Google est-il intelligent ?

De nouveau en collège, je tâtonne dans la mise en oeuvre d’un enseignement dont je souhaite qu’il soit modulaire. Mais je reviendrai ultérieurement sur le module de cours en information-documentation que j’ai donné cette année aux élèves de sixième. D’ici là, je vous propose, dans ce billet, la préparation des séances 5 et 6, formalisées à partir d’une question : Google est-il intelligent ? Je dois cette idée à un élève, Enzo, qui a inspiré cette situation-problème lorsque, en réponse à cette question posée à la classe, s’est proposé d’aller demander à Google si il était effectivement intelligent. Je l’en remercie.

Dictionnaire raisonné du numérique (AP Seconde)

En ce début d’année scolaire, nous nous sommes vu attribuer, mon collègue et moi-même, 3 créneaux d’Accompagnement Personnalisé chacun sur toute l’année scolaire. Potentiellement, dans la mesure où les groupes ne sont pas modifiés, chaque élève de seconde nous a donc en cours 6 à 7 heures, selon le nombre de semaines entre deux périodes de vacances, dans l’année scolaire.

Idéalement, je souhaitais apporter dans ces cours d’AP des réponses aux différents constats que j’avais pu faire quant à mes pratiques précédentes, tant en ce qui concernait les savoirs, les compétences que leurs modalités d’acquisition.

– Nous faisons en seconde une initiation à la recherche sur BCDI, en intégrant la notion de thésaurus,  dans le cadre de l’ECJS. Dans l’année, nous arrivons à placer une séquence sur la recherche internet, sur les outils collaboratifs, mais toutes les classes n’en bénéficient pas.  Par conséquent, les élèves de 1eres ont,au début des TPE, deux heures de cours marathon, où nous abordons et/ou approfondissons les notions info-documentaires suivantes  : la recherche d’informations sur Internet et leur évaluation,  la pertinence des sources, l’édition d’une bibliographie avec Zotero, l’utilisation d’un pad. Les élèves ne peuvent pas assimiler autant de notions en si peu de temps

– J’ai pu constater lors des recherches documentaires effectuées par les élèves que la plupart d’entre eux privilégient la rapidité dans l’obtention d’une réponse à la pertinence dans leur recherche d’information.

– J’ai remarqué lors des précédentes années que si les élèves utilisent volontiers Internet, ils manquent de précision quant au vocabulaire à utiliser. Faire acquérir une culture numérique aux élèves est dans l’air du temps, comme le montre cet article rédigé par Aline Bousquet et Marie Nallathamby sur Docpourdoc.

J’ai donc essayé de construire une séquence qui allège les cours d’information-documentation de 1ère et qui réponde aux objectifs suivants : utiliser  « intelligemment » le copier coller ; acquérir une culture numérique, en favorisant la compréhension du fonctionnement des outils liés à l’internet, en utilisant un vocabulaire adéquat et en prenant connaissance des enjeux liés au numérique. Je souhaitais de surcroît intégrer une dimension collaborative : les élèves travailleraient par groupe de deux et leur production serait relue et améliorée par d’autres groupes d’élèves. Dans quel but ? Permettre aux élèves de prendre du recul face à leur production.

Voilà comment est née l’idée de créer un dictionnaire « raisonné » de l’informatique et des enjeux liés au numérique

LE DEROULEMENT DE SEQUENCE

Par groupe de deux, les élèves choisissent une notion (par exemple l’acopie, l’identité numérique, les big datas, les métadonnées, Internet, ……). Ils cherchent la définition de ce terme sur un site web et la copient collent dans un pad (sans oublier, bien sûr de citer la source)

En second lieu ilsfinissent  cette notion en 20 lignes maximum, soit en expliquant la définition et en précisant les applications, soit en abordant les problématiques liées à cette notion . Ce petit texte doit être entièrement retravaillé pour pouvoir être compris par des élèves de lycée.

Chaque notion est traitée par au moins deux groupes d’élèves. Ces binômes travaillent sur le même pad, dans un temps différent selon la rotation des groupes d’AP entre deux périodes de vacances. Pour commencer, si la notion a déjà été travaillée, chaque groupe doit relire ce qu’à fait le groupe précédent. Les élèves doivent repérer les copiés-collés (s’il y en a), et améliorer l’article avec ce qu’il ont eux-mêmes trouvés.

A la 6ème séance, je choisis un thème qui me paraît abouti . Le binôme d’élèves présente, à l’oral, son travail au groupe. Un élève lit le texte et le second reporte directement sur le pad les observations du groupe.

Afin de construire ce dictionnaire dans la durée, j’ai crée une rubrique sur l’ENT de l’établissement et j’y reporte les articles quand ils sont validés par le groupe. Voila ce que cela donne.

Si vous souhaitez voir les pads, rendez vous sur la page netvibes du CDI (Aide personnalisée) et regardez le dernier pavé à droite. C’est là qu’est regroupée l’adresse de tous les pads.

Pourquoi avoir choisi des notions numériques ?

Comme précisé plus haut il semble indispensable de faire acquérir un vocabulaire adéquat aux élèves, ainsi que de mettre en place des situations qui leur permettent d’approfondir leurs connaissances des outils numériques utilisés (le plus souvent dans une perspective historique) et de réfléchir aux enjeux liés à cet environnement.

Par ailleurs, les élèves sont enclins à penser qu’ils maîtrisent beaucoup mieux que les adultes tout ce qui relève du numérique. Or s’ils ont des savoirfaire et des compétences empiriques dans ce domaine, ils n’ont pas de perspective historique, ni de réflexion construite sur l’outil. Or c’est là tout l’intérêt de travailler sur la formulation des notions. Le but n’est pas de les dévaloriser, mais de leur faire toucher du doigt qu‘au-delà de l’aspect manipulation de l’outil une approche réfléchie est indispensable. Il me semble là que la compétence ne peut aller sans la connaissance du numérique.

Une approche neutre (définition + développement de cette définition) permet d’aborder des notions telles que les traces numérique, le partage sur Internet…. sans a-priori ni jugement en évitant l’angle « Internet, c’est mal ! ».

Comment se fait l’évaluation ?

