Proposition de cadre méthodologique pour mettre en œuvre des situations d’apprentissage en distanciel

Dans un contexte de pandémie lié à l’apparition du virus COVID-19, la situation sanitaire dégradée a impliqué un confinement des populations dont les conséquences portent notamment sur le système éducatif. Les enseignants sont conduits à transformer leur enseignement et ou formations afin de pouvoir les dispenser à distance. La mise en œuvre de formations en distanciel, quand c’est possible, répond à une situation d’urgence qui implique de repenser l’ingénierie de formation.

Nous proposons, dans ce contexte, un cadre méthodologique qui tienne compte des dimensions cognitive, conative et psycho-affective liées au processus d’acquisition des savoirs. L’objectif est d’évaluer la pertinence des activités, transférées en distanciel, selon des modalités synchrones ou asynchrones.

Une première étape à la formalisation de cet enseignement à distance nous semble devoir passer par un questionnement propédeutique sur la nature des situations d’apprentissage et les différents temps de mise en activité. Il nous semble important de dresser une typologie minimale de ces situations et de ces activités afin de pouvoir envisager la possibilité de modalités d’apprentissage à distance nécessairement plurielles (IFE, 2016).

Afin de considérer les dimensions cognitive, conative et psycho-affective inhérentes au processus d’acquisition du savoir, nous nous proposons de nous référer aux taxonomies de Bloom, de Krathwohl qui propose six niveaux progressifs d’apprentissage de type cognitif (Krathwohl, 2002), et à celle de Berthiaume et Daele qui envisage trois niveaux de progressivité pour les apprentissages de type affectif (Berthiaume et Daele, 2013).

Une fois établie cette première répartition, nous nous proposons de l’appliquer à la modélisation théorique qui relie les formats de connaissance aux processus d’apprentissage, pensée par Musial, Pradère et Tricot (Musial et al., 2011). Cette modélisation nous semble pertinente pour situer les objectifs pédagogiques et les modalités d’apprentissage selon les processus d’apprentissage et leur mise en œuvre opératoire (schéma 1). Il s’agit ici de penser les modalités pédagogiques les plus pertinentes selon les formats de connaissance.

Schéma 1 – Relation entre les processus de connaissance et les formats de connaissance

A titre d’exemple, si l’on devait favoriser le processus de conceptualisation en vue de l’acquisition d’un savoir, nous savons qu’il peut être pertinent de faciliter la conscience “méta-conceptuelle” des apprenants, ce qui passe notamment par des temps de discussions entre apprenants. Ce faisant, dans ce processus, ces temps d’échange sont à planifier dans la construction d’une séance pédagogique, l’apport du socio-constructivisme, par le conflit socio-cognitif notamment, constituant une modalité d’apprentissage pertinente.

Reste alors à porter un questionnement sur les choix pédagogiques à privilégier dans un contexte marqué par le distanciel. La dimension numérique de l’apprentissage à distance doit être considérée pour la qualité de ses apports, selon une ingénierie plurielle (Henri, 2010). La diversité de ces modalités éducatives ouvrant une multiplicité de tâches qui peuvent être données à réaliser par les élèves et étudiants. Nous nous proposons sur ce point de nous référer aux conclusions du récent rapport Numérique et apprentissages scolaires à destination du Cnesco (Tricot et Chesné, 2020). Il y est notamment établi, Figure 1, une classification des effets du numérique selon les fonctions pédagogiques visées, que ces effets soient plutôt positifs, plutôt limités, pas encore attestés ou plutôt négatifs (Tricot, 2020).

Figure 1- Effets du numérique selon les fonctions pédagogiques visées

Ce cadre méthodologique, dont l’objectif est de faire le lien entre les dimensions cognitive, conative et psycho-affective inhérentes au processus d’acquisition du savoir et l’entrée par le numérique due au distanciel, doit nous permettre d’élaborer des activités adaptées. Les effets positifs du numérique sur les apprentissages sont ici à interroger. En particulier, nous souhaitons questionner la dimension itérative des activités proposées aux élèves et étudiants, que l’on considère les avantages et les difficultés qu’elle revêt.

Pour aborder ce point, nous nous proposons d’introduire le concept d’approche instrumentale de Pierre Rabardel (Nijimbere, 2013). Si l’on considère le numérique comme un artefact, défini comme un objet technique dont l’usage est pensé dans une situation précise, son appropriation  permet l’élaboration de schèmes d’usage selon les interactions du sujet avec l’artefact. Ces schèmes sont un construit individuel, lié à une activité mais transférable à des activités analogues. Pour Rabardel, cette construction individuée participe à l’élaboration et à la transformation de ces schèmes chez chaque personne. Dans son approche instrumentale, Rabardel dégage le concept second d’instrumentation, centrée sur le sujet, pour préciser que ces schèmes d’usage évoluent, se transforment, s’hybrident selon les individus.

Cette réflexion nous semble pertinente pour considérer la dimension itérative des mises en activités dans un contexte numérique. La dégradation de la motivation liée à la répétition doit pouvoir être atténuée dès lors que les activités sont pensées selon une approche centrée sur le sujet et non l’outil. Avec une telle approche les situations pédagogiques sont transférables, ce qui permet d’étayer certaines compétences dans la répétition tout en en construisant d’autres dès lors que l’on apporte des variables dans l’élaboration des activités. Cela contribue à favoriser l’engagement tout en limitant la dimension redondante des activités proposées.

Cette hypothèse pourrait être intéressante en ce qu’elle comporte de potentiel pour mettre en œuvre des situations d’apprentissage en distanciel. Il nous semble important de penser les temps en distanciel selon une approche qui privilégie la construction du sujet plutôt que les apports du numérique en tant qu’outils. C’est une condition essentielle pour que les acquis d’activités spécifiques puissent être transférés à des situations nouvelles.

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– Berthiaume, D. & Daele, A. (2013). Comment clarifier les apprentissages visés par un enseignement ? In D. Berthiaume & N. Rege Colet (Eds.), La pédagogie de l’enseignement supérieur : repères théoriques et applications pratiques, Vol. 1, 55-71. Berne : Peter Lang

– Henri, F. (2010). La formation à distance : enseigner et apprendre autrement. In : Bernadette Charlier éd., Apprendre avec les technologies (pp. 157-168). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France https://doi-org.ressources.univ-poitiers.fr/10.3917/puf.charl.2010.01.0157« 

– Institut français de l’éducation. (2016). Organiser une formation hybride : à quelles conditions ? Centre Alain Savary. http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/nouvelles-professionnalites/formateurs/organiser-une-formation-hybride-compte-rendu-de-la-formation-du-1er-et-2-octobre-2013

– Krathwohl, D.R. (2002). A Revision of Bloom’s Taxonomy, An Overview. Theory into Practice. 41(4), pp. 212-218

– Musial, M. Pradère, F. Tricot, A. (2011). Prendre en compte les apprentissages lors de la conception d’un scénario pédagogique, Recherche et formation [En ligne], 68 |, mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 21 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/1483

– Nijimbere Claver (2013). Approche instrumentale et didactiques : apports de Pierre Rabardel. Adjectif.net. Mis en ligne lundi 7 janvier 2013 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article202

– Tricot, A & Chesné, J.-F. (2020). Numérique et apprentissages scolaires: rapport de synthèse. Paris: Cnesco [en ligne] http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2020/10/Numerique_Dossier_de_synthese_du_Cnesco.pdf

– Tricot, A. (2020). Quelles fonctions pédagogiques bénéficient des apports du numérique ? Paris : Cnesco [en ligne] http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2020/10/201015_Cnesco_Tricot_Numerique_Fonctions_pedagogiques-1.pdf

Support de formation à distance pour la préparation au capes interne de documentation

Je vous propose cette vidéo afin d’accompagner la transformation de l’organisation de la formation de préparation au capes interne de documentation, dont les contenus restent inchangés. Celle-ci se tenait jusqu’à présent en présentiel. Mais la situation sanitaire nous impose de l’organiser à distance, tant que les formations en présentiel ne peuvent plus avoir lieu.

Dans ce contexte, je me propose de vous présenter, rapidement, les différents dispositifs auxquelles nous allons recourir : la plateforme d’e-formation M@gistere et la plateforme de classe virtuelle Via. Des plateformes sur lesquelles nous reviendrons plus en détail lors des prochaines sessions de formation, en distanciel donc. D’ici-là, n’hésitez pas à me contacter.

Wikipédia, un modèle de chaîne éditoriale a posteriori ?

