertextes. Mais sur le fond, en terme de support, je suppose que réaliser ces cartes à main levée revient au même (mais il se peut que je sois en retard sur le numéro de la version la plus récente). L’intérêt que revêt cette dimension tient ici davantage à une confrontation des potentialités et contraintes liées au support matériel ou numérique. Sous-jacents l’on peut aborder les contextes de communication, de conservation ou encore de transmission selon le support.

Pour terminer, l’approche structurelle, plutôt qu’une distinction, pose le principe d’une complémentarité sur la logique interne du document, qu’elle soit fondée sur la mise en relation des concepts par des mots (CmapTools) ou sur la construction d’une arborescence prolongée par des liens hypertextes (Mindomo). Pour le premier outil, il est pertinent de s’attarder sur les connecteurs, ou mots, qui donnent sens à la relation entre les concepts. Cela constitue un bon moyen d’aborder les différences entre approche dénotative, constatative (hypothèses) et interprétative. Le second outil (Mindomo) est lui judicieux pour introduire les notions d’unité documentaire et de granularité de l’information (les liens hypertextes renvoient vers d’autres documents « annexés »), ainsi que d’instabilité documentaire, plus spécifique au contexte numérique. Ce qui constitue sans doute une base intéressante pour conduire les élèves à penser le web comme une structure changeante, en mouvement, avec ses créations et ses « disparitions » de documents. Mais aussi à penser l’influence d’un dispositif technologique dans la lecture que l’on a d’un document (architexte, hypertexte).

Et peut-être ainsi de conclure sur l’idée qu’il ne s’agit pas de mettre en concurrence les outils mais de déterminer lesquels sont les plus appropriés selon les situations dans une relation de complémentarité, ce qui constitue le gage d’une forme d’autonomie.

Le cadre épistémologique posé dans ce premier article, un second est à venir dans lequel j’apporterai des pistes plus précises pour formaliser une séquence pédagogique.

Projet « Historiae » : piste de progression

Pour l’avoir testé l’année précédente en lycée je suppose pertinent de faire évoluer le projet « Historiae » de sorte que les objectifs d’apprentissage, établis à l’origine pour des élèves de troisième,  soient adaptés à des secondes. Aussi, pour répondre à cette logique de progression, j’ai demandé aux élèves de déterminer par eux-mêmes, dans une démarche heuristique, les critères qui leur semblent importants pour évaluer la fiabilité des informations sur lesquelles ils vont s’appuyer pour construire leur article, dont le sujet porte toujours sur une énigme historique ou une légende urbaine.

Ils disposent à cet effet, dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, de 6 heures décomposées comme suit : 4 heures sont dévolues aux recherches d’informations, à la réflexion sur les critères d’évaluation et à la rédaction de l’article (25-30 lignes) ; 2 heures sont consacrées à la présentation, par chacun des groupes (2 élèves), des critères qu’ils auront retenus lors d’une phase d’échange avec l’ensemble du groupe et une phase de remédiation par les professeurs. Je précise, une fois n’est pas coutume, avoir interdit aux élèves l’utilisation de ressources papier. Interdiction dont je ne leur ai pas donné la raison (brouillage des sources – validation a priori/a posteriori) mais sur laquelle je reviens lors de la phase de remédiation.

Brouillage Creative Commons Licence photo crédit : ZeMitch
Brouillage Creative Commons Licence photo crédit : ZeMitch

Une première évaluation diagnostique, pour laquelle je leur demandais de me dire quels étaient les critères qu’ils retenaient pour évaluer la fiabilité d’un site ou d’une information, les a laissé sans voix. Aussi devrait-il être relativement simple de mesurer leur progression, notamment lors de la présentation orale et la phase d’échange. Par ailleurs, selon les contenus (critères de fond/critères de forme) apportés par les élèves, je n’exclus pas de recourir à un « pad » pour un travail collectif de rédaction en classe ou à la maison (entre les séances 5 et 6).

A ce jour les élèves ont choisi le sujet sur lequel ils vont travailler et ont à peine débuté leurs recherches, laissant pourtant déjà planer un doute sur la date de découverte de la sépulture de Toutankhamon… Séquence à suivre dont je vous ferai part ultérieurement.

