Le projet « raconter une photo de presse » a été proposé par le CRDP de Midi-Pyrénées à l’occasion de la Semaine de la Presse et des Médias 2013.
- Toutes les classes de 4° ont participé avec les professeurs d’histoire-géographie.
- Trois photographies de presse (provenant de la sélection du CRDP de Midi-Pyrénées) ont été choisies en fonction du programme : immigration, guerre .
- Production : un podcast par groupe de 4 (à 5) élèves de moins de 3′. Le « style » est radiophonique, mais sans introduction ni conclusion. L’enregistrement est brut, sans aucun montage ni sons rajoutés.
- La séance avec les fiches-outils .
Rappel du déroulement de la séance (2h)
Partir de ses émotions, de ce que l’on ressent en voyant la photographie, puis décrire la photographie en tant que représentation de la réalité et création artistique . Réfléchir sur le discours du photographe.
Les élèves n’ont pas eu de formation en amont sur la composition d’une photographie journalistique. L’idée était de partir de leurs connaissances de la lecture d’image souvent utilisées pour le cinéma, la peinture, la photographie d’art … pour les faire arriver à prendre conscience que l’image n’a pas qu’un but artistique mais aussi informatif. Avant ce projet, les élèves ont eu une séance sur la une de presse avec leur professeur d’histoire-géographie. Ils ont donc vu comment l’image de presse est utilisée en Une.
Durant la séance de préparation (émotions, lecture et analyse de l’image, rédaction des textes), je passe d’un groupe à l’autre pour les accompagner, les mettre ou les remettre sur la bonne piste et en rassurer certains. En effet, des groupes d’élèves étaient inquiets et s’arrêtaient dans leur réflexion à cause des émotions contradictoires qu’ils ressentaient du fait de la polysémie de l’image. D’autres groupes ne notaient rien car le « rédacteur » n’était pas d’accord avec ce qu’on lui disait, que ce soit pour les émotions ressenties ou l’interprétation de la photographie. Certains élèves considéraient également que leur analyse de l’image était fausse comme s’il s’agissait d’une science exacte comme les mathématiques.
Mes objectifs de départ en terme de compétences en littératie médiatique étaient :
* Savoir lire une photographie de presse (LIRE)
* Savoir décrire une photographie à voix haute (DIRE)
* Savoir dégager d’une photographie le discours du photographe (LIRE)
* Savoir s’exprimer à voix haute dans le but d’informer (DIRE)
Au final, les élèves ont également travaillé des compétences en littératie informationnelle:
* Savoir rédiger un texte descriptif à partir d’une photographie (ÉCRIRE)
* Savoir rédiger un texte informatif à partir de l’interprétation d’une photographie (ÉCRIRE)
* Savoir s’exprimer à voix haute dans le but d’informer en adaptant sa voix selon le type de texte rédigé (informatif, argumentatif ou descriptif) (DIRE)
* Savoir écrire pour l’oral (ÉCRIRE)
J’ai imaginé cette séance à partir de trois idées :
* Regarder une photographie, c’est être à la place du photographe ; c’est voir comme lui, notre œil est le sien derrière l’objectif, nous sommes face à face avec les sujets photographiés qui nous renvoient notre regard à travers l’appareil photo du photographe de presse.
* Réfléchir au discours du photographe, c’est s’imaginer à sa place au moment où il prend la prise de vue (choix du cadrage, de sa composition interne et de ce qu’il laisse hors-champ), au moment où il doit décrire ses choix avec des mots et des émotions, c’est mettre sa propre voix sur la sienne.
* A partir du moment où il y a prise de vue, il y a point de vue. La photographie n’est qu’une représentation de la réalité, elle n’est pas la réalité.
Comment les élèves s’en sont-ils sortis ?
* Savoir nommer ses émotions : l’image polysémique et l’identification inconsciente au(x) sujet(s) photographiés
Mettre un mot exact sur une réaction qui se traduit par un sentiment soudain et passager … c’est difficile. Tout d’abord, des élèves sont déstabilisés à l’idée d’écrire ce qu’ils ressentent en voyant l’image. Certains hésitent car ils disent que ce ne sont pas leurs émotions mais celles imaginées des personnes photographiées. Je les rassure, ils ont raison ! Les émotions surgissent car ils s’identifient à ces personnes et imaginent leurs sentiments au moment de la prise de vue. Dans d’autres groupes, les émotions des élèves sont même contradictoires. Ils hésitent à les écrire car ils ne sont pas d’accord. Je les rassure, c’est normal ! L’image est polysémique. Ce qu’ils ressentent dépend de leur culture, de leurs connaissances du sujet, de leur imaginaire…
* Savoir lire une photographie : le signifiant et le signifié
La partie « réalisation de la photo » (couleur, angle de prise de vue, flou …) ne pose pas de problèmes majeurs aux élèves car l’équipe éducative du collège enseigne la lecture d’images à travers plusieurs projets comme collège au cinéma, un atelier vidéo en 5°… sans parler de l’enseignement en arts plastiques et de l’Histoire des Arts. La lecture d’images est une pratique pédagogique transversale et pluridisciplinaire. Ce projet est intégré dans la progression du professeur d’histoire-géographie. Nous avons donc calé les heures de ce projet à la suite de sa séance sur la Une de presse durant laquelle les élèves ont vu comment l’image est utilisée dans la Une. Je dois juste faire une « piqûre de rappel » sur la plongée et contre-plongée et sur l’effet que cela produit sur la représentation du sujet photographié, et donc l’interprétation de l’image.