L’évaluation est formatrice puisque ce sont les élèves eux-mêmes qui, par leurs observations lors de la présentation orale détermine la pertinence du contenu, permettant ainsi une première validation.

Dans un second temps, l’évaluation se fait de façon formative, lorsque j’interviens lors de la présentation orale en apportant des compléments d’informations ou en reformulant des notions. Enfin, l’article est validé par sa mise en ligne.

Pour aller plus loin

La plupart des articles en cours vont être validés dans un temps proche. Les nouveaux groupe d’AP que je suis travaillent sur les même notions, sous un angle différent. Je leur demande d’illustrer, de rendre signifiantes ces notions sous une forme visuelle qu’ils créent eux-même (infographie, shéma, capture d’écran, photographie, ou dessin manuel). Le but reste le même : prendre un temps pour réfléchir à ce que signifient ces notions et non apporter une définition rapide et approximative.

Transposer la cartographie des sources à l’évaluation de l’information, question de pertinences

Dans la continuité du travail fourni lors de la précédente séance, j’ai pu consacrer le début de l’heure à un retour sur une formulation qui intégrerait les notions de qualité et de crédibilité de l’information. Après un rappel des apports de la semaine passée et un temps de mise en commun, les élèves sont parvenus à ceci :

« L’évaluation de l’information d’un site web peut se faire selon la qualité de l’information (auteur, source, objectif du site…) et sa crédibilité. »

Parce que ce sont des notions qu’ils découvrent, elles sont encore peu consolidées. Il en résulte une formulation « brute » qui à bien des égards mériterait quelques nuances, notamment dans la relation entre la qualité et la crédibilité. On mesure ici toute la difficulté qu’il peut y avoir à stabiliser des savoirs dès lors que les apprentissages ne se font pas sur le temps long.

D’autant qu’il ne s’agissait pas là de l’objectif de ma séance du jour, pour laquelle je souhaitais, comme j’en ai émis l’hypothèse dans cet autre article, envisager d’enseigner la pertinence. J’ai repris, comme annoncé, le principe d’un graphique sur lequel les élèves seraient invités à positionner le ou les sites web consultés selon leur pertience-utilisateur (ci-dessous, axe des ordonnées) et leur pertinence-sujet (axe des abscisses). Je reprends en cela, pour partie (je n’aborde pas ici la pertinence-système) et en la didactisant, la typologie dressée par Brigitte Simonnot et Sylvie Dalbin, dont j’ai pu prendre connaissance dans le livre d’Alexandre Serres, Dans le labyrinthe.

La séquence « Projet historiae » se prête particulièrement bien à un questionnement sur ce qu’est la pertinence, ou plutôt ce que recouvre les « pertinences ». Je donne en effet pour consigne aux élèves de présenter deux thèses contradictoires dans la rédaction d’un article de presse qui porte sur une controverse historique ou paranormale. De fait, ils sont contraints d’introduire une explication en laquelle ils ne croient pas. C’est par exemple le cas avec ce groupe dont le sujet porte sur la « Zone 51 » et dont l’une des explications sur ce qui s’y passe avance l’hypothèse d’une vie extraterrestre. Les élèves sont donc confrontés à ces deux pertinences, la première répondant à un besoin d’information (pertinence-utilisateur) pour répondre à la consigne de travail, la seconde renvoyant, pour les contenus, à la qualité de l’information, variable selon que l’auteur soit impliqué ou non dans l’ufologie. Je précise que cette « confrontation » des pertinences utilisateur et sujet est aussi vrai pour un autre groupe à qui j’ai donné pour sujet l’assassinat de JFK. L’essentiel est de proposer un sujet qui porte une controverse (historique, scientifique,…).

Afin de rendre ma démarche pédagogique plus claire, j’ai décidé de ne conserver, sur le graphe ci-dessous, que la page Wikipédia consacrée à la « Zone 51 » (en orange) et le site d’un ufologue (en noir). J’ai par ailleurs repris le graphe « qualité-crédibilité », à titre de comparaison.

Au sujet des trois références à Wikipédia, un élève s’est servi de l’encyclopédie en ligne alors qu’il ne la trouve ni de qualité, ni pertinente pour répondre au besoin d’information qui était le sien. Au-delà du paradoxe, j’y vois une invitation à mesurer le nombre d’idées reçues qui circulent sur la nature non fiable de cette source. Un deuxième élève semble avoir été prudent en localisant Wikipédia dans une zone assez proche sur les deux graphes. Le dernier atrouver cette source très pertinente, selon qu’elle réponde à son besoin d’information ou au niveau de la valeur de s contenu en terme de qualité de l’information. Dans la mesure où j’ai évoqué, durant cette heure, la neutralité dans le projet éditorial de Wikipédia, je serais tenté d’être d’accord avec cet élève dans son placement. Surtout, je note qu’il a vraisemblablement fait la distinction entre la crédibilité et la pertinence. Ce qui me semble être très prometteur.

Il est en revanche plus compliqué d’analyser les résultats au sujet du site web dont l’auteur est un ufologue. Les élèves lui ont accordé, pour les deux types de pertinence, un positionnement qui leur donne une valeur relativement bonne. Au regard de ce que recouvre ces pertinences, on aurait pu s’attendre à ce qu’en terme de réponse au besoin d’information, selon la consigne de travail, la pertinence-utilisateur soit plus haute. Par contre, la pertinence-sujet, dont la valeur des contenus est caractérisée par la qualité de l’information, aurait pu être plus basse, dans la mesure où un ufologue peut paraître moins crédible. Ce « tassement » des positionnements, dans le graphes sur les pertinences, vers des valeurs moyennes par rapport au graphe « qualité-crédibilité », me semble paradoxal, en particulier si l’on confronte les axes de la crédibilité et de la pertinence-sujet. Il est par ailleurs intéressant en ce qu’il pourrait clarifier ce qui détermine le choix de tel ou tel site par les élève, la pertinence-utilisateur, en ce qu’elle répond à un besoin d’information. Hypothèse qui demande à être confirmée.

