Ecriture numérique et publication (1) : cadre théorique et prospective

Je me propose, dans cette série d’articles sur l’écriture numérique et la publication, de clore une réflexion engagée sur le document et prolongée par la lecture numérique. J’entends, pour ce faire, aborder cette notion selon la même méthodologie et commencer par préciser le cadre théorique dans lequel je m’inscris, avant d’envisager des pistes d’exploitation pédagogique. Il me faut préciser, d’emblée, que je n’aborderais pas la question du code, non qu’elle manque d’intérêt, mais parce qu’elle me semble devoir être traitée par des spécialistes. Je regretterais de devoir la cantonner à sa spécificité computationnelle, quand cela n’est pas nécessairement le cas, alors que mon approche de l’écriture numérique cherche à s’affranchir de toute prévalence littéraire, en tant que forme sémiotique, ou technique, de l’ordre des usages, voire des ressources numériques. Je suppose davantage pertinent de concevoir le rapport de l’écrit au support, dont l’écriture numérique est le prolongement, sans doute complexifié, d’une relation plus ancienne, afin d’éviter l’aporie conceptuelle qui résulterait nécessairement d’une approche strictement disciplinaire. C’est par ailleurs ce qui ressort de ma lecture du corpus d’articles « Du document numérique au textiel«  sur lequel je vais m’appuyer.

Je trouve particulièrement opérantes les notions de « texte » et de « signe passeur » développées par Yves Jeanneret et Jean Davallon. Cela me semble une réponse structurante pour qualifier la caractéristique dynamique de l’écriture numérique. Il me semble que ces notions, qui constituent une passerelle entre le concept de « document » et celui de « média », viennent articuler les savoirs qui y sont associés dans ce qui pourrait constituer la progression d’un enseignement. Ce qui suppose, tel que définit par Jean-Michel Salaün, que les éléments constitutifs du document, c’est à dire la « perception » (inscription repérable), l’ « intellect » (texte construit) et le « social » (référence partagée appropriable) soit, oserais-je dire, vu, lu et su par nos élèves. Il est fondamental que ce concept soit stabilisé si nous voulons qu’ils dépassent la condition de simples usagers pour concevoir la dimension culturelle de l’écriture-lecture numérique, entre projet de communication et interprétation contextualisée.

ın-bεtwεεn stochastıc powεrs oƒ εntropy . . Licence Creative Commons photo credit Jef Safi \ 'pictosophizing
ın-bεtwεεn stochastıc powεrs oƒ εntropy . . Licence Creative Commons photo credit Jef Safi \ ‘pictosophizing

Cela suppose aussi que soit abordé le concept de « média » dont la distinction entre média support, média type et média source est loin d’être acquise. D’abord parce que l’écriture numérique, médiation sociale, suppose que l’on sache où l’on se situe, mais aussi afin de distinguer les caractéristiques du dispositif « sémio-technologique » que l’on utilise. Ce qui suppose de tenir, à mon sens, auprès des élèves, un discours distancié sur l’évolution, dans le temps, des dispositifs de lecture ainsi que du rapport socialement construit entre auteur et lecteur. Mais encore de bien avoir à l’esprit que l’écrit est un objet de pouvoir qui, au-delà du discours, affère à des conditions techniques, économiques et réglementaires. Ce faisant, je ne crois pas que cette richesse épistémologique puisse donner lieu à une approche disciplinaire cloisonnée, ce qui, je le rappelle, occasionnerait une aporie conceptuelle.

Il me semble, pour terminer, qu’il faut aborder la question de la publication dont le statut, dans le contexte du Web 2.0, est particulier. Il s’agit moins ici de la considérer du point de vue de l’éditorialisation que selon le principe de « rendu public » qui en découle. Pour commencer à observer cette tendance chez les élèves, je partage le questionnement d’Olivier Ertzscheid sur les pratiques à venir des jeunes en matière de « production consommation » d’écrits. Une étude, si elle n’a pas déjà été faite, serait sans doute à mener sur le rapport symbