Quelle ambition pour les professeurs documentalistes ?

Je me propose de développer dans cet article la conclusion d’un précédent billet en la croisant avec le projet  énoncé par la Fadben dans le Manifeste 2012. Il y est précisé, en introduction aux enjeux posés par le « contexte de l’information numérique », que « la com­pé­tence infor­ma­tion­nelle est […] pré­sentée par l’UNESCO comme indis­pen­sable aux hommes et aux femmes du XXIème siècle ». Principe que nous retrouvons dans les recommandations de l’IFLA sur la Maîtrise de l’information et des médias qui soutiennent, sans s’arrêter sur la délicate traduction d’Information literacy, une expertise dont les professionnels de l’éducation pourraient s’inspirer.

Penser la formation initiale et continue…

Et il faut bien reconnaitre là que de par leur formation les professeurs documentalistes sont à la jonction de ces deux domaines que sont l’information et l’éducation. Aussi me semble t-il évident que la formation initiale doit aller dans le sens d’une prise de responsabilité des professeurs documentalistes, en anticipant les curricula évoqués dans la troisième recommandation. Il s’agit bien là d' »intégrer l’enseignement de la maîtrise de l’information et des médias ». D’aucuns considèrent que cela n’est pas possible tant la technologie numérique évolue vite. Cet argument, si il doit être pris en compte, ne se justifie que si l’on appréhende ces technologies (plateformes, applications,…) sous l’angle procédural. Il est en revanche beaucoup moins pertinent si nous considérons un enseignement par les notions et les modèles, davantage pérennes, sous-tendus par ces technologies.

C’est à cette fin que devraient être davantage travaillés les échanges avec la recherche. Il me semble ici que les interrelations avec le « terrain » seraient bénéfiques entre réflexions et expérimentations. Il est à mon sens erroné de prétendre que seuls savent ceux qui « font ». Ou ce serait alors réduire l’acte à une dimension mécaniste qui ne doit être que celui de la machine. En outre, c’est se couper des approches qui ne sont pas les siennes pour n’échanger qu’avec ceux qui partagent vos propres valeurs. Mais je ne suppose pas qu’il s’agisse là de l’attitude commune, qui serait en contradiction avec la pratique de veille qui fonde en partie notre culture professionnelle. Dans une certaine mesure le champ épistémologique des SIC, déjà exploré, ne demande qu’à être approfondi et complété par des acquis en didactique. La recherche-action, avec la recherche appliquée, dans un contexte de « révolution numérique », peut constituer une approche pertinente fondée sur une démarche de recherche collaborative chercheur/praticien qui soit porteuse de sens sur nos propres pratiques (praxis), ou du moins nous conduise à porter un regard réflexif sur celles-ci de manière à les faire évoluer et, ce faisant, à nous trans-former.

Sans titre Creative Commons License photo credit : caalo10
Sans titre Creative Commons License photo credit : caalo10

…pour élaborer une matrice en information-documentation.

Est-ce à dire que les professeurs documentalistes doivent être les seul(e)s à intervenir auprès des élèves..? Il serait ici dommageable de commencer par s’imposer des limites. Selon les objectifs visés et les tâches envisagées, les combinaisons (séance dédiée, en interdisciplinarité,…) sont multiples, ce qui constitue un avantage. Il reste que, de par notre rattachement aux SIC et notre formation, nous sommes spécialistes dans les domaines de l’information et des médias. Aussi il serait extravagant de voir nos collègues de discipline intervenir seuls, ou en qualité de prescripteurs, auprès des élèves, quand ils se savent moins compétents que nous. Conscients de cela, ils tendent d’ailleurs à nous solliciter pour cette raison évidente. C’est là toute la différence entre dire que la culture de l’information est déjà enseignée dans les autres disciplines quand elle n’y est en réalité que présente dans les programmes.

Un équilibre reste à trouver qui aborde l’ensemble des enjeux posés par la culture de l’information. Le recours à un curriculum est à cet effet adapté dans la mesure où ce type de dispositif comporte une dimension culturelle et sociétale. Par ailleurs il prévient, de par son côté dynamique et progressif, de potentielles évolutions technologiques. Enfin il autorise une souplesse dans les méthodes et stratégies envisagées pour transmettre des connaissances fondées sur des notions, des capacités et des attitudes. Les 12 propositions du GRCDI apportent pour cela l’éventualité d’une réponse à l’ambition que nous pourrions avoir pour les professeurs documentalistes ; réponse qui est d’abord celle que nous devons à nos élèves.

Congrès de la Fadben : Perspectives…

Une semaine après la fin  du 9ème Congrès de la Fadben je me propose de vous faire partager mon sentiment sur ce qui en constitue, à mon sens, la grande réussite. Il ne s’agit pas d’en faire le compte rendu des interventions, ce qui a été fait ici, ici ou encore , mais plutôt de revenir sur l’esprit qui a animé les débats.

Au delà du programme qui réunissait ce qui doit se faire de mieux, nonobstant l’absence de chercheurs étrangers, pour aborder la problématique « Objets documentaires numériques : nouvel enseignement ? », les débats laissent augurer la naissance d’un lien réel entre la « recherche » et le « terrain ». Du moins l’appel à soutenir le Manifeste 2012 est-il relayé et signé par tous.

Pillar Perspective. Benjamin Asmussen

C’est de toute évidence là un nouvel élément prometteur dont il faut s’emparer pour entretenir un dialogue jusqu’alors parfois incertain mais toujours constructif. Il en va de notre aptitude à faire évoluer nos pratiques et à revendiquer des moyens pour cela.

A cette fin, Cactus acide va s’attacher à publier des séquences et des documents de travail qui entretiennent ces échanges. Ce qui fut du reste une première fois le cas avec cette carte conceptuelle largement inspirée, entre autres, des travaux d’Alexandre Serres, Olivier Ertzscheid, Olivier Le Deuff et Dominique Cardon.

L’objectif est ici de transposer des concepts issus de la recherche pour en extraire des contenus info-documentaires qui puissent être abordés en classe avec les élèves selon des scénarii pédagogiques à suivre en l’état ou à réinventer en fonction du cadre pratique de la séance.

C’est reprendre en somme les exhortations de Divina Frau-Meig, grand témoin du congrès, lorsqu’elle nous invite à une recherche-action dont la construction des savoirs scolaires est fondée sur la convergence des littératies médiatique, informatique et informationnelle.

Les enjeux sont de taille, à nous de nous en emparer !