Je vous soumets dans ce billet une préparation de séance et sa fiche d’activité élaborée dans le cadre d’un EPI Langues et cultures étrangères. Si le sujet de la recherche porte sur Al-Andalus, l’objet de la séance questionne le modèle éditorial de l’encyclopédie collaborative Wikipédia. Ce qui fait lien, en termes de sens à donner aux apprentissages, est donc déterminé par les conditions de fonctionnement et d’utilisation ce cette plateforme, lesquelles caractérisent les savoirs qui ressortent de l’information-documentation introduis dans la situation pédagogique. Cette approche, interdisciplinaire, me permet d’éviter, chez les élèves, les effets de surcharge cognitive qui résultent de l’accumulation de tâche lors d’une même activité. Ce qui aurait été le cas si j’avais fait le choix de traiter simultanément le modèle éditorial de Wikipédia, qui renvoie à la fiabilité de l’information sur cette plateforme, et Al-Andalus, qui renvoie à la recherche d’information sur un sujet donné. Ce traitement différé dans le temps est essentiel pour que les élèves soient ensuite en mesure de transférer les savoirs qu’ils ont acquis à une situation analogue ou résolument différente.

Circulaire de missions des professeurs documentalistes. Une simplification épistémologique préjudiciable

A lire le compte rendu de certains syndicats, la question épineuse de l’inclusion de la formation dans la politique documentaire ne semble pas avoir connu de modification lors de la réunion du GT le 26 janvier 2017. C’est d’autant plus problématique que ces organisations syndicales ne semblent pas s’en inquiéter quand, par ailleurs, cette réunion est annoncée comme étant la dernière avant la publication de la circulaire, attendue dans le courant du mois. Le SNES n’évoque pas ce point dans ce qui est présenté, certes, comme un pré compte-rendu, dont on peut espérer qu’un texte plus complet, à venir, aille plus loin. L’UNSA mentionne la politique documentaire pour dire qu’elle oriente les enjeux à l’échelle de l’EPLE en ce qui concerne notamment la formation des élèves en matière d’EMI ou d’info-documentation [sans] remettre en cause la liberté pédagogique du professeur documentaliste.

Nous lisons dans cette formulation une assimilation de l’EMI et de l’information documentation qui, d’un point de vue épistémologique, est en réalité difficilement compatible. Ce biais est aussi présent dans le texte de la circulaire où l’emploi de l’EMI, de l’information documentation, de la culture de l’information et des médias, de la culture et de la maîtrise de l’information ou encore de la culture informationnelle est fait de manière indifférenciée. Pourtant, ces différents « énoncés » ne recouvrent ni les mêmes savoirs, ni les mêmes approches, les conséquences de ces distinctions étant particulièrement lourdes rapportées à la politique documentaire.

Rappelons ici que la politique documentaire est un concept issu du monde des bibliothèques où la formation est d’essence méthodologique, limitée à une approche procédurale qui doit permettre aux usagers d’utiliser les outils mis à leur disposition. On va plus loin avec l’EMI dont l’approche transversale ne saurait être limitée à des compétences méthodologiques dès lors que l’on prétend assurer à chaque élève une connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle; une maitrise progressive de sa démarche d’information, de documentation; un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion. Quand bien même le référentiel EMI des programmes du cycle 4 vise des compétences, que d’aucun estimerait pouvoir limiter à l’utilisation d’outils, il est bien précisé que ces compétences doivent être réinvesties d’une année à l’autre selon les projets. Cette précision, que l’on retrouve dans le texte de la circulaire lorsqu’il est fait mention d’une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale, est importante dans la mesure où l’acquisition de compétences sous-tend l’acquisition de savoirs par les élèves, selon leur niveau. De fait, le transfert de contenus dits « substitutifs » dans la résolution d’un projet suppose de pouvoir convoquer des contenus dits « cumulatifs » selon la progressivité des apprentissages. Cette complémentarité dans l’association de la transférabilité à la progressivité est loin, très loin, d’une formation qui serait limitée à de la méthodologie. Si elle postule des connaissances procédurales, elle suppose aussi des connaissances déclaratives, métacognitives, stratégiques et des attitudes qui soient référées à la situation d’apprentissage pour laquelle sont convoqués des savoirs opératoires qui englobent des notions, info-documentaires pour le professeur documentaliste.

C’est a fortiori d’autant plus vrai avec l’information-documentation dont l’épistémologie renvoie aux Sciences de l’information et de la communication (SIC), à partir desquelles a été initiée une didactique (de l’information-documentation) qui, pour concerner les savoir-faire, intéresse aussi les dimensions assertoriques et apodictiques du savoir. Notons que le texte de la circulaire convoque cette référence aux SIC dans l’axe 1 qui concerne l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias. Il y a là une cohérence qui fait défaut dans l’axe 2 lorsqu’il est précisé de la politique documentaire qu’elle a pour objectif principal la réflexion et la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle. Il est profondément déconcertant de réduire la culture informationnelle au cadre de la politique documentaire, dont la formation, rappelons-le, est limitée à de la méthodologie. Pour reprendre la définition de la culture informationnelle de Yolande Maury, on retiendra au contraire toute la complexité de ce concept aux nuances importantes selon des acceptions de l’information, tantôt englobantes, organisatrices de ses différentes dimensions, tantôt opératoires, génératrices de lien, ces différentes approches ne s’excluant pas l’une de l’autre.

Le cadre de l’École n’est pas le cadre des bibliothèques, les finalités et le rapport aux savoirs étant différents. En incluant la formation dans la politique documentaire, on se donne pour cadre une aporie, ce que l’on ne peut défendre pour les élèves. Il est urgent pour les syndicats de se saisir et de défendre cette dimension épistémologique, présente dans le texte de la circulaire, mais réduite à une approche méthodologique simplificatrice quand, précisément, ce sont la complexification des dispositifs informationnels, médiatiques et numériques qui justifient la réécriture de la circulaire de missions des professeurs documentalistes.

Circulaire de missions des professeurs documentalistes. A l’heure du choix entre tension et équilibre

En prévision du groupe technique qui se tiendra demain, mercredi 26 janvier, le SNES a rendu public le troisième projet de circulaire de missions des professeurs documentalistes afin, notamment, de recueillir les avis des professionnels sur ce texte. Il est manifeste que celui-ci a évolué, ce qui ne manquera pas de rassurer la profession sur l’attention qui est portée à ses réactions. Pour autant, ce n’est pas systématique et l’on retrouve des mentions qui ont pu faire l’objet d’une critique argumentée. Nous nous proposons donc de revenir sur ces éléments résiduels, en complément de ce qui a déjà pu être écrit, ici et , tout en précisant, pour commencer, que cette nouvelle version du texte propose des avancées intéressantes.

La hiérarchisation du texte selon les énoncés du référentiel de compétences de 2013 nous semble cohérent dans la mesure où elle restaure une continuité entre les deux textes. Le rappel de la qualification enseignante des professeurs documentalistes est là notable, d’autant plus qu’elle est explicitement référée aux Sciences de l’information et de la communication, ce qui conforte les travaux engagés dans le champ didactique. Tout aussi essentiel il est précisé que  son [le professeur documentaliste] enseignement s’inscrit dans une progression des apprentissages, de la classe de sixième à la classe de terminale, dans la voie générale, technologique et professionnelle. Un enseignement qui, selon les termes du préambule, est partagé entre la formation des élèves à l’information-documentation et une contribution à leur formation en matière d’éducation aux médias et à l’information (EMI). Nous trouvons dans la convocation de ces références une introduction du fondement épistémologique de notre profession. Cette inscription dans le texte de la circulaire est un ajout attendu qui vient régulariser l’existant mis en œuvre depuis désormais de longues années. Il rend aussi plus patent la tension avec la politique documentaire, telle qu’elle est définie dans ce projet de circulaire.