Il me semble donc, pour conclure, que la pertinence gagnerait à être enseignée pour ce qu’elle est. Cela permettrait manifestement aux élèves d’opérer leurs choix en conscience lorsqu’ils sélectionnent des ressources utiles au traitement du sujet sur lequel ils travaillent. En la matière, choisir des sujets qui demandent une recherche exhaustive et non pas seulement une réponse simple (« auto-terminative ») est plus riche. C’est un apprentissage de la complexité dans la mise en tension de notions (qualité de l’information, crédibilité, pertinence notamment) spécifiques et complémentaires. Mais il faut pour cela s’affranchir du modèle des étapes de la recherche documentaire, trop simpliste et désormais dépassé dans un contexte où l’incertitude et le doute sont moins un obstacle à l’apprentissage qu’un levier vers les savoirs.

Transposer la cartographie des sources à l’évaluation de l’information, niveau de formulation

Je me propose d’avancer dans ma réflexion pédagogique sur la cartographie des sources adaptée à l’évaluation de l’information. J’avais émis l’hypothèse de formaliser l’évaluation que pouvait faire les élèves d’une source par une représentation graphique où ils positionneraient la page ou le site consulté selon la qualité et la crédibilité des informations récupérées. Ils ont travaillés cette fois sur la Zone 51, toujours dans le cadre de la séquence « projet historiae » dont les objectifs d’apprentissage visent à développer des savoirs en recherche et évaluation de l’information. Pour ce faire je les ai laissé libres dans le choix des sites qu’ils ont consultés. Afin de suivre la concordance avec le graphique ci-dessous, vous pouvez cliquer sur les liens ci-après en noir, en orange, en vert, en bleu, en mauve et en rose.

Je suppose que la concentration des points dans la partie en haut à droite du graphique, où la qualité et la crédibilité est positive, tient du fait que ce sont les élèves qui ont choisi ces sites. On comprend bien qu’ils puissent avoir du mal à se désavouer. A ce titre, je suppose qu’il pourrait être pertinent de proposer ces mêmes sites à un autre groupe classe, sans que cette fois les élèves n’aient eu la possibilité de choisir. Le jugement qu’ils porteraient alors sur la source pourrait être davantage objectif, l’éventualité d’une implication affective due au choix ayant disparue.

En revanche, je note des différences importantes dans cette partie du graphique, selon les sites qui ont été exploités pendant l’activité. C’est en particulier le cas au sujet de la qualité de l’information dont on peut observer des alignements verticaux (en bleu, mauve et rose). De fait, i y a manifestement des points de convergence au sujet de la crédibilité, mais il faudrait pouvoir disposer de statistiques plus importantes en nombre pour tirer des conclusions davantage systématiques.

Je précise que les élèves m’ont confié ne jamais avoir abordés les savoirs relatifs à la fiabilité ou à l’évaluation de l’information. Par ailleurs, j’ai dû modifier les contenus que je pensais apporter aux élèves à la lecture de la justification suivante dans le choix d’un site :

Nous avons confiance en « Wikipédia car c’est un site très connu. Les informations sont parfois très justes, le site reste très populaire pour chercher des informations sur beaucoup de chose. Peu importe le sujet, « Wikipédia » est là.

Cette formulation est remarquable a plus d’un titre, moins au sujet de Wikipédia dont il ne s’agit pas ici de faire un hypothétique procès, que dans la relation ambigüe d’un « peu importe le sujet » avec « les informations sont parfois très justes ». C’est tout un travail de fond qui est ici à mener, dans la durée. J’avoue, cependant, que dans le temps court de la séance, c’est la notion de « popularité » qui a monopolisée mon attention. J’ai pu mesurer la confusion de sens qu’avaient les élèves des notions de popularité, de notoriété et d’autorité. En l’occurrence, dans l’esprit des élèves, un article populaire est un article crédible en lequel on peut avoir confiance. Ce qui n’est pas nécessairement vrai pour l’encyclopédie Wikipédia dont-on peut débattre de la qualité entre autorité ou popularité. En revanche le problème est posé quand les élèves justifient de la qualité de l’article de Le Point, non pas pour la qualité « réputée » de cet hebdomadaire ou en référence au journaliste Guerric Poncet, mais parce qu’il a été partagé 1000 fois sur Facebook et twitté 100 fois sur Twitter.

Je n’ai pas été en mesure de faire travailler les élèves sur une formulation stabilisée pour qualifier l’autorité, ce qui sera fait la semaine prochaine. Je pense pour cela m’appuyer les travaux d’Olivier Le Deuff et sur le concept d’autorité informationnelle d’Evelyne Broudoux. Ce dernier me semble particulièrement intéressant pour aborder les notions d’auteur, de contenu et de support comme « signes d’autorité » tout en y incluant les idées d’influence et de confiance active. Ce qui pourrait donner, à titre d’exemple, pour un niveau de formulation attendu en seconde :

L’autorité est une forme d’influence admise selon la confiance raisonnée que l’on prête à un auteur, en fonction du support et du contenu d’un document.

Mais cela suppose que les notions d’auteur, de support et de document soient déjà stabilisées chez les élèves, ce qui n’est pas ici le cas. A suivre donc la semaine prochaine…, avec par ailleurs une même captation, sous forme de graphique, de la pertinence que ces élèves prêtent aux sites qu’ils ont consultés. Il sera alors temps de comparer les différents graphiques (crédibilité/qualité de l’information et pertinence) afin de voir si des tendances se dégagent à l’analyse.

 

Enseigner la pertinence, piste didactique

Avec pour objectif d’avancer dans la concrétisation d’une progression dans les apprentissages info-documentaires, j’ai envisagé cette séquence de deux heures qui vise à mener, avec les élèves, un questionnement sur ce que recouvre la notion de pertinence. Je la propose à des élèves de seconde, à la suite de la séquence « projet historiae« , davantage centrée sur la définition de critères qui permettent d’évaluer la fiabilité d’une information. Au terme de cette séquence, je concluais en faisant prendre conscience aux élèves que ce qui déterminait leur choix pour retenir tel site ou page web plutôt que tel, ou telle autre dépendait d’abord de la pertinence qu’ils leur accordaient, selon la tâche qui leur était demandée. Dans ce contexte déterminé par un besoin exprimé dans la consigne, l’attention des élèves est portée, sans qu’ils en aient nécessairement conscience, sur la notion de pertinence-utilisateur. Cela peut se faire aux dépens de la pertinence-sujet, qui suppose un questionnement sur la qualité de l’information et le choix des outils dans la résolution d’une tâche rendue plus complexe. L’une des situations pédagogiques permettant d’y parvenir peut, par exemple, passer par la construction de situations-problèmes dont l’objectif est de créer, avec l’obstacle, les conditions de cette complexité.