Les élèves doivent ensuite aller au-delà de la technique de prise de vue pour accéder à l’interprétation. Certains élèves ont confondu la preuve de ce qu’ils voient et l’intention du photographe au moment de la prise de vue. Dans le tableau 2, je leur demande « pourquoi ce choix ? » à chaque élément constituant la prise de vue. Dans l’exemple d’un plan américain, la réponse a souvent été « parce qu’on ne voit pas les pieds ». En résumé, les élèves confondent le signifiant (ce qu’ils voient, l’image dénotée) et le signifié (l’interprétation, l’image connotée).
A cette étape du travail, ils utilisent la légende qui, par la description du contexte de sa prise de vue, atténue fortement la polysémie de l’image. Ils découvrent et comprennent ce qu’ils voient, qui, quand, où, pourquoi. Il s’agit du contexte de la prise de vue.
* Savoir décrire une photographie : l’image dénotée : « je perçois, je reconnais, je nomme » ( expression provenant de « la petite fabrique de l’image », éditions Magnard, 2003)
Comment choisir les mots exacts et neutres pour décrire une représentation d’une réalité concrète ?
Je leur conseille de se mettre à la place de celui qui écoute. La personne doit pouvoir imaginer l’image : les couleurs, le cadre, le ou les personnages et ce qu’ils font, tous les éléments importants composants la photographie. Les élèves s’appuient sur tout ce qu’ils ont écrit en amont : « la représentation de la réalité » et la première colonne de la « création artistique ». Ils ne doivent pas donner d’éléments redondants à ceux de la légende sous la photographie. Ils ne doivent pas non plus donner d’interprétation (sens connoté). Cette partie doit être distanciée.
* Savoir dégager d’une photographie le discours du photographe : la nécessaire connaissance pour interpréter, l’image connotée
Le photographe de presse est un journaliste. Il retranscrit l’actualité par une image fixe et non par des mots, des sons ou des images animées. Comme tous les journalistiques, il a un point de vue, un discours. Il créé une prise de vue (image dénotée) dans l’intention d’exprimer son opinion, son discours (image connotée) qui peut émouvoir les individus le recevant (identification du spectateur au sujet photographié). Ce qui explique pourquoi demander aux élèves d’écrire leurs premières émotions avant même qu’ils lisent la légende est important. Leur analyse de l’image puis leur réflexion sur le discours du photographe auraient dénaturé leurs émotions, après coup.
La création du discours par les élèves est plus difficile car il s ‘agit d’argumenter le message du photographe. Les élèves sont souvent « courts » en argument : il a voulu choquer, montrer que c’était triste … « oui mais pourquoi ? », « parce que … » et là, l’élève doit se mettre à la place de la personne photographiée, de ce qu’elle vivait ou allait vivre. Le contexte (légende sous la photographie et leurs connaissances) prend alors toute son importance. L’ enseignant en histoire a privilégié des photographies en lien avec son programme sur l’immigration.
Pourtant, les élèves ne mobilisent pas leurs connaissances pour rédiger la partie du discours. Ils cloisonnent. Il faut leur dire de se servir de ce qu’ils savent pour argumenter le discours du photographe. Ce qu’ils savent va les aider à interpréter l’image. En effet, celle-ci est polysémique. La signification que les élèves donnent d’une image dépend de leur culture et de leur connaissances du contexte.
L’interprétation est aussi aidée par les émotions qu’ils ont écrites au tout début de la séance. «joie, espoir, soulagement … ».
– Pourquoi avez-vous ressenti ces émotions ? En vous appuyant sur le cadrage de la photo, les couleurs, la disposition des sujets photographiés, comment expliquez-vous que vous ressentiez ces émotions ?
Et ça débloque la réflexion des élèves.