Les heures d’enseignement sont effectuées dans le respect nécessaire du bon fonctionnement du CDI. Cette phrase jette l’effroi au fracas d’un édifice qui s’écroule. Qu’est-ce à dire si ce n’est que l’enseignement, au CDI, est hors de la norme et qu’il ne saurait être pensé comme un espace didactisé, sur lequel le professeur documentaliste s’appuie pour concevoir et mettre en œuvre son enseignement. La phrase est pour le moins maladroite… Elle prend une tournure amère dès lors que la politique documentaire, validée par le conseil d’administration […] a pour objectif principal la réflexion et la mise en œuvre de la formation des élèves à la culture informationnelle. C’est confier là l’enseignement du professeur documentaliste à la fortune de contextes locaux, favorables ou non, selon un jeu de négociations permanent, tant avec la direction qu’avec les autres enseignants, où ce personnel aura, in fine, peu d’arguments à faire valoir. Ne peut-on espérer mieux pour l’égalité des chances, principe dont on peut espérer que nos élèves bénéficient…

Rien ne justifie que la formation soit incluse dans la politique documentaire. Si ce concept vient du monde des bibliothèques il n’est pas transposable aux CDI, dont les objectifs diffèrent. Une bibliothèque ou une médiathèque n’ont pas pour vocation première de former les usagers à l’information-documentation ou à contribuer à leur formation à l’EMI. Cette formation ne concerne que la méthodologie de recherche, dans une approche strictement procédurale. Pour quelles raisons, alors, chercher à l’imposer aux CDI ? Pour reprendre le référentiel de 2013, la formation apparait dans la compétence D2, relative à la politique documentaire : Maîtriser les connaissances et les compétences bibliothéconomiques : gestion d’une organisation documentaire et d’un système d’information, fonctionnement de bibliothèques publiques ou centres de documentation, politique d’acquisition, veille stratégique, accueil et accompagnement des publics, animation et formation, politique de lecture, évaluation. Outre le fait que la formation ne constitue certainement pas un objectif principal par son classement dans cette liste de connaissances et de compétences, on notera que ce qui ressort de la formation est d’abord présent dans la compétence D1 du référentiel. On notera, par ailleurs, que la lecture, intégré à la politique documentaire dans la version précédente du texte à été reportée dans l’axe 3 du projet de circulaire, consacré à l’ouverture culturelle. On peut donc espérer que la formation concerne strictement l’axe 1, qui porte sur l’enseignement. Le texte y gagnerait en clarté et en cohérence.

Un flou demeure, donc, sur l’orientation que prendra ce texte. Celui-ci est assez bien figuré dans le préambule du texte où il est dit du professeur documentaliste qu’il partage, selon le référentiel de 2013, les missions communes à tous les professeurs et personnels d’éducation, de même qu’il a des missions spécifiques. Cette lecture peut postuler implicitement que cela englobe les compétences des professeurs, tel que cela apparait dans le référentiel : Outre les compétences qu’ils partagent avec l’ensemble des professeurs, telles qu’elles sont énoncées ci-dessus, ils maîtrisent les compétences spécifiques ci-après. Mais on sait aussi que cela peut ne pas être le cas, les différences entre les fiches 11 et 12 des modalités d’évaluation et de titularisation des enseignants stagiaires de l’enseignement public pouvant être sujettes à caution.

Nous pouvons espérer qu’un équilibre soit respecté dans l’articulation des différentes facettes de nos missions. C’est déjà en partie le cas avec cette nouvelle version, la politique de lecture ne participant plus de l’axe ressources, en restant hélas dépendante de la politique documentaire. Reste désormais à aller plus loin en faisant en sorte que ce ne soit pas davantage le cas pour le volet enseignant, en vue de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias. A cette fin, la politique documentaire ne saurait être la clé de voûte de la circulaire, nul architecte ne prétendant faire reposer une construction sur une répartition dysharmonique et instable des éléments qui la structurent.

Appréhender la lecture numérique

Je prolonge ici les conclusions de ma série d’articles sur la notion de document abordée par le mind mapping. Le schéma heuristique que j’en ai extrait a placé la lecture numérique en situation de concept nodal, auquel je souhaite désormais me consacrer, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité. Il me semble, en effet, que c’est là un objet d’étude trop récent pour qu’il soit tout à fait stabilisé, du moins selon une approche info-documentaire. Aussi, puisqu’il ne constitue pas (encore ?) une entrée du Dictionnaire des concepts info-documentaires, dont je me suis servi pour la notion de « document », je me propose de prendre appui sur celui de l’association Ars industrialis dont je vais m’inspirer.

Petit inventaire des savoirs associés

Il me semble, pour commencer, que la lecture numérique, au même titre que la lecture « classique », suppose que soit défini un projet de lecture. Celui-ci influence le parcours de lecture, qui dépend en grande partie de la culture que nous avons du domaine que nous explorons. C’est là une constante qu’il faut sans doute rappeler si l’on veut considérer l’importance de la validation des contenus, qui guide notre progression, y compris par sérendipité. C’est ouvrir, par ailleurs, tout un champ de notions info-documentaires déclinées autour de celles de pertinence et de fiabilité. Je vous renvoie, sur ce point, à cet autre schéma heuristique, afin d’en explorer l’étendue. Cela me semble d’autant plus fondamental que le contrôle des contenus, dans l’environnement numérique, hors contexte scolaire où cela peut être envisagé, se fait largement a posteriori. De sorte que la lecture numérique convoque des compétences informationnelles, selon l’acception de Philippe Perrenoud (voir notamment le schéma), au-delà d’une stricte approche méthodologique.

Concrètement, ce projet de lecture, caractérisé par l’intention du lecteur, se manifeste lors de la navigation hypertexte. L’enjeu éducatif, pour nos élèves, consiste, il me semble, à orienter leur parcours de sorte qu’il conserve du sens, selon l’intention, et qu’il fasse sens, selon les objectifs visés. Je ne m’attarderai pas sur ce second point qui mériterait d’être abordé seul en ce qu’il engage un questionnement pédagogique et politique sur les finalités de l’École. En revanche, dans un contexte numérique caractérisé par des données informationnelles pléthoriques et une attention potentiellement distraite, apprendre aux élèves à conserver le fil de leur lecture est fondamental. Aussi me semble-t-il, sur ce point, qu’il pourrait être pertinent d’élaborer une cartographie sémantique de l’hypertexte qui donne du sens au « champ des possibles » que constitue la navigation des élèves. Il me semble par ailleurs important d’apprendre aux élèves à baliser leur progression de sorte qu’ils en conservent la mémoire. Je pense bien sûr aux sitographies, mais encore aux différentes formes  d’annotation et de marquage pour lesquels je vous renvoie, par exemple, à la récente publication d’Olivier Le Deuff qui introduit, en outre, la notion de publication, afférente à la lecture numérique et sur laquelle je reviendrai dans un article. Il apparait en tout cas ici que la lecture numérique suppose l’acquisition de compétences documentaires.

La lecture numérique renvoie aussi à la notion d’architexte (Emmanuel Souchier), ce qui mêle cette fois compétences documentaires et informatiques, tant au niveau des équipements et de leur modèle sous-jacent (propriétaire/libre par exemple), qu’à celui du design ou encore des dispositifs.  Il me semble capital, au delà de la seule lecture du texte, d’aborder l’influence des environnements, en ce qui les caractérise, que l’on se situe du côté des matériels ou des plateformes. A cet égard, je suppose pertinente une approche selon les médias, que le rendu soit textuel, illustré ou sonore (pour ne rester qu’aux formes élémentaires). Ce qui implique des logiciels et des formats variables dont il est sans doute essentiel de connaitre les principales caractéristiques afin de pouvoir anticiper une production (en particulier pour le transmédia, structure documentaire émergente). Mais encore une connaissance de plateformes plurielles afin de ne pas rester sous la dépendance d’un dispositif unique. Je suppose capital, sur ce point, que soient appréhendés différents modèles dans une logique de comparaison. Ce serait là apporter une réponse aux enjeux sociocognitifs et politiques posés par le numérique.

Je m’aperçois avoir pris pour trame, à dessein peut être, par conviction certainement, le tryptique culture des médias, info-documentaire et informatique de la culture informationnelle. C’est donc sur ces bases que je vais m’employer à proposer des séquences pédagogiques construites à partir de ce petit inventaire des savoirs info-documentaires associés à la lecture numérique.

La navigation hypertextuelle

Il me semble important de préciser d’emblée que l’intérêt porté sur la lecture numérique ne doit pas faire oublier les interactions de celle-ci avec l’écriture numérique d’une part, ainsi que le chevauchement des tâches de navigation et d’annotation d’autre part. Il ne s’agit ici que de dégager des entrées qui constituent, à mon sens, une matière pour concrétiser des séquences pédagogiques. Je vous renvoie, pour qui souhaite aborder cette littératie dans toute sa complexité, aux contributions, limpides, de Pierre Fastrez, que vous préfériez un format vidéo ou texte.