J’ai pensé qu’il pouvait aussi être intéressant de confronter directement les élèves à cette distinction entre ces deux formes de pertinence, de sorte qu’ils apprennent ce qu’elles recouvrent et qu’ils soient en mesure d’exercer leur jugement en conscience. Pour ce faire, j’ai repensé le projet historiae imaginé par Olivier Le Deuff pour un déroulement dorénavant en trois temps, dans le contexte de l’AP, sur une séquence de 7 heures :

– Phase d’écriture de l’article sur une énigme historique et réflexion sur les critères de fiabilité (4h)

– Restitution orale des élèves et remédiation du professeur documentaliste sur la définition de ces critères (1h30)

– Échanges et remédiation sur la notion de pertinence (1h30).

Je n’insiste pas sur les deux premiers points que j’ai déjà eu l’occasion de présenter. Pour la phase d’échanges et de remédiation au sujet de la pertinence, j’ai repris l’idée d’une représentation graphique. Dans la mesure où tous les groupes d’élève ont travaillé sur le même sujet, j’ai observé que, régulièrement, ils avaient une, voire plusieurs pages web en commun. Je me concentre donc sur celles-ci (3 pages constituant à mon avis un idéal) en demandant aux élèves, cette fois-ci individuellement, de les placer dans un graphe (ci-dessous) où l’abscisse détermine la pertinence qu’ils accordent aux pages selon les éléments que celle-ci leur apporte en réponse à leur besoin d’information. L’axe des ordonnées exprime quant à lui la pertinence selon la qualité de l’information, au regard des critères qui ont été vus précédemment lors de la phase de définition des critères de fiabilité. Je n’ai volontairement mis qu’un repère, à la base de cette représentation graphique, de sorte que les élèves ne concluent pas que le positionnement dans le graphe est strictement mesurable. Il ne s’agit que d’une évaluation. Afin d’éviter les effets de groupe, je demande aux élèves de placer seuls les 3 pages retenues (au besoin celles-ci peuvent être imposées) sur le graphe. Dans l’intervalle des deux séances qui composent cette petite séquence d’une heure et demie, je restitue sur un graphe unique le positionnement des pages, avec une couleur différente pour chacune d’elles.

 La phase de restitution est envisagée à partir de la représentation graphique globale qui doit permettre à chacun de se situer selon la dominante des emplacements des points colorés. L’emplacement de ces pages (exprimées par des points colorés) caractérise la relation qu’ont les élèves à la pertinence selon qu’ils privilégient, s’ils les privilégient, le besoin ou la qualité de l’information. Il est par ailleurs intéressant, à ce niveau, de comparer les deux représentations graphiques (celle fondée sur la relation crédibilité/qualité et celle-ci sur la pertinence utilisateur/sujet). Les divergences qui peuvent apparaître sont autant de question à soulever pour construire ces savoirs info-documentaires. Elles sont aussi la marque de la part de subjectivité qui caractérise l’évaluation, au-delà des critères concrets sur lesquels les élèves peuvent se référer. Si, au niveau des objectifs notionnels, je me limite à la pertinence-utilisateur et à la pertinence-sujet sans évoquer la pertinence-système (qualité de l’indexation), celle-ci doit pouvoir faire l’objet d’une séquence spécifique ultérieure, où soit aussi menée une réflexion sur le choix des outils. Ces deux aspects me semblent devoir être abordés conjointement.

Il me semble, au terme de la présentation de cette séquence, que la dimension métacognitive de cette approche pédagogique doit permettre aux élèves d’appréhender la complexité d’une recherche d’information, au-delà de la simple résolution d’un besoin exprimé par une question élémentaire. C’est en tout cas, pour des élèves de seconde, un apprentissage préparatoire important pour des élèves qui en première, pour les TPE, ne seront plus dans une logique d’exposé, mais de résolution d’une problématique, en grande partie fondée sur le doute et la mise en débat des arguments.

Travail en cours. A suivre ici et ici.

 Variante :

Dans la mesure où il ne serait pas possible d’inclure ce temps dans une séquence de 7 heures, il doit être possible de construire une séquence de 3 heures en faisant travailler les élèves sur une thématique, ou controverse spécifique. Selon le niveau des élèves, ou en fonction du temps qui pourrait être plus court, une sélection de pages web sur lesquelles les élèves travaillent, peut avoir été effectuée en amont par le professeur documentaliste. D’ailleurs, celles-ci peuvent avoir été choisies selon leur faible ou forte pertinence par rapport au sujet général.

Focus sur « ID Base »

Pour reprendre les termes de son auteur, Pascal Duplessis, le « projet ID Base est né de la volonté de contribuer à la didactique de l’information-documentation en mettant en lumière un axe peu sollicité, celui des séquences pédagogiques expérimentées sur le terrain par les professeurs documentalistes ». Avec 40 notices après 3 semaines d’existence, cette démarche prometteuse donne une lisibilité et des perspectives intéressantes pour qui s’interroge sur ce qui se pratique dans les centres de documentation et d’information (CDI) ou, plus simplement, est en quête de matériau pédagogique pour structurer son propre enseignement.

L’interface, très intuitive, fait le lien entre les notions qui sont abordées, le niveaux des élèves et les méthodes pédagogiques suivies, que le professeur documentaliste enseigne seul ou en interdisciplinarité. L’entrée par les « progressions » est particulièrement intéressante. Elle devrait permettre, à terme, de proposer des pistes de séance par niveau, selon la ou les notions info-documentaires qui sont visées. En l’état, c’est par ailleurs une « photographie indicative » qui donne un aperçu des notions qui sont abordées dans la durée (citation, droit d’auteur, évaluation de l’information,…) quand d’autres semblent davantage « orphelines ». Mais il ne s’agit là que d’un premier récolement qui ne demande qu’à être complété.

Outre le travail de collecte des séances, ID Base apporte une plus-value avec la fiche d’analyse qui peut constituer un cadre réflexif et de pratiques commun aux professeurs documentalistes. Cela semble en tout cas pertinent pour la partie plus descriptive de la situation didactique qui se réfère au modèle du triangle didactique (savoir-enseignement-apprentissage). Il est aussi intéressant de s’arrêter sur la matrice des objectifs d’apprentissage qui propose une distinction entre les « savoirs pratiques » (efficacité), les « savoirs théoriques » (intelligibilité) et les « savoirs éthiques » (responsabilité). En cela, ID Base s’adresse aux professeurs documentalistes avec pour projet d’ « alimenter leur réflexion pédagogique et didactique et [de] construire une culture enseignante commune ».

A cet égard, afin d’étoffer ID Base, il est possible d’adresser à Pascal Duplessis (adresse mail en bas de page d’ID Base) des séances qui répondent aux critères exposés dans l’ « A propos ». Je précise, pour terminer, que Cactus acide peut effectivement être un espace de publication pour la mise en ligne de ces séances.

Ecriture numérique et publication (4) : du texte comme « écriture de soi-s »

Dans la continuité des billets que j’ai consacré à l’écriture numérique et à la publication explorées selon le texte comme design puis éditorialisation de soi, je vais me consacrer ici à dégager des pistes pédagogiques à partir du concept d’ « écriture de soi-s ». Si je pense essentiel de donner une dimension théorique à ma pratique professionnelle, c’est en toute humilité que j’entends la questionner sous le prisme de la philosophie foucaldienne. L’on voudra bien, par ailleurs, me pardonner, cas échéant, cette petite espièglerie grammaticale sur laquelle j’entends m’expliquer dans un instant. Je vous renvoie, pour la référence à Foucault, à ce billet de Christian Fauré, inspiré, au moins en partie, de Bernard Stiegler. Je retiens en particulier l’idée d’une écriture numérique qui se trouve à la confluence de l’annotation (mémoire) et de l’extériorisation (publication). Au-delà des hypomnemata qui restent fondamentales, je suis aussi frappé par Sénèque (Lettres à Lucilius – lettre 84) que commente Foucault lorsqu’il écrit que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette recollection de choses dites ». Je trouve à ce propos une résonance tout aussi inattendue que potentiellement féconde au regard des enjeux numériques contemporains. D’où l’ajout de ce « s » à « écriture de soi-s » qui renvoie au subjonctif du verbe être, mode du doute, du souhait et de l’incertitude, vers une forme de re-conciliation des deux acceptions du terme « virtuel » dans ce qui est et peut être.

Reportée à la pédagogie info-documentaire, cette approche du texte comme « écriture de soi-s » est pertinente pour aborder les questions relatives à l’identité numérique. Je ne suppose pas devoir insister sur cette notion tant elle fait désormais l’objet de séquences ou séances pédagogiques. Mais je reste néanmoins davantage attaché à une approche qui privilégie la « présence numérique », potentiellement moins anxiogène en ce qu’elle n’opère pas sa centration sur les dangers ou les risques d’Internet. Pour qui souhaite travailler cette question avec ses élèves je vous renvoie à cet article de Doc pour Docs où vous trouverez de nombreuses références. Ceci étant, je suppose qu’il serait important d’observer et d’analyser d’éventuels changements dans le rapport qu’ont les adolescents à leur intimité. Il ne semble pas improbable de considérer que la généralisation de l’acte de publication, qui est une extériorisation de soi, peut modifier leurs représentations socio-culturelles.

I know that's who you are Licence Creative Commons photo credit : andréa Joseph's illustrations
I know that’s who you are Licence Creative Commons photo credit : andréa Joseph’s illustrations

Pour revenir sur le terme d’incertitude mentionné ci-dessus, je suppose qu’une autre piste pédagogique pourrait concerner la recherche d’information, en particulier la navigation hypertextuelle. Si cette dernière peut sembler davantage tenir d’une pratique de lecture, le parcours de recherche, selon les choix que l’on opère, est aussi une « écriture de soi-s ». Nous nous écrivons selon ce que nous lisons ou ne lisons pas. Que l’on me permette en tout cas de soumettre cet élément de réponse à Anne Cordier lorsqu’elle envisage d’enseigner l’incertitude pour construire une culture de l’information.  Il me semble qu’il y a en la matière beaucoup à faire et c’est par défaut que je vous propose cette unique séquence qui, pour l’avoir expérimentée à plusieurs reprises, est tout à fait concluante. La navigation hypertextuelle, en ce qu’elle formalise le parcours de recherche, exprime la double intention de celui qui a publié et de celui qui navigue. Il me semble en conséquence qu’elle peut être particulièrement pertinente pour que les élèves apprennent à anticiper leurs recherches et plus généralement leur rapport au web et au numérique.

Entropy ≥ Memory . Creativity ² Licence Creative Commons photo credit : jef safi
Entropy ≥ Memory . Creativity ² Licence Creative Commons photo credit : jef safi

Il me semble, pour troisième et dernière piste à explorer, que le texte comme « écriture de soi-s » peut donner lieu à des séquences pédagogiques qui abordent l’écriture collaborative. Il s’agit moins ici de considérer le travail d’écriture que de questionner avec les élèves la notion d’ « auteur » dans le contexte numérique. Ici, l’ « écriture de soi-s » devient une « écriture du nous » qui n’a d’intérêt que si les élèves y sont un temps soit peu préparés. Ce serait, sinon, prendre le risque de voir les uns s’effacer quand les plus actifs ne sont pas nécessairement les plus pertinents. J’ai pris pour habitude, pour l’écriture collaborative, de faire travailler les élèves sur des pads (ici ou ici). Ils présentent l’intérêt de partager une zone de texte et une zone de chat dont les élèves doivent, entre autre, coordonner l’usage pour avancer dans l’écriture. Surtout, l’écriture collaborative suppose des phases de concertation sur lesquels je m’appuie pour questionner les notions d’auteur, d’autorité et d’autoritativité.   Pour quelles raisons le groupe a-t-il choisi la formulation de tel élève plutôt que de tel autre ?  Après réflexion, ces choix leur semblaient-ils toujours bien-fondés ? Je reviens par ailleurs sur ces notions comme prérequis lorsqu’il s’agit d’aborder la notion de publication et ce qu’elle implique en terme d’investissement personnel.

Pour reprendre Foucault commentant Sénèque, je vous propose pour finir de remplacer « collection » par « redocumentarisation » de sorte que « le scripteur constitue sa propre identité à travers cette [redocumentarisation] de choses dites ». Et de bien vouloir considérer là, que ce que sous-tend la notion de publication, constitue, pour nos élèves, un enjeu majeur de leur devenir.

Ecriture numérique et publication (3) : du texte comme « éditorialisation de soi »

Après m’être intéressé à la question du design, je prolonge ici ma réflexion en abordant le concept de « texte » sous l’angle de l’éditorialisation. L’objectif étant de dégager des pistes qui puissent faire l’objet de séquences pédagogiques dans le secondaire. Je vais m’appuyer, pour ce faire, sur la notion d’ « énonciation éditoriale » dont Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret sont à l’origine. L’écrit numérique et la publication, en tant que forme de « pouvoir », sont le fruit d’une inter-détermination entre les conditions apportées par l’objet technique, la forme sémiotique et les pratiques. Rapporté à l’éditorialisation, selon le dispositif de publication, cela veut dire que le « média de l’écriture n’est pas seulement le lieu de passage d’un flot informationnel ; c’est un objet matériel configuré qui cadre, inscrit, situe et, par là même, donne un statut au texte ». L’idée de « configuration » est essentielle en ce qu’elle suppose une autre forme d’intervention sur le texte que l’unique forme créative de l’auteur. Le paramétrage opéré sur le backoffice, selon les plateformes, crée les conditions d’un espace dialogique scriptural qui implique un dispositif normé (gabarit) et l’utilisateur. De même, le statut de ce dernier est en mutation. Je vous renvoie sur ce point, au sujet des CMS, à l’étude de Valérie Jeanne-Perrier pour qui « éditeur et auteur composent ensemble une nouvelle partition dans laquelle chacun emprunte ou dérobe des compétences à l’autre ». J’observe, du reste, dans ma pratique, cette forme de métissage des fonctions qui mêle la création à la responsabilité éditoriale.

Je trouve particulièrement pertinente cette étude comparative des CMS par Valérie Jeanne-Perrier. Elle fournit des indications précieuses sur ce que peut être l’influence sémiotique d’un dispositif sur des formes d’écriture. Je relève en particulier les interrelations entre les dimensions techniques de l’architexte et sociales de la communauté. De fait, je suppose qu’il pourrait être intéressant de commencer à aborder ces questions dès le secondaire avec les élèves. Cela suppose, pour démarrer, que les notions d’auteur et d’éditeur soient assimilées pour ce qu’elles sont, avant d’observer leur hybridation selon les plateformes. Il me semble, par ailleurs, que ces dernières devraient être abordées pour leurs singularités. En l’occurrence, on n’écrit pas de la même façon, ni sans doute la même chose, que l’on publie sur un blog ou sa « timeline », quelle qu’elle soit. En terme d’éditorialisation, la recherche d’un nom pour un site ou le choix d’un avatar peut sans doute donner lieu à des temps de séquence intéressants. Je pense, pour reprendre l’étude de Valérie Jeanne-Perrier, que le choix d’un nom peut donner lieu à un travail sur l’influence de l’indexation. Ce qui peut, par ailleurs, constituer une introduction à l’écriture journalistique dans la perspective d’une éducation aux médias (presse). De même, le choix d’un avatar peut introduire une réflexion sur le contenu supposé d’un site selon le choix qui est fait. Ces temps d’apprentissage, pour humbles qu’ils puissent paraître, me semblent par ailleurs constituer des acquis significatifs, car signifiants, en terme d’évaluation de l’information.

Love letters... Licence Creative Commons photo credit : Houbazure
Love letters… Licence Creative Commons photo credit : Houbazure

A un deuxième niveau, l’écriture numérique, sous l’angle de l’éditorialisation, suppose que les élèves abordent les différentes formes textuelles. Je pense ici en particulier aux potentialités qu’offre l’écriture multimédia et le lien hypertexte. Sur le premier point, qui concerne le recours au texte, à l’image et au son, outre la dimension créative qui peut impliquer professeurs d’arts plastiques et de musique, la question de l’éditorialisation suppose, chez les élèves, l’acquisition de connaissances informatiques relatives aux différents formats. L’objectif étant ici de permettre aux élèves d’anticiper leur besoin selon leur projet d’écriture. Cette question de l’anticipation intervient de même au sujet des liens hypertextes, pour leur dimension éditoriale. Il me semble essentiel que nos élèves aient à l’esprit que le web est un ensemble mouvant et que les pages qu’ils pointent par des hyperliens aujourd’hui peuvent avoir disparues demain. A titre d’exemple, ou de piste pédagogique, je peux mentionner ce séminaire « Ecritures numériques et éditorialisation » qui me semble particulièrement intéressant, sans toutefois savoir si le lien sera toujours actif dans un an ou deux… Il est vrai que si tel ne devait pas être le cas, peut être aurais-je la possibilité de renvoyer vers une autre page (captation vidéo par exemple). Cette question de l’instabilité documentaire me semble en tout cas fondamentale dans le processus d’éditorialisation, du moins pour que nos élèves, lorsqu’ils publient un texte par « temps calme », aient à l’esprit l’avis de tempête…

Love letters Licence Creative Commons photo credit : Houbazure
Love letters Licence Creative Commons photo credit : Houbazure

… Pour terminer par un point essentiel, la question de la responsabilité éditoriale ne saurait être éludée. Anecdote (..?). Cette année un groupe d’élèves a fait le choix d’intégrer une vidéo récupérée sur « Youtube » en appui à leur évaluation orale de TPE. Parce qu’ils travaillaient sur la publicité et que cette vidéo comportait manifestement des logos de marques, elle n’était plus en ligne le jour J, remplacée par un avertissement concernant le respect de la propriété intellectuelle. A leur décharge, ce n’est pas eux qui avaient déposée cette vidéo qu’ils souhaitaient utiliser pour illustrer leur propos. Il n’en reste pas moins qu’ils ont dû improviser et expérimenter à leur dépend une situation très inconfortable. Je suppose que ce type de situation est conduit à se reproduire dans un contexte où publier est devenu un geste à la portée de tous, ce dont il faut sans doute par ailleurs se féliciter. Il me semble qu’en terme d’éditorialisation, la question de la propriété intellectuelle est à aborder tant du point de vue du respect des droits (auteur, image) que du statut des publications selon les termes des conditions générales d’utilisation (CGU) associées à l’inscription sur les plateformes. Je n’ai pas de séquence type à proposer sur ces deux approches. Toutes les situations pédagogiques sont envisageables en la matière. A titre d’exemple je trouve le projet de « copie partie » complet dans la mesure où il fait une place au libre (creative commons) en intégrant la question du partage qui renvoie aussi à un geste d’éditorialisation. J’ai, par ailleurs, repéré ce travail de Richard Peirano au sujet des CGU.

《3D form》 RIGHT STIMULATOR(PROBABLY) Licence Creative Commons photo credit : u-fruit
《3D form》 RIGHT STIMULATOR(PROBABLY) Licence Creative Commons photo credit : u-fruit

 Au terme de cet article, et avant d’aborder l‘écriture de soi, je souhaite citer une nouvelle fois Emmanuël Souchier et Yves Jeanneret qui, en opposition à une conception de l’écriture numérique libérée de toute contrainte rappellent que « toute relation entre sujets usagers des médias informatisés est médiatisée par la relation qu’ils entretiennent aux dispositifs, aux formes textuelles, et par là même aux acteurs qui sont en position de configurer ces objets et ces formes ». L’éditorialisation est d’autant moins neutre que l’écriture numérique résulte de ces interdéterminations. C’est en ayant à l’esprit cet enjeu citoyen que nous nous devons ‘d’y préparer nos élèves.

Ecriture numérique et publication (2) : du texte comme « design de soi »

Comme je l’avais annoncé dans un précédent article, je prolonge ici ma réflexion sur l’écriture numérique et la publication par l’exploration de la notion de « texte » entrevue dans le cadre de séquences pédagogiques. Il me faut, au préalable, préciser le sens que je donne à cette notion qui, dans le contexte de l’écriture numérique et de la publication, prend une nouvelle complexité. J’entends, pour ce faire, emprunter à Roger T Pédauque ses propositions sur ce que recouvre le « texte », ou plutôt la « textualité », dans les conditions du numérique. Les travaux de ce collectif me semblent apporter une grille de lecture particulièrement opérante dans la distinction entre l’ « inter-sémioticité », qui fait du texte un objet multimédia (écrit, image et son), et la « sémiotique multidimensionnelle » qui rappelle que le « texte n’est pas un objet ponctuel, mais un ensemble associant une réalité matérielle (l’objet texte), des formes qui l’organisent (la textualité) et des moyens culturels pour le qualifier (les pratiques interprétatives). Je me suis par ailleurs inspiré de la récente intervention de Divina Frau-Meigs aux journées de l’innovation pour, notamment, faire travailler mon cerveau créatif et imaginer un titre dont l’idée de « design de soi », en fait, … existait déjà. Je l’ai tout de même conservé en vue d’articuler la forme, associée au design, avec deux articles à venir qui porteront l’un sur l’ « éditorialisation de soi », l’autre sur l’ « écriture de soi ». J’apporte d’emblée ces précisions pour préciser que ces trois approches sont en réalité intimement liées et que je ne les aborde séparément que pour, je l’espère, clarifier mon propos.

 Au-delà du sens classique de ce que l’on entend par l’écrit, il me semble tout aussi essentiel d’aborder avec les élèves les dispositifs, formes textuelles et configurations (ou « formes sémiotiques » selon Bruno Bachimont) qui interagissent médiatement. Je suppose primordial, dès la sixième, de replacer l’écriture numérique dans l’histoire des dispositifs d’écriture. Il ne s’agit pas ici de « trancher » un débat entre évolution ou révolution numérique, mais de situer l’écriture dans un rapport entre esthétique et conditions techniques. Et ce quand bien même il nous faut remonter aux peintures rupestres. L’objectif, à terme, est ici de faire comprendre aux élèves que leur « usage » est médiatisé par des conditions technologiques, mais pas seulement, inhérentes aux dispositif qu’ils utilisent. C’est par exemple le cas du mur pour les peintures rupestres ou de l’écran pour l’ordinateur. La question de l’informatique peut ici être abordée, ne serait-ce que de manière théorique, en rappelant que les formes textuelles sont réalisées par celles et ceux qui les configurent (« code is law »). La notion d’architexte est sans doute trop complexe pour pouvoir être abordée dès le secondaire, mais il y a probablement des analogies intéressantes à trouver entre les murs de la caverne et l’ombre projetée par « Facebook » sur le mur des utilisateurs.

teXture - Canvas + Media - Gray & Brown Licence Creative Commons photo credit : photonate.com
teXture – Canvas + Media – Gray & Brown Licence Creative Commons photo credit : photonate.com

De fait, je suppose qu’il serait pertinent que les élèves se familiarisent avec des plateformes et des applications sélectionnées par l’enseignant, mais pas uniquement, pour leurs caractéristiques et leur complémentarité. L’objectif visé pourrait être ici de faire comprendre aux élèves que les technologies ne sont pas neutres. Il me semble, à cette fin, que les conditions pédagogiques de cette prise de conscience pourraient passer, chez les élèves, par l’approche des applications et des plateformes en tant que système, ainsi que par leur expérimentation de sorte qu’ils puissent en mesurer la complexité réelle. En l’occurrence je trouve regrettable que l’on s’interdise d’analyser « Facebook » quand ce modèle pourrait être comparé avec « Diaspora ». De même que je trouve regrettable de ne considérer « Twitter » que pour ses apports pédagogiques en terme d’écriture quand c’est l’ensemble du modèle qui à mon sens devrait être étudié. C’est dans les deux cas, sinon, prendre le risque de mettre en oeuvre les conditions de création d’un public captif.