– Parce qu’il arrive dans un nouveau pays …
– On dirait qu’il prie parce que la photo est prise en contre-plongée et que l’homme regarde vers le haut, on dirait aussi qu’il sourit … derrière sa tête, il y a des nuages …
– Il a la tête dans les nuages
– Et qu’est ce que ça veut dire « la tête dans les nuages » ?
– Il imagine, il rêve, il espère …
Ils se rendent alors compte que leur interprétation de la photographie et donc du discours du photographe répond aux émotions ressenties et écrites au tout début.
* Savoir s’exprimer à voix haute dans le but d’informer
Seule contrainte technique : faire des phrases courtes. Mon objectif n’était pas de réaliser des chroniques avec introduction et conclusion mais de remplacer l’image par des mots.
* voix 1 : l’image polysémique : Mettre des mots sur des émotions et jouer l’émotion de chaque mot . Peu d’élèves jouent les émotions : timidité, réserve, stress … Je leur demande de poser chaque syllabe bien distinctement.
* voix 2 : le sens dénoté : ton neutre et objectif
* voix 3 : le contexte : ton journalistique en accentuant les mots importants et en marquant les fins de phrases. J’avoue que nous avons eu peu de temps pour vraiment travailler le ton journalistique. Je me contente d’une lecture fluide et nuancée.
* voix 4 : le sens connoté = lecture « théâtralisée. » L’élève doit se mettre à la place du photographe. On ne doit pas sentir qu’il lit un texte, ni qu’il joue un rôle.
Les élèves se placent dans l’ordre chronologique de lecture. On fait une seule répétition avant l’enregistrement.
Fin de la séance :
Nous écoutons tous les futurs podcasts dans l’ordre des photographies afin de voter pour les meilleurs podcasts qui seront envoyés au CDDP81.
Bilan ?
Trente minutes de plus et c’était l’idéal.
Les élèves ont tout fait : analyse, écriture puis enregistrement. L’idéal serait de demander aux élèves de dessiner la photo imaginée suite à la description dénotée puis connotée des autres élèves … mais il m’aurait fallu une heure de plus. Je n’ai pas eu le temps de revenir sur l’analyse des images. D’un autre côté, je suis passée voir tous les groupes pour vérifier leur travail et leur donner les clés nécessaires à leur analyse et à leur interprétation.
Je regrette également de ne pas avoir eu le temps d’aborder avec les élèves les différentes identifications auxquelles ils se sont confrontés lors de ces deux séances. En effet, lorsque je la préparais, j’avais l’intuition que les élèves seraient obligés de s’identifier à plusieurs « personnages » émetteurs et récepteurs de l’information communiquée, selon les étapes du travail (regarder et analyser la photo, rédiger un texte, lire à voix haute) et selon les informations à dégager et communiquer (émotions, description de la photographie, discours du photographe). J’ai donc créé, par curiosité, un tableau afin de visualiser toutes ses identifications nécessaires de l’élève.
Tableau 1 : Identification des élèves aux émetteurs et récepteurs du message selon l’information à dégager et à communiquer, et selon les étapes du travail demandé.
Toujours pas curiosité et par déduction du tableau 1, j’ai créé un autre tableau sur la relation qui existe entre le sens des images, le type de texte à rédiger et la lecture à voix haute.
Tableau 2 : Quelles sont les relations entre le sens des images – le type de texte à rédiger – la lecture à voix haute ?
Bien entendu, les termes « dénoté », « connoté », « signifiant », « signifié » n’ont pas été prononcés devant les élèves une seule fois car ce n’était pas l’objectif. Je les utilise uniquement ici car j’analyse la séance.
L’évaluation :
La première évaluation de leur travail a été réalisée par les élèves eux-mêmes. Après écoute, nous leur avons demandé de sélectionner le meilleur podcast pour chacune des photographies. Ces podcasts ont été envoyés au CDDP du Tarn pour être diffusés sur l’audioblog d’Arte Radio.
La deuxième évaluation est effectuée (par moi-même) via le socle commun de connaissances et de compétences : la maîtrise de la langue (lire, écrire et dire), la culture humaniste (mobiliser ses connaissances pour donner du sens à l’actualité, lire une image, être capable de porter un regard critique sur un fait, un document, une œuvre), les compétences sociales et civique (fonctionnement et rôle de différents médias) et l’autonomie et l’initiative (s’intégrer et coopérer dans un projet collectif). Un élève a demandé si c’était noté. Je lui ai répondu que non, l’idée était d’apprendre « quelque chose de nouveau », de travailler différemment d’une séance en histoire … et de se faire plaisir.
Les podcasts sélectionnés par les élèves sont à découvrir sur l’audioblog d’Arte radio.