La lecture hypertexte structure le web

En ce qu’elle est une introduction à l’hypertexte, ou hyperlien, la lecture numérique apporte sans doute les conditions de structurer le web dans l’esprit des élèves. D’un point de vue historique, pour commencer, en évoquant, dès le collège, le Memex de Vannevar Bush et l’hypertexte de Ted Nelson pour les aspects techniques, et le cosmopolitisme des savoirs de Paul Otlet pour le relier à la culture humaniste. Ces connaissances peuvent être approfondies au lycée dans une approche spiralaire. Afin d’échapper à une forme d’enseignement frontal que pourrait laisser supposer ce type de contenu, il doit pouvoir être imaginé un corpus de textes complémentaires reliés par des hyperliens, pour mêler théorie et pratique. Il est en tout cas important de donner aux élèves des repères historiques, de sorte qu’ils puissent s’approprier cette technologie au regard de ses évolutions. Il en va à mon sens de même pour l’évolution des supports de lecture qui gagneraient à être abordés avec les élèves.

La notion d’hypertexte porte par ailleurs en elle les conditions d’une « cartographie » du web. Selon le niveau des élèves, dès le collège, les hyperliens renvoient, ou non, à différents « écosystèmes », que l’on prenne le Web 2.0, le web invisible, le web dynamique ou encore le web sémantique. Taxinomie qui peut être prolongée, à une autre échelle, en distinguant les différents types de plateformes, que l’on distingue les sites des forums ou encore des wikis par exemple. Je suppose que ces distinctions gagneraient à être observées très tôt par les élèves qui pourraient davantage se situer sur les sites qu’ils consultent et donc être plus à même d’évaluer les contenus. Elles leur apporteraient en tout cas des connaissances médiatiques et techniques utiles à la résolution, ultérieure, de tâches plus complexes. Je ne sais, en revanche, s’il peut être important d’aborder dans le secondaire la question des URI/URL entre identification et localisation..? Peut être pour certaines séries au lycée.

La lecture hypertexte dé-structure le discours

A un second niveau, la navigation hypertextuelle peut s’avérer structurante intellectuellement pour nos élèves, que l’on se place dans un corpus de documents organisé a priori ou sur le web. Il me semble peut être plus pertinent, sans que cela soit systématique, de travailler sur des corpus assemblés a priori, avec des élèves des premières classes du collège. C’est sans doute se donner les moyens d’éviter quelques aléas de navigation, toujours détestables, mais surtout de commencer à observer avec eux la construction d’un discours formant un tout constitué de parties. L’exemple de Vannevar Bush et du memex pourrait ici donner lieu à un questionnaire relativement simple dont les réponses seraient à retrouver dans différents textes articulés par des hyperliens. La navigation hypertextuelle présente aussi un moyen d’observer les différentes mises en relation envisageables que les documents soient illustrés, sonores ou textuels. Il va de soi que ces types de documents, qui forment des unités discursives, doivent être par ailleurs abordés avec les élèves pour ce qu’ils sont (par exemple des infographies). Ce faisant, une fois en situation sur le web, les élèves seraient en mesure de construire leur navigation au regard des repères qu’ils auront déjà assimilés. Il est ici question d’élaborer un parcours de lecture, ou de recherche, ce qui n’est à mon avis possible, que dès lors que les élèves sont en possibilité de se représenter l’environnement dans lequel ils évoluent. Sinon, ils se contentent de répondre à une question, ce qui pour le professeur documentaliste ne présente aucun intérêt.

Dans un second temps, je suppose important de distinguer avec les élèves les différentes fonctions que peut avoir un lien, qu’il s’agisse d’apporter une information complémentaire, d’illustrer un propos, de justifier d’un argument, de renvoyer à une source, ou encore de définir un terme. Pour une mise en pratique, il doit pouvoir être envisagé de partir d’un texte et de voir avec les élèves ce qu’ils s’attendent à trouver derrière tel ou tel lien, en confrontant les résultats. Il me semble primordial, pour cela, de partir de sujet que les élèves connaissent. L’idéal étant de pouvoir travailler avec un collègue de discipline sur une partie du programme que les élèves viendraient de voir. C’est, à mon sens, une condition importante pour que les élèves aient les moyens de supposer le type et le contenu du document associé au lien. C’est un préalable pour aborder la complexité, que l’on ait à l’esprit sur ce point les objectifs de la cartographie des sources. Ils doivent, en effet, pouvoir inscrire leur réflexion, ou leurs suppositions, dans un système de références dont l’étendue procède de la culture qu’ils ont d’un sujet. Par ailleurs, dans un contexte de recherche et d’évaluation de l’information, c’est confronter les élèves à la notion de pertinence, en particulier celle du contenu par rapport à ce qui est recherché.

Ces préalables ont pour objectif de rendre les élèves conscients de leur parcours d’hyperliens, qui détermine la lecture qu’ils peuvent avoir d’un sujet. Il s’agit de développer leur esprit critique en leur donnant les moyens intellectuels d’opérer une distanciation entre leur parcours de lecture et leur compréhension d’un sujet. C’est par ailleurs se donner la possibilité d’introduire la notion de sérendipité comme une compétence avancée de recherche d’information, dès lors que l’on ne réduit pas le champ des possibles.

Mémoire et annotation

Afin de prolonger mon exploration de pistes pédagogiques, je me propose d’aborder la lecture numérique sous l’angle de la mémoire des parcours de lecture, ou de recherche, et des formes d’annotation. Il m’a semblé que ces deux points étaient interdépendants, de sorte que je ne suppose pas pouvoir les traiter séparément. En conséquence, par souci de clarté, je pense reprendre pour fil conducteur le concept d’environnement informationnel, que je trouve particulièrement structurant pour les élèves. En plus des travaux de Pierre Fastrez, déjà mentionnés, je vous invite, sur ce qui suit, à lire Du tag au Like d’Olivier Le Deuff, dont vous pouvez avoir un avant goût avec ce chapitre bonus en ligne.

Entre mémoire de lecture et pratiques d’annotations, il me semble essentiel, dès les premières années du collège, d’aborder avec les élèves la notion de classification. Il s’agit d’ailleurs là, à ma connaissance, d’un enseignement largement répandu dès la sixième, l’objectif étant de permettre aux élèves de se repérer dans les rayonnages du CDI. Pour aller au delà, ce qui se pratique déjà souvent, il est tout aussi important d’insister sur la notion d’ensemble pour classer des « objets » ou des « thèmes », ce qui constitue un préalable pour se situer dans un parcours de lecture. L’idée étant ici de commencer à donner des repères conceptuels aux élèves de sorte qu’ils apprennent à concevoir leur itinéraire en « bloc sémiotique ». La question du sens est à mon avis centrale en ce qu’elle détermine culturellement une représentation. Je suppose d’ailleurs qu’il pourrait être pertinent, en 4ème-3ème, de différencier avec les élèves, dans une approche historique et culturelle, les grandes classifications (Dewey ou CDU, BBK et Ranganathan par exemple). Il va de soi que ce travail ne peut s’effectuer que dans la durée, sur des sujets connus par les élèves, le but étant de leur faire prendre conscience de la part de subjectivité inhérente aux taxonomies. Dans le prolongement du collège, il doit pouvoir être imaginé de faire travailler les élèves sur la notion d’ontologie, dans le cadre d’activités type ECJS ou TPE. Ce serait en tout cas là leur garantir une forme d’indépendance dans le jugement qui va de pair avec l’acquisition de compétences pour attribuer des mots clés ou taguer des ressources.

Je développerai moins ce second point pour le collège dans la mesure où le travail sur les mots clés fait l’objet de nombreuses séquences préparatoires à l’utilisation du logiciel de recherche documentaire ou à la navigation sur le Web. Peut-être simplement rappeler ces deux écueils que sont la polysémie et l’homographie sur lesquels il faut insister. En revanche, pour le lycée, et peut-être même dès la fin du collège en envisageant la liaison 3ème-2nde, il serait sans doute pertinent d’aborder avec les élèves la pratique du taguage, qui constitue une marque et une trace, que l’on se place, selon la distinction de Thomas Vander Wal, dans une folksonomie « étroite » (personnelle) ou générale (collective). L’ouvrage Du tag au Like d’Olivier Le Deuff est, sur ce point, tout à fait pertinent dans une perspective pédagogique. L’auteur y aborde les avantages et contraintes de ces deux formes de folksonomie, ce qui peut donner lieu à l’élaboration de séquences avec les élèves. Il propose en particulier une typologie des tagueurs et de leur motivations (initié, gentleman, info-pollueur, conservateur, guide et petit contributeur) qui constitue une base adéquate pour aborder les intérêts et les dérives des folksonomies. Olivier Le Deuff propose, par ailleurs, une série de conseils et de règles qui peuvent constituer une « écologie du taguage » sur laquelle s’appuyer, en particulier lorsque l’on se place dans une situation de contributeur. J’imagine ici qu’il pourrait être intéressant de faire travailler des élèves sur une lecture numérique collaborative. Seul, ou en groupe restreint, il leur serait demandé d’annoter et de taguer un même document avec pour consigne d’en clarifier la lecture pour l’ensemble des élèves. Ce qui peut donner lieu, par ailleurs, à un temps de réflexion sur les différents types d’annotation qui peuvent être, ou qui ont été envisagés.

Il est sans doute important, en complément matériel pour construire une telle séance, d’envisager les applications ou logiciels qui peuvent être utilisées. Ce qui me pose problème. D’abord parce que chacun à ses habitudes, ce qui ne doit pas être une contrainte pour en changer. Ensuite parce que je ne suis pas compétent pour conseiller plutôt, par exemple, « Evernote » ou « Diigo », que l’on privilégie l’interopérabilité ou l’homogénéité du réseau. L’idée, au regard de la technologie, est plutôt de rendre l’élève « majeur », au sens de Simondon, dans son rapport à la technique. A cet fin, le choix ponctuel des outils importe moins que l’acculturation émancipatrice des élèves qui passe davantage par la capacité à anticiper des dysfonctionnements et donc à envisager des alternatives. Il s’agit moins de considérer l’outil pour son fonctionnement que d’appréhender sa fonction dans un système, ici un environnement informationnel. En conséquence, au delà de l’aspect pratique pour lequel je ne me suppose pas en mesure de faire des suggestions, il me semble qu’il faut aborder trois enjeux, de l’ordre de la mémoire, avec les élèves. Il est tout d’abord important que nos élèves aient à l’esprit que leur plateforme préférée peut un jour disparaitre. Je vous renvoie sur ce point à l’article de Olivier Ertzscheid au sujet de YouTube. Ce qui suppose, cas échéant, qu’ils aient une mémoire de sauvegarde de leurs données. Il est par ailleurs important qu’ils soient confrontés à la notion d’instabilité documentaire. Ce qui suppose qu’ils soient conscients que d’une consultation à une autre le contenu d’un document peut avoir évolué selon les mises à jour. Cas de figure pour lequel il peut leur être proposé la stratégie du double lien ou, du moins, qu’ils aient connaissances, en sortant du lycée, de l’existence des archives d’Internet. Pour terminer, je suppose qu’il pourrait être important d’évoquer avec les élèves l’aspect formel des sites web. Le template d’un site, son design, constituent vraisemblablement des éléments qui entrent en compte dans le choix et la mémorisation des parcours et des traces de lecture par les élèves. Mais je sais, sur ce point, la recherche en cours…

Si la surabondance d’informations suppose que des savoirs soient enseignés aux élèves pour qu’ils structurent leur navigation, il doit en être de même, dans le contexte de la lecture numérique, au niveau de leurs pratiques de mémorisation et d’annotation. Une réponse peut être de leur permettre de concrétiser un environnement informationnel pour lequel ils apprennent à catégoriser les contenus, seuls ou en collaboration, en concevant des alternatives qui anticipent des dysfonctionnements.

Littératie-s

J’entends m’inspirer, pour conclure, de la présentation d’Alan Liu parue dans les dossiers de l’Ina. Les « reconfigurations » envisagées me semble absolument pertinentes pour aborder le changement de paradigme qui s’opère par le passage au numérique. Son approche me semble par ailleurs tout à fait honnête et perspicace lorsqu’il s’agit de donner à voir l’ampleur des mutations en cours, tout en précisant l’étendue du travail de recherche à mener. Que l’on considère les médias, la matérialité, les sens, la société, la cognition, la forme et l’échelle ou encore la valeur de la lecture, l’énonciation de ces reconfigurations laisse entrevoir la pluralité des littératies convoquées dans l’acte de lecture. De fait, les enjeux scolaires et éducatifs immédiatement identifiables servent des enjeux « civilisationnels » qui supposent l’alphabétisation numérique des élèves. Je vous renvoie sur ce point à deux textes, déjà cités, de Pierre Fastrez et Alexandre Serres.

Afin d’apporter, peut-être, des éléments qui contribuent à mettre en œuvre ce qui constitue à mon sens un projet éducatif essentiel, je me propose de compléter et d’étendre le schéma conceptuel sur la notion de document aborder par le mind mapping. Après tout, si l’on veut bien associer l’information-documentation au Big Bang de la lecture en ligne, il apparait normal que les savoirs qui s’y réfèrent soient en expansion.

 Afin d’en préserver la lisibilité j’ai moins développé la partie supérieure de schéma. J’ai en effet déjà réalisé ce travail pour la partie qui concerne la validation de l’information. Quant à ce qui concerne l’architexte, même si je l’ai davantage développé dans le schéma sur le mind mapping, j’avoue ne pas toujours être très à l’aise avec ce concept. J’ai par ailleurs réalisé un second schéma pour lequel je n’ai conservé que les points nodaux, auxquels j’ai ajouté l’écriture numérique et la publication, qui ont fait l’objet d’un autre d’article.

Pour intéressant que soit la réalisation de ces schémas, en ce qu’ils font apparaître des relations entre les notions info-documentaires et les compétences vers lesquelles elles renvoient, il y manque une perspective qui donne à voir les progressions qui peuvent être pensées pour l’ensemble de l’enseignement secondaire. Il me semble par ailleurs qu’il faudrait les représenter en 3D afin de matérialiser des corrélations difficilement identifiables sur surfaces planes. Ceci étant, compte tenu des enjeux qui résultent de la lecture numérique, et plus généralement de l’environnement numérique, c’est de toute évidence un travail qu’il est essentiel de prolonger et de compléter selon que l’on stabilise les concepts.

Écriture numérique et publication

Cadre théorique et prospective

Je me propose, dans cet article sur l’écriture numérique et la publication, de clore une réflexion engagée sur le document et prolongée par la lecture numérique. J’entends, pour ce faire, aborder cette notion selon la même méthodologie et commencer par préciser le cadre théorique dans lequel je m’inscris, avant d’envisager des pistes d’exploitation pédagogique. Il me faut préciser, d’emblée, que je n’aborderai pas la question du code, non qu’elle manque d’intérêt, mais parce qu’elle me semble devoir être traitée distinctement. Je regretterais de devoir la cantonner à sa spécificité computationnelle, quand cela n’est pas nécessairement le cas, alors que mon approche de l’écriture numérique cherche à s’affranchir de toute prévalence littéraire, en tant que forme sémiotique, ou technique, de l’ordre des usages, voire des ressources numériques. Je suppose davantage pertinent de concevoir le rapport de l’écrit au support, dont l’écriture numérique est le prolongement, sans doute complexifié, d’une relation plus ancienne, afin d’éviter l’aporie conceptuelle qui résulterait nécessairement d’une approche strictement disciplinaire. C’est par ailleurs ce qui ressort de ma lecture du corpus d’articles « Du document numérique au textiel«  sur lequel je vais m’appuyer.

Je trouve particulièrement opérantes les notions de « texte » et de « signe passeur » développées par Yves Jeanneret et Jean Davallon. Cela me semble une réponse structurante pour qualifier la caractéristique dynamique de l’écriture numérique. Il me semble que ces notions, qui constituent une passerelle entre le concept de « document » et celui de « média », viennent articuler les savoirs qui y sont associés dans ce qui pourrait constituer la progression d’un enseignement. Ce qui suppose, tel que définit par Jean-Michel Salaün, que les éléments constitutifs du document, c’est à dire la « perception » (inscription repérable), l’ « intellect » (texte construit) et le « social » (référence partagée appropriable) soit, oserais-je dire, vu, lu et su par nos élèves. Il est fondamental que ce concept soit stabilisé si nous voulons qu’ils dépassent la condition de simples usagers pour concevoir la dimension culturelle de l’écriture-lecture numérique, entre projet de communication et interprétation contextualisée.

Cela suppose aussi que soit abordé le concept de « média » dont la distinction entre média support, média type et média source est loin d’être acquise. D’abord parce que l’écriture numérique, médiation sociale, suppose que l’on sache où l’on se situe, mais aussi afin de distinguer les caractéristiques du dispositif « sémio-technologique » que l’on utilise. Ce qui suppose de tenir, à mon sens, auprès des élèves, un discours distancié sur l’évolution, dans le temps, des dispositifs de lecture ainsi que du rapport socialement construit entre auteur et lecteur. Mais encore de bien avoir à l’esprit que l’écrit est un objet de pouvoir qui, au-delà du discours, affère à des conditions techniques, économiques et réglementaires. Ce faisant, je ne crois pas que cette richesse épistémologique puisse donner lieu à une approche disciplinaire cloisonnée, ce qui, je le rappelle, occasionnerait une aporie conceptuelle.

Il me semble, pour terminer, qu’il faut aborder la question de la publication dont le statut, dans le contexte du Web 2.0, est particulier. Il s’agit moins ici de la considérer du point de vue de l’éditorialisation que selon le principe de « rendu public » qui en découle. Pour commencer à observer cette tendance chez les élèves, je partage le questionnement d’Olivier Ertzscheid sur les pratiques à venir des jeunes en matière de « production consommation » d’écrits. Une étude, si elle n’a pas déjà été faite, serait sans doute à mener sur le rapport symbolique que donnent nos élèves à la valeur d’échange sur le web. En l’occurrence, pour avoir pu aborder cette question avec des élèves, certains me disent concevoir avec difficulté les restrictions d’usage qui résultent du droit dans la mesure où il leur semble naturel, de par leurs pratiques, de déposer ou de prendre du texte ou de l’image. Sans doute l’éducation a-t-elle ici un rôle à jouer.

Le cadre théorique posé je vais dorénavant m’employer à envisager des pistes de séquences pédagogiques sur l’écriture numérique.

Du texte comme « design de soi »

J’entame ma réflexion pédagogique sur l’écriture numérique et la publication par l’exploration de la notion de « texte ». Pour ce faire, il me faut, au préalable, préciser le sens que je donne à cette notion qui, dans le contexte de l’écriture numérique et de la publication, prend une nouvelle complexité. J’entends, pour ce faire, emprunter à Roger T Pédauque ses propositions sur ce que recouvre le « texte », ou plutôt la « textualité », dans les conditions du numérique. Les travaux de ce collectif me semblent apporter une grille de lecture particulièrement opérante dans la distinction entre l’ « inter-sémioticité », qui fait du texte un objet multimédia (écrit, image et son), et la « sémiotique multidimensionnelle » qui rappelle que le « texte n’est pas un objet ponctuel, mais un ensemble associant une réalité matérielle (l’objet texte), des formes qui l’organisent (la textualité) et des moyens culturels pour le qualifier (les pratiques interprétatives). Je me suis par ailleurs inspiré de la récente intervention de Divina Frau-Meigs aux journées de l’innovation pour, notamment, faire travailler mon « cerveau créatif » et imaginer un titre dont l’idée de « design de soi », en fait, … existait déjà. Je l’ai tout de même conservé en vue d’articuler la forme, associée au design, avec les deux autres entrées que sont l’ « éditorialisation de soi » et l’ « écriture de soi ». J’apporte d’emblée ces précisions pour préciser que ces trois approches sont en réalité intimement liées et que je ne les aborde séparément que pour, je l’espère, clarifier mon propos.

 Au-delà du sens classique de ce que l’on entend par l’écrit, il me semble tout aussi essentiel d’aborder avec les élèves les dispositifs, formes textuelles et configurations (ou « formes sémiotiques » selon Bruno Bachimont) qui interagissent médiatement. Je suppose primordial, dès la sixième, de replacer l’écriture numérique dans l’histoire des dispositifs d’écriture. Il ne s’agit pas ici de « trancher » un débat entre évolution ou révolution numérique, mais de situer l’écriture dans un rapport entre esthétique et conditions techniques. Et ce quand bien même il nous faut remonter aux peintures rupestres. L’objectif, à terme, est ici de faire comprendre aux élèves que leur « usage » est médiatisé par des conditions technologiques, mais pas seulement, inhérentes aux dispositif qu’ils utilisent. C’est par exemple le cas du mur pour les peintures rupestres ou de l’écran pour l’ordinateur. La question de l’informatique peut ici être abordée, ne serait-ce que de manière théorique, en rappelant que les formes textuelles sont réalisées par celles et ceux qui les configurent (« code is law »). La notion d’architexte est sans doute trop complexe pour pouvoir être abordée dès le secondaire, mais il y a probablement des analogies intéressantes à trouver entre les murs de la caverne et l’ombre projetée par « Facebook » sur le mur des utilisateurs.

De fait, je suppose qu’il serait pertinent que les élèves se familiarisent avec des plateformes et des applications sélectionnées par l’enseignant, mais pas uniquement, pour leurs caractéristiques et leur complémentarité. L’objectif visé pourrait être ici de faire comprendre aux élèves que les technologies ne sont pas neutres. Il me semble, à cette fin, que les conditions pédagogiques de cette prise de conscience pourraient passer, chez les élèves, par l’approche des applications et des plateformes en tant que système, ainsi que par leur expérimentation de sorte qu’ils puissent en mesurer la complexité réelle. En l’occurrence je trouve regrettable que l’on s’interdise d’analyser Facebook quand ce modèle pourrait être comparé avec Diaspora. De même que je trouve regrettable de ne considérer Twitter que pour ses apports pédagogiques en terme d’écriture quand c’est l’ensemble du modèle qui à mon sens devrait être étudié. C’est dans les deux cas, sinon, prendre le risque de mettre en œuvre les conditions de création d’un public captif.

Pour en venir à des propositions concrètes je vois (au moins) deux pistes à envisager. En terme d’expérimentation je trouve très réussie la séquence proposée par Angèle Stalder sur l’architecture de l’information. Cela me semble très structurant en terme de mise en forme (ou de design), tout en considérant un corpus de notions informatiques, informationnelles et médiatiques. Je trouve particulièrement formateur, pour mon propos, cette idée selon laquelle « les élèves doivent acquérir des connaissances en matière informatique (connaître les propriétés du dispositif technique pour savoir ce qu’il est possible d’en faire) ». Acquérir ces connaissances sous-entend que les élèves, pour avoir eu accès au « backoffice », sont plus intelligents, qu’ils comprennent, lorsqu’ils sont sur des plateformes. Deuxième piste, je suppose pertinent d’aborder les questions de design pour l’intérêt que cela présente en terme d’évaluation de l’information. Faire travailler les élèves sur des plateformes en tant que système, tout en leur donnant la possibilité de les expérimenter concourt à les familiariser avec les critères de qualité de l’information liés à la mise en forme. Hasard des publications sur la « profdocosphère », le travail de Richard Peirano sur l’évaluation d’une source, doit pouvoir constituer la base de scénarios pédagogiques particulièrement riches, tant du point de vue de la comparaison entre différents sites que par le travail d’enquête sur ceux-ci.

Je suis conscient de la difficulté qu’il peut y avoir à aborder l’écriture numérique et la publication sous l’angle du design en le dissociant de l’éditorialisation. Une autre approche eut été possible en considérant la notion de « représentation » sur laquelle Roger Chartier, historien du livre, de l’édition et de la lecture, a livré récemment une conférence. Je suppose féconde la transposition de ce que sous-tend cette notion, « donner à voir un objet absent » et « tenir la place de quelqu’un », à l’écriture numérique.

Du texte comme « éditorialisation de soi »

Après m’être intéressé à la question du design, je prolonge ici ma réflexion en abordant le concept de « texte » sous l’angle de l’éditorialisation. L’objectif étant de dégager des pistes qui puissent faire l’objet de séquences pédagogiques dans le secondaire. Je vais m’appuyer, pour ce faire, sur la notion d’ « énonciation éditoriale » dont Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret sont à l’origine. L’écrit numérique et la publication, en tant que forme de « pouvoir », sont le fruit d’une inter-détermination entre les conditions apportées par l’objet technique, la forme sémiotique et les pratiques. Rapporté à l’éditorialisation, selon le dispositif de publication, cela veut dire que le « média de l’écriture n’est pas seulement le lieu de passage d’un flot informationnel ; c’est un objet matériel configuré qui cadre, inscrit, situe et, par là même, donne un statut au texte ». L’idée de « configuration » est essentielle en ce qu’elle suppose une autre forme d’intervention sur le texte que l’unique forme créative de l’auteur. Le paramétrage opéré sur le backoffice, selon les plateformes, crée les conditions d’un espace dialogique scriptural qui implique un dispositif normé (gabarit) et l’utilisateur. De même, le statut de ce dernier est en mutation. Je vous renvoie sur ce point, au sujet des CMS, à l’étude de Valérie Jeanne-Perrier pour qui « éditeur et auteur composent ensemble une nouvelle partition dans laquelle chacun emprunte ou dérobe des compétences à l’autre ». J’observe, du reste, dans ma pratique, cette forme de métissage des fonctions qui mêle la création à la responsabilité éditoriale.