Pour en venir à des propositions concrètes je vois (au moins) deux pistes à envisager. En terme d’expérimentation je trouve très réussie la séquence proposée par Angèle Stalder sur l’architecture de l’information. Cela me semble très structurant en terme de mise en forme (ou de design), tout en considérant un corpus de notions informatiques, informationnelles et médiatiques. Je trouve particulièrement formateur, pour mon propos, cette idée selon laquelle « les élèves doivent acquérir des connaissances en matière informatique (connaître les propriétés du dispositif technique pour savoir ce qu’il est possible d’en faire) ». Acquérir ces connaissances sous-entend que les élèves, pour avoir eu accès au « backoffice », sont plus intelligents, qu’ils comprennent, lorsqu’ils sont sur des plateformes. Deuxième piste, je suppose pertinent d’aborder les questions de design pour l’intérêt que cela présente en terme d’évaluation de l’information. Faire travailler les élèves sur des plateformes en tant que système, tout en leur donnant la possibilité de les expérimenter concourt à les familiariser avec les critères de qualité de l’information liés à la mise en forme. Hasard des publications sur la « profdocosphère », le travail de Richard Peirano sur l’évaluation d’une source, doit pouvoir constituer la base de scénarios pédagogiques particulièrement riches, tant du point de vue de la comparaison entre différents sites que par le travail d’enquête sur ceux-ci.

transcεndantal phεnomεnon ındεxatıon . . Licence Creative Commons photo credit : jef safi
transcεndantal phεnomεnon ındεxatıon . . Licence Creative Commons photo credit : jef safi

A l’issue de cet article, je suis conscient de la difficulté qu’il peut y avoir à aborder l’écriture numérique et la publication sous l’angle du design en le dissociant de l’éditorialisation, qui fera l’objet de mon prochain article. Une autre approche eut été possible en considérant la notion de « représentation » sur laquelle Roger Chartier, historien du livre, de l’édition et de la lecture, a livré récemment une conférence. Je suppose féconde la transposition de ce que sous-tend cette notion, « donner à voir un objet absent » et « tenir la place de quelqu’un », à l’écriture numérique. A suivre…

 

Transposer la cartographie des sources, le doute levier de progression…

Je me propose ici d’analyser une séquence pédagogique pour laquelle j’ai transposé la cartographie des sources au Projet historiae. Pour ce faire, j’ai travaillé, dans le cadre de l’AP, avec deux groupes de 16 élèves qui ont choisi pour sujet d’article, le « triangle des Bermudes » pour le premier, et « l’énigme du masque de fer » pour le second. Compte tenu du nombre relativement faible d’élèves, je pense me limiter à dégager des tendances qui demanderaient à être approfondies.

La première d’entre elles est une confirmation. J’ai une nouvelle fois pu observer, chez les élèves, une méconnaissance des critères d’évaluation de l’information. Il me semble que l’une des explications pourraient tenir de « mésusages scolaires ». En l’occurrence la réalisation des objectifs disciplinaires se fait aux dépends des objectifs info-documentaires. Ou, pour le dire autrement, l’exigence porte quasi excusivement sur le « trouver » quand le « chercher » est devenu tout aussi essentiel. Afin de palier à cette difficulté, j’ai proposé aux élèves une carte heuristique sur laquelle il se sont appuyés pour cette partie du travail. J’en profite pour remercier Odile Godefroy qui m’a autorisée à reproduire cette carte qu’elle propose, dans l’enseignement agricole, à des élèves de 1ère Bac pro.

Odile Godefroy Validité de l'information site internet
Odile Godefroy Validité de l’information site internet

Dans la mesure où l’essentiel des élèves se sont appuyés sur les mêmes sites, ce qui était l’objectif du choix d’un sujet d’article identique pour tous, le temps d’échange entre et avec les élèves s’est avéré très constructif. Je pars ici du principe que l’étape de verbalisation est un moment essentiel de l’aquisition des savoirs. Il a été aussi pour moi un temps d’évaluation au cours duquel j’ai en particulier noté, chez les élèves, une confusion entre crédibilité d’un site et crédibilité de son contenu. Ce qui est sans doute normal dans la mesure où, depuis le début du secondaire, il est (quasi) exclusivement demandé aux élèves de se concentrer sur la réponse à apporter sans devoir inclure ce travail dans une démarche pensée et comprise.

 La dernière phase de cette séquence s’est révélée, sur ces bases, structurante et déconcertante pour les élèves. L’étape de réflexion sur la crédibilité des sites et pages web qu’ils avaient consultés terminée, je leur ai demandé de placer leurs sources dans un graphe où la qualité de l’information était en abscisse et la crédibilité en ordonnée. J’ai pu observer les désaccords quant à l’emplacement des pages et sites web sur le graphe, certains pouvant se trouver dans des situations opposés selon l’avis des élèves. Pour l’aspect structurant, des cas ont pu être tranchés au regard des critères d’évaluation. Mais d’autres ont dû être laissés en suspend, au regard de la part de subjectivité qui entrait en jeu. De fait certains élèves ont été déconcertés par cette part de doute qui pouvait subsister. Je trouve cela extrêmement positif pour des élèves de seconde qui, en première, dans le cadre des TPE, vont devoir travailler sur une problématique. Je pense, par ailleurs, qu’il serait intéressant de prendre le temps de mettre en oeuvre, selon des modalités à définir, cette séquence en collège et en lycée professionnel.

Anne Cordier, dans un article récent, pose l’éventualité d’enseigner l’incertitude. Au regard de ce que j’ai pu observé lors de cette séquence, cela me semble constituer une perspective à explorer.

[MàJ 28.12.2013] Pour aller plus loin au sujet de cette séquence sur la transposition de la cartographie des sources, voir ces deux billets qui abordent le niveau de formulation et la question de pertinences.