Présence numérique, la tête dans le nuage

Nuage, mon beau nuage, dis-moi si je suis la plus belle… Pour avoir expérimenté GoogleMii j’ai supposé que cela pouvait faire l’objet d’un scénario pédagogique dans le prolongement des situations-problèmes dont l’objectif est d’anticiper sa traçabilité. Je ne développerai donc pas ici une fiche de préparation pour laquelle on se reportera au lien ci-dessus.

L’intérêt à aborder l’identité numérique sous la forme d’un nuage de tags tient, à mon sens, à la dimension visuelle quasi concrète qu’elle apporte à des élèves qui peuvent être déstabilisés  par une approche trop théorique, non figurative, selon le média. Ce nuage de tags peut se lire telle une peinture dont les coups de pinceaux forment un portrait avec ses traits saillants, ses nuances et ses détails.  Nous ne sommes sans doute là pas trop éloignés de la didactique des arts plastiques lorsqu’il s’agit d’étudier la composition d’un tableau.

Blanche Neige et les sept nains Creative Commons License photo credit : Edokhan
Blanche Neige et les sept nains Creative Commons License photo credit : Edokhan

Au premier plan viennent les évidences lorsqu’il s’agit pour l’élève d’identifier des tags (noms propres ou noms communs) en lien direct avec leurs centres d’intérêt ou leurs activités. Puis le ou les plans intermédiaires et le fond du tableau selon que ces tags deviennent de moins en moins équivoques pour n’être plus que des mots tout à fait décontextualisés. Cette approche peut, en outre, faire l’objet d’une mise en perspective avec la notion d’hypermnésie du web et introduire, éventuellement, selon le niveau des élèves, la question de la conservation des données.

La situation-problème est pertinente à ce niveau où les élèves sont invités à formuler des hypothèses sur ce qui détermine la composition du portrait (ici le nuage de tags) et-ou le procédé technologique (cookies, occurrence,…) mis en œuvre dans la sélection des tags. Ce peut être, par ailleurs, une situation propice pour (dé)montrer aux élèves, qu’à cette heure tout du moins, le référencement est effectué par des machines pour lesquelles les mots n’ont pas de sens. Donc que l’intelligence dans l’exécution de la tâche est d’abord humaine, ce dont les élèves doivent prendre progressivement conscience pour réellement maîtriser les outils.

Il reste que, Dormeur, Simplet, Grincheux ou encore Joyeux, nos élèves ne sont des nains qu’assis sur des épaules de géants; nous, leurs professeurs, et que je m’interroge sur le bien fondé d’une recherche qui les concerne directement, dans leur intimité. Si elle ne l’est pas, cette question est sans doute à trancher et le choix d’une individualité plus neutre, pour exemple de nuage de tags, reste possible.

Dans le labyrinthe : l’évaluation de l’information sur internet – Le livre

A l’heure des conseils de lecture pour les vacances je m’apprêtais à vous parler, une fois terminé, du livre d’Alexandre Serres, Dans le labyrinthe : l’évaluation de l’information sur internet, mais l’auteur en effectuant lui-même une présentation, je vous invite à en découvrir ci-dessous la vidéo.

Cliquer sur l’image

Couverture du livre "Dans le</p><br /><br /><br /><p>                    labyrinthe"Vidéo de présentation par Alexandre Serres
Dans le labyrinthe : l’évaluation de l’information sur internet – Alexandre Serres

A celles et ceux, et je peux les comprendre, que ce choix de lecture pour l’été plongerait dans un profond désarroi quand ils aspirent à prendre de la distance avec le travail, je vous assure de son côté plaisant et vais jusqu’à dire qu’il peut se lire comme ces meilleurs romans policiers dont on attend avec impatience… l’issue ; ou, pour moi, la résolution d’une énigme dans le choix du titre : Pourquoi un labyrinthe et non pas un dédale..?

Transposer le concept de copy party à l’école

Idée originale… et audacieuse, si il en est, le lycée Rabelais reprend le concept de copy party, organisée une première fois à la bibliothèque universitaire de La Roche sur Yon par Lionel Maurel, Silvère Mercier et Olivier Ertzscheid. Je n’insisterai dans cet article ni sur ce qu’est une copy party, vous trouverez tous les détails ici ou ici, ni sur l’importance de cette démarche, vous en comprendrez les raisons . Je me propose plutôt d’insister sur l’intérêt à transposer ce concept dans les CDI des établissements scolaires du second degré. Sans doute plutôt en lycée, il est vrai,tant les notions abordées par les élèves peuvent être complexes.

cc-by-sa Creative Commons License photo credit Ewa Rozkosz
cc-by-sa Creative Commons License photo credit Ewa Rozkosz

 

Avant d’aborder sa mise en œuvre, l’organisation d’une copy party suppose, au niveau des contenus, une approche épistémologique dans le domaine des Sciences de l’information et de la communication (SIC), ainsi qu’une phase de transposition didactique. En l’occurrence, au regard des textes réglementaires en application (en particulier l’article L 122-5 du Code de la Propriété intellectuelle), les questions relatives au droit d’auteur et au droit de l’image auront probablement une place centrale. Mais elles peuvent aussi être envisagées sous l’angle du type de documents concernés (cas particulier des logiciels) ; en fonction des conditions d’utilisation du matériel de copie ; ou encore au regard des « enclosures » (DRM…) ; et selon une dimension plus réflexive liée aux conditions d’accès aux connaissances (avec un prolongement possible vers les « Communs »), ou à la question de la lecture numérique.

Nous savons, à ce jour, que des élèves de seconde travailleront sur ce projet dans le cadre de l’option « littérature et société ». Il est aussi possible que des élèves de première, en philosophie, soient concernés. Ce qui suppose un travail sur les contenus, selon le niveau des élèves, donc une forme de transposition didactique simplifiée. Par ailleurs, d’un point de vue pédagogique, compte tenu de la nature du dispositif, la pédagogie de projet semble tout indiquée. Elle apporte du moins des conditions suffisamment souples pour ajuster la mise en œuvre de la copy party selon les objectifs et l’échéance… courant décembre.

D’ici là du travail en perspective donc, avec la volonté de préparer nos élèves à relever les enjeux sociaux et politiques inhérents à la question de la copie, car, au delà de la simple reproduction des documents, la copy party constitue un moment privilégié de réflexion sur le numérique, d’émancipation culturelle et de partage des connaissances.

[MàJ : pour en savoir plus sur la Copy party qui s’est déroulée au lycée Rabelais]

 

« Publier sur le Web » : retour d’expérience

Comme annoncé ici je me livre, en cette fin d’année, à un compte rendu de la séquence « Publier sur le web« . En forme d’avant propos il me faut préciser que pour des raisons d’emploi du temps je n’ai pas pu voir autant d’élèves qu’envisagé au départ. Ainsi seuls 4 des 5 groupes d’AP ont suivi la séquence pour un total de 70 élèves.

Y a-t-il une vie après « Facebook » ?

Premier élément significatif, à la question « qu’évoque pour vous publier sur le web ? » les élèves répondent à chaque fois « Facebook ». Ce qui ne surprendra sans doute personne. En revanche, plus curieux, au delà de cette première proposition, il semble falloir leur en suggérer d’autres pour que viennent « Youtube », les blogs ou, plus encore, le droit de l’image par exemple. Si le panel d’élèves n’est pas suffisamment représentatif pour pouvoir être systématique, le temps d’échange avec les élèves, lors du bilan d’activité, apporte un début d’explication.

Il apparaît que les élèves n’ont pas de lecture structurée de ce que sont les réseaux sociaux numériques. Ils utilisent « Facebook » sans faire de distinction entre Internet et le Web, ni différencier la marque de la plateforme. Par ailleurs, bien qu’ils puissent en connaître l’existence, ils éludent complètement les notions (droit d’auteur, identité numérique, …). Aussi il me semble plus que pertinent d’apporter aux élèves des connaissances qui leur permettent d’avoir une conception globale de l’écosystème numérique.

Pour terminer sur ce point je vous invite à prendre le temps de cette vidéo qui aborde les usages des TIC par les lycéens. C’est là une excellente synthèse sur les questions qui, professeurs documentalistes et enseignants-chercheurs, nous occupent.

Y a-t-il des sources après « Wikipédia » ?

Il se trouve en réalité qu’il y a des sources avant « Wikipédia »…, du moins lorsque les élèves utilisent l’objet info-documentaire qu’ils ont à traiter. Dans ce cas ils organisent, a priori, leur présentation selon leur expérience. C’est l’une des deux stratégies observées, la seconde conduisant les élèves directement vers « Wikipédia ». Ensuite, dans les deux cas, les élèves étendent leurs recherches à d’autres sites. L’objectif revient alors à combler les manques, ce qui se fait encore trop souvent aux dépens de l’évaluation des sites. Si dans l’esprit de l’élève le résultat prime sur la méthode, il ne doit pas en être de même dans celui du professeur. Ce qui suppose un travail de longue haleine…

Objectif d’apprentissage inspiré de « Wikipédia » la contribution des élèves à la rédaction du Pad est satisfaisante. Ils se sont vite pris au jeu et sont allés avec intérêt lire les productions des autres groupes. En revanche, souvent par respect ou intimidation, ils sont peu intervenus sur les apports antérieurs de leurs camarades et ont plutôt procédé par ajouts que par corrections. De fait le Pad tient moins d’une mosaïque de couleur que d’une succession de blocs qui sont autant de points abordés par les différents groupes intervenus sur un même sujet.

Nieuwe Media Cultuur in Nederland krant Creative Commons License photo credit : Anne Helmond
Nieuwe Media Cultuur in Nederland krant Creative Commons License photo credit : Anne Helmond

Y a-t-il une vie après le copier-coller ?

Les élèves avaient la possibilité de passer par une phase de copier-coller avec pour consigne de réécrire leur production. La part du copier-coller reste malgré tout importante, bien que l’on puisse observer, dans la présentation, une forme de réappropriation des contenus extraits de la source initiale. C’est par exemple le cas pour « Youtube » dont le sommaire, issu de « Wikipédia », a été modifié pour ne conserver, selon les élèves, que les éléments jugés les plus pertinents.

Compte tenu du déroulement de l’activité, j’apporte à cela 3 raisons. Tout d’abord, comme précisé précédemment, les élèves ont peu retouché ce qui avait été fait antérieurement. Ceci étant, des pans entiers de présentation sont restés en l’état, comportant de larges extraits de copier-coller n’ayant pas été réécrits. Par ailleurs, il semble que des passages jugés importants ont pu être copié sans que le contenu ne soit compris par les élèves. De sorte qu’ils se sont trouvés en difficulté pour ensuite les réécrire. Enfin, certains élèves ont estimé ne pas être en mesure de pouvoir mieux écrire ce qu’ils avaient trouvés.

Il apparaît, a posteriori, qu’au delà d’interventions ponctuelles et d’une remédiation programmée lors de la dernière séance, il faille envisager plus tôt dans la séquence une évaluation de la compréhension globale qu’ont les élèves de leur sujet. Par ailleurs, alors qu’aucune consigne ne portait sur la partie tchat du Pad, il serait vraisemblablement opportun de donner pour consigne aux élèves de l’utiliser pour formuler au groupe des demandes qui concernent des difficultés qu’ils peuvent rencontrer.

En guise de conclusion

En amont des réseaux sociaux numériques, la méconnaissance de ce que sont Internet et le Web, ainsi que des notions qui peuvent y être associées, constitue une lacune pour des élèves qui n’ont pas une lecture structurée d’un environnement dans lequel ils peuvent, par ailleurs, évoluer avec une certaine aisance. Il me semble donc plus qu’urgent de prendre le temps d’aborder ces notions avec eux de sorte qu’au delà de leurs pratiques, dans une mise en perspective médiologique, ils aient une réelle culture technique, médiatique et documentaire.

Quelle ambition pour les professeurs documentalistes ?

Je me propose de développer dans cet article la conclusion d’un précédent billet en la croisant avec le projet  énoncé par la Fadben dans le Manifeste 2012. Il y est précisé, en introduction aux enjeux posés par le « contexte de l’information numérique », que « la com­pé­tence infor­ma­tion­nelle est […] pré­sentée par l’UNESCO comme indis­pen­sable aux hommes et aux femmes du XXIème siècle ». Principe que nous retrouvons dans les recommandations de l’IFLA sur la Maîtrise de l’information et des médias qui soutiennent, sans s’arrêter sur la délicate traduction d’Information literacy, une expertise dont les professionnels de l’éducation pourraient s’inspirer.

Penser la formation initiale et continue…

Et il faut bien reconnaitre là que de par leur formation les professeurs documentalistes sont à la jonction de ces deux domaines que sont l’information et l’éducation. Aussi me semble t-il évident que la formation initiale doit aller dans le sens d’une prise de responsabilité des professeurs documentalistes, en anticipant les curricula évoqués dans la troisième recommandation. Il s’agit bien là d' »intégrer l’enseignement de la maîtrise de l’information et des médias ». D’aucuns considèrent que cela n’est pas possible tant la technologie numérique évolue vite. Cet argument, si il doit être pris en compte, ne se justifie que si l’on appréhende ces technologies (plateformes, applications,…) sous l’angle procédural. Il est en revanche beaucoup moins pertinent si nous considérons un enseignement par les notions et les modèles, davantage pérennes, sous-tendus par ces technologies.

C’est à cette fin que devraient être davantage travaillés les échanges avec la recherche. Il me semble ici que les interrelations avec le « terrain » seraient bénéfiques entre réflexions et expérimentations. Il est à mon sens erroné de prétendre que seuls savent ceux qui « font ». Ou ce serait alors réduire l’acte à une dimension mécaniste qui ne doit être que celui de la machine. En outre, c’est se couper des approches qui ne sont pas les siennes pour n’échanger qu’avec ceux qui partagent vos propres valeurs. Mais je ne suppose pas qu’il s’agisse là de l’attitude commune, qui serait en contradiction avec la pratique de veille qui fonde en partie notre culture professionnelle. Dans une certaine mesure le champ épistémologique des SIC, déjà exploré, ne demande qu’à être approfondi et complété par des acquis en didactique. La recherche-action, avec la recherche appliquée, dans un contexte de « révolution numérique », peut constituer une approche pertinente fondée sur une démarche de recherche collaborative chercheur/praticien qui soit porteuse de sens sur nos propres pratiques (praxis), ou du moins nous conduise à porter un regard réflexif sur celles-ci de manière à les faire évoluer et, ce faisant, à nous trans-former.

Sans titre Creative Commons License photo credit : caalo10
Sans titre Creative Commons License photo credit : caalo10

…pour élaborer une matrice en information-documentation.

Est-ce à dire que les professeurs documentalistes doivent être les seul(e)s à intervenir auprès des élèves..? Il serait ici dommageable de commencer par s’imposer des limites. Selon les objectifs visés et les tâches envisagées, les combinaisons (séance dédiée, en interdisciplinarité,…) sont multiples, ce qui constitue un avantage. Il reste que, de par notre rattachement aux SIC et notre formation, nous sommes spécialistes dans les domaines de l’information et des médias. Aussi il serait extravagant de voir nos collègues de discipline intervenir seuls, ou en qualité de prescripteurs, auprès des élèves, quand ils se savent moins compétents que nous. Conscients de cela, ils tendent d’ailleurs à nous solliciter pour cette raison évidente. C’est là toute la différence entre dire que la culture de l’information est déjà enseignée dans les autres disciplines quand elle n’y est en réalité que présente dans les programmes.

Un équilibre reste à trouver qui aborde l’ensemble des enjeux posés par la culture de l’information. Le recours à un curriculum est à cet effet adapté dans la mesure où ce type de dispositif comporte une dimension culturelle et sociétale. Par ailleurs il prévient, de par son côté dynamique et progressif, de potentielles évolutions technologiques. Enfin il autorise une souplesse dans les méthodes et stratégies envisagées pour transmettre des connaissances fondées sur des notions, des capacités et des attitudes. Les 12 propositions du GRCDI apportent pour cela l’éventualité d’une réponse à l’ambition que nous pourrions avoir pour les professeurs documentalistes ; réponse qui est d’abord celle que nous devons à nos élèves.

Enseigner, ou l’art d’aimer. Fantaisie didactique.

Je me livre ici, en cette amorce de fin d’année scolaire, à une petite fantaisie sur ce qu’est, pour moi, enseigner. J’avoue, par ailleurs, chercher à démontrer que les concepts les plus abstraits peuvent donner matière à s’en émouvoir dès lors que l’on s’emploie à les détourner agréablement. Aussi j’espère que Jean Houssaye et Philippe Meirieu ne m’en voudront pas pour cette inspiration iconoclaste. Mais le sujet est des plus sérieux et j’espère répondre à cette exigence de vérité, chère à Philippe Meirieu et en laquelle je crois. On se gardera ainsi, pour la prochaine fois, de me demander de dessiner un mouton.

Enseigner, ou l'art d'aimer. Fantaisie didactique
Enseigner, ou l’art d’aimer. Fantaisie didactique