Je trouve particulièrement pertinente cette étude comparative des CMS. Valérie Jeanne-Perrier fournit des indications précieuses sur ce que peut être l’influence sémiotique d’un dispositif sur des formes d’écriture. Je relève en particulier les interrelations entre les dimensions techniques de l’architexte et sociales de la communauté. De fait, je suppose qu’il pourrait être intéressant de commencer à aborder ces questions dès le secondaire avec les élèves. Cela suppose, pour démarrer, que les notions d’auteur et d’éditeur soient assimilées pour ce qu’elles sont, avant d’observer leur hybridation selon les plateformes. Il me semble, par ailleurs, que ces dernières devraient être abordées pour leurs singularités. En l’occurrence, on n’écrit pas de la même façon, ni sans doute la même chose, que l’on publie sur un blog ou sa « timeline », quelle qu’elle soit. En terme d’éditorialisation, la recherche d’un nom pour un site ou le choix d’un avatar peut sans doute donner lieu à des temps de séquence intéressants. Je pense, pour reprendre l’étude de Valérie Jeanne-Perrier, que le choix d’un nom peut donner lieu à un travail sur l’influence de l’indexation. Ce qui peut, par ailleurs, constituer une introduction à l’écriture journalistique dans la perspective d’une éducation aux médias (presse). De même, le choix d’un avatar peut introduire une réflexion sur le contenu supposé d’un site selon le choix qui est fait. Ces temps d’apprentissage, pour humbles qu’ils puissent paraître, me semblent par ailleurs constituer des acquis significatifs, car signifiants, en terme d’évaluation de l’information.

A un deuxième niveau, l’écriture numérique, sous l’angle de l’éditorialisation, suppose que les élèves abordent les différentes formes textuelles. Je pense ici en particulier aux potentialités qu’offre l’écriture multimédia et le lien hypertexte. Sur le premier point, qui concerne le recours au texte, à l’image et au son, outre la dimension créative qui peut impliquer professeurs d’arts plastiques et de musique, la question de l’éditorialisation suppose, chez les élèves, l’acquisition de connaissances informatiques relatives aux différents formats. L’objectif étant ici de permettre aux élèves d’anticiper leur besoin selon leur projet d’écriture. Cette question de l’anticipation intervient de même au sujet des liens hypertextes, pour leur dimension éditoriale. Il me semble essentiel que nos élèves aient à l’esprit que le web est un ensemble mouvant et que les pages qu’ils pointent par des hyperliens aujourd’hui peuvent avoir disparues demain. A titre d’exemple, ou de piste pédagogique, je peux mentionner ce séminaire « Ecritures numériques et éditorialisation » qui me semble particulièrement intéressant, sans toutefois savoir si le lien sera toujours actif dans un an ou deux… Il est vrai que si tel ne devait pas être le cas, peut être aurais-je la possibilité de renvoyer vers une autre page (captation vidéo par exemple). Cette question de l’instabilité documentaire me semble en tout cas fondamentale dans le processus d’éditorialisation, du moins pour que nos élèves, lorsqu’ils publient un texte par « temps calme », aient à l’esprit l’avis de tempête…

… Pour terminer par un point essentiel, la question de la responsabilité éditoriale ne saurait être éludée. Anecdote (..?). Cette année un groupe d’élèves a fait le choix d’intégrer une vidéo récupérée sur « Youtube » en appui à leur évaluation orale de TPE. Parce qu’ils travaillaient sur la publicité et que cette vidéo comportait manifestement des logos de marques, elle n’était plus en ligne le jour J, remplacée par un avertissement concernant le respect de la propriété intellectuelle. A leur décharge, ce n’est pas eux qui avaient déposée cette vidéo qu’ils souhaitaient utiliser pour illustrer leur propos. Il n’en reste pas moins qu’ils ont dû improviser et expérimenter à leur dépend une situation très inconfortable. Je suppose que ce type de situation est conduit à se reproduire dans un contexte où publier est devenu un geste à la portée de tous, ce dont il faut sans doute par ailleurs se féliciter. Il me semble qu’en terme d’éditorialisation, la question de la propriété intellectuelle est à aborder tant du point de vue du respect des droits (auteur, image) que du statut des publications selon les termes des conditions générales d’utilisation (CGU) associées à l’inscription sur les plateformes. Je n’ai pas de séquence type à proposer sur ces deux approches. Toutes les situations pédagogiques sont envisageables en la matière. A titre d’exemple je trouve le projet de « copie partie » complet dans la mesure où il fait une place au libre (creative commons) en intégrant la question du partage qui renvoie aussi à un geste d’éditorialisation. J’ai, par ailleurs, repéré ce travail de Richard Peirano au sujet des CGU.

 Avant d’aborder l’écriture de soi, je souhaite citer une nouvelle fois Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret qui, en opposition à une conception de l’écriture numérique libérée de toute contrainte rappellent que « toute relation entre sujets usagers des médias informatisés est médiatisée par la relation qu’ils entretiennent aux dispositifs, aux formes textuelles, et par là même aux acteurs qui sont en position de configurer ces objets et ces formes ». L’éditorialisation est d’autant moins neutre que l’écriture numérique résulte de ces interdéterminations. C’est en ayant à l’esprit cet enjeu citoyen que nous nous devons ‘d’y préparer nos élèves.

Du texte comme « écriture de soi-s »

Après m’être consacré à l’écriture numérique et à la publication, abordées selon une approche où le texte est compris comme design puis éditorialisation de soi, je vais m’employer à dégager des pistes pédagogiques à partir du concept d’ « écriture de soi-s ». Si je pense essentiel de donner une dimension théorique à ma pratique professionnelle, c’est en toute humilité que j’entends la questionner sous le prisme de la philosophie foucaldienne. L’on voudra bien, par ailleurs, me pardonner cette petite espièglerie grammaticale sur laquelle j’entends m’expliquer dans un instant. Je vous renvoie, pour la référence à Foucault, à ce billet de Christian Fauré, inspiré, au moins en partie, de Bernard Stiegler. Je retiens en particulier l’idée d’une écriture numérique qui se trouve à la confluence de l’annotation (mémoire) et de l’extériorisation (publication). Au-delà des hypomnemata qui restent fondamentales, je suis aussi frappé par Sénèque (Lettres à Lucilius – lettre 84) que commente Foucault lorsqu’il écrit que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette recollection de choses dites ». Je trouve à ce propos une résonance tout aussi inattendue que potentiellement féconde au regard des enjeux numériques contemporains. D’où l’ajout de ce « s » à « écriture de soi-s » qui renvoie au subjonctif du verbe être, mode du doute, du souhait et de l’incertitude, vers une forme de re-conciliation des deux acceptions du terme « virtuel » dans ce qui est et peut être.

Reportée à la pédagogie info-documentaire, cette approche du texte comme « écriture de soi-s » est pertinente pour aborder les questions relatives à l’identité numérique. Je ne suppose pas devoir insister sur cette notion tant elle fait désormais l’objet de séquences ou séances pédagogiques. Mais je reste néanmoins davantage attaché à une approche qui privilégie la « présence numérique », potentiellement moins anxiogène en ce qu’elle n’opère pas une centration sur les dangers ou les risques d’Internet. Pour qui souhaite travailler cette question avec ses élèves je vous renvoie à cet article de Doc pour Docs où vous trouverez de nombreuses références. Ceci étant, je suppose qu’il serait important d’observer et d’analyser d’éventuels changements dans le rapport qu’ont les adolescents à leur intimité. Il ne semble pas improbable de considérer que la généralisation de l’acte de publication, qui est une extériorisation de soi, peut modifier leurs représentations socio-culturelles.

Pour revenir sur le terme d’incertitude mentionné ci-dessus, je suppose qu’une autre piste pédagogique pourrait concerner la recherche d’information, en particulier la navigation hypertextuelle. Si cette dernière peut sembler davantage tenir d’une pratique de lecture, le parcours de recherche, selon les choix que l’on opère, est aussi une « écriture de soi-s ». Nous nous écrivons selon ce que nous lisons ou ne lisons pas. Que l’on me permette en tout cas de soumettre cet élément de réponse à Anne Cordier lorsqu’elle envisage d’enseigner l’incertitude pour construire une culture de l’information.  Il me semble qu’il y a en la matière beaucoup à faire et c’est par défaut que je vous propose cette unique séquence qui, pour l’avoir expérimentée à plusieurs reprises, est tout à fait concluante. La navigation hypertextuelle, en ce qu’elle formalise le parcours de recherche, exprime la double intention de celui qui a publié et de celui qui navigue. Il me semble en conséquence qu’elle peut être particulièrement pertinente pour que les élèves apprennent à anticiper leurs recherches et plus généralement leur rapport au web et au numérique.

Il me semble, pour troisième et dernière piste à explorer, que le texte comme « écriture de soi-s » peut donner lieu à des séquences pédagogiques qui abordent l’écriture collaborative. Il s’agit moins ici de considérer le travail d’écriture que de questionner avec les élèves la notion d’ « auteur » dans le contexte numérique. Ici, l’ « écriture de soi-s » devient une « écriture du nous » qui n’a d’intérêt que si les élèves y sont un temps soit peu préparés. Ce serait, sinon, prendre le risque de voir les uns s’effacer quand les plus actifs ne sont pas nécessairement les plus pertinents. J’ai pris pour habitude, pour l’écriture collaborative, de faire travailler les élèves sur des pads. Ils présentent l’intérêt de partager une zone de texte et une zone de chat dont les élèves doivent, entre autre, coordonner l’usage pour avancer dans l’écriture. Surtout, l’écriture collaborative suppose des phases de concertation sur lesquels je m’appuie pour questionner les notions d’auteur, d’autorité et d’autoritativité.   Pour quelles raisons le groupe a-t-il choisi la formulation de tel élève plutôt que de tel autre ?  Après réflexion, ces choix leur semblaient-ils toujours bien-fondés ? Je reviens par ailleurs sur ces notions comme prérequis lorsqu’il s’agit d’aborder la notion de publication et ce qu’elle implique en terme d’investissement personnel.

Pour reprendre Foucault commentant Sénèque, je vous propose pour finir de remplacer « collection » par « redocumentarisation » de sorte que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette [redocumentarisation] de choses dites ». Et de bien vouloir considérer là, que ce que sous-tend la notion de publication, constitue, pour nos élèves, un enjeu majeur de leur devenir.

Construire du sens

Au moment de conclure cet article sur l’écriture numérique et la publication, je renvoie le lecteur vers le Projet PRECIP dont les travaux ont donné lieu, il y a un an, à un séminaire sur le thème « Enseigner l’écriture numérique ?« . L’approche pluridisciplinaire me semble particulièrement féconde sur cette thématique . La qualité des interventions apportent par ailleurs des éléments de compréhension à cette carte heuristique (merci Angèle) qui décline l’écriture numérique en une hiérarchie fondée sur les tropismes (« tendances inhérentes aux propriétés fondamentales du numérique »), les principes (« potentiels techniques ouverts pour les applications d’écriture ») et les fonctions (« modalités effectives d’écriture rendues disponibles par les applications »).

En toute humilité, avec pour ambition de dégager des possibles pédagogiques qui prennent pour objectifs des notions info-documentaires abordées lors d’une progression adaptée au secondaire, je vous soumets ce schéma conceptuel, qui vient ponctuer cet article. Je le souhaite complet tout en considérant l’éventualité de compléments dont je vous invite à me préciser la nature. Il est vrai que ce schéma, forme de « texte », est le résultat de mes lectures dont je redoute les lacunes, en espérant qu’elle ne soient pas fondamentales.

Il me restera à vous proposer, à venir, un dernier travail de schématisation qui reprenne celui-ci ainsi que les deux autres réalisés sur le document numérique et sur la lecture numérique. J’espère pouvoir en déduire, si ce n’est des concepts intégrateurs, du moins des concepts ou savoirs nodaux qui me permettent d’organiser mon enseignement.

Google est-il intelligent ?

De nouveau en collège, je tâtonne dans la mise en oeuvre d’un enseignement dont je souhaite qu’il soit modulaire. Mais je reviendrai ultérieurement sur le module de cours en information-documentation que j’ai donné cette année aux élèves de sixième. D’ici là, je vous propose, dans ce billet, la préparation des séances 5 et 6, formalisées à partir d’une question : Google est-il intelligent ? Je dois cette idée à un élève, Enzo, qui a inspiré cette situation-problème lorsque, en réponse à cette question posée à la classe, s’est proposé d’aller demander à Google si il était effectivement intelligent. Je l’en remercie.

La grainothèque, objet pédagogique pour le CDI

Après plusieurs mois sans publication, mea culpa mea maxima culpa, mais il est vrai que j’ai changé d’établissement pour passer d’un contexte de lycée à celui d’un collège, je trouve enfin la faveur d’un instant pour Cactus acide. Je reviendrais probablement ultérieurement sur le contexte de mon nouvel établissement, mais je vais me contenter pour l’heure d’en explorer l’une des facettes par l’intermédiaire d’une séquence que je propose à des élèves de SEGPA.

J’ai élaboré un projet de grainothèque dont l’approche, outre la dimension de « communs » dont je suppose l’intérêt pour des élèves dès le collège, me semble pertinente en ce qu’elle me permet de concilier des tâches qui monopolisent des savoirs théoriques et des temps de réalisation pratique. Ce projet est par ailleurs intéressant de par sa dimension concrète pour des élèves qui peuvent être en difficulté dès lors que l’on se situe strictement dans une approche abstraite.

L’éventualité, pour les élèves, de suivre la germination et la floraison des graines qu’ils ont pu mettre en pot ou en terre mes semble pouvoir faire sens pour des élèves qui, au-delà de leur difficulté cognitive, et en réponse à une expérience parfois douloureuse, peuvent considérer ne rien devoir tirer de positif de l’école.

Un projet pour travailler, en somme, des savoirs, ici en particulier la notion de classement, et l’estime de soi.

Proposition de progression modulaire pour l’EMI

J’ai souhaité reprendre dans un même article trois séquences sur lesquelles j’ai travaillé et qui forment un tout. Leur articulation est pensée de sorte qu’elles constituent une progression possible, à mettre en œuvre dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Celle-ci restant pour l’essentiel à construire, je me suis appuyé sur le champ des savoirs info-documentaires, que je me suis appliqué à mettre en perspective des prescriptions institutionnelles d’autonomie, de distanciation critique et de citoyenneté. J’en ai extrait ce que j’espère être un ensemble cohérent, qui prend pour objectif général ce que l’on pourrait appeler un « savoir-juger », avec toute la réserve que laisse supposer une telle dénomination.

J’envisage ces trois séquences comme trois étapes successives dont chacune se caractérise par l’acquisition de connaissances et de compétences spécifiques qui restent abordées, à un moindre niveau, dans les deux autres.

Parce que le seul fait d’évaluer une information ou un site web ne fait pas nécessairement sens chez des élèves de seconde à qui l’on n’a pas donné les moyens de se construire, dans la durée, un tel cadre de référence, il m’a semblé pertinent d’en faire l’objet d’une première étape dans l’élaboration de cette progression. Afin que les élèves mesurent la place de l’évaluation dans la sélection de l’information, je favorise une mise en tension entre les notions de « qualité de l’information » et de « crédibilité » qui place l’élève dans une contradiction qui trouve sa résolution dans la compréhension de ce qu’est la pertinence.

Je conçois la nécessité de comprendre ce que signifie « évaluer » comme un préalable pour envisager de faire passer les élèves d’un usage inconscient à une pratique raisonnée des médias. Pour cette seconde séquence que j’aborde avec des élèves de première, je me suis inspiré de l’approche pédagogique de Frédéric Rabat en la combinant avec une démarche de situation-problème simplifiée. Je m’appuie sur les représentations des élèves afin de créer les conditions de leur déconstruction avant qu’ils ne se réapproprient les médias (dans une acception large) en ayant à l’esprit qu’ils ne sont pas des objets neutres.

J’y vois là une condition préalable à la capacité d’argumenter pour interroger le modèle des réseaux sociaux numériques, étendu à une perspective historique de la constitution de l’espace public. Je m’appuie pour ce faire sur le temps long afin d’envisager une approche comparative propice à l’argumentation dans une recherche de confrontation des idées que peut rappeler l’agora antique ou la démocratie participative d’Habermas.

Il ne s’agit là, je le rappelle, que d’une proposition dont la trame évaluer/déconstruire-se réapproprier/argumenter est à éprouver pour en… juger de la pertinence. Il en va de même pour la démarche pédagogique qui s’appuie sur une mise en tension fondée sur le principe de contradiction, tant au niveau des représentations chez les élèves que dans les connaissances en lien avec les sujets proposés.

Pour conclure sur la dimension théorique de cette progression, mon approche renvoie à la translittératie avec pour objectif l’acquisition de savoirs à la convergence des cultures informationnelle, médiatique et informatique. Pour reprendre le mot d’Alexandre Serres, j’y vois la formalisation d’un cadre conceptuel qui favorise le discernement, nouvelle condition préalable au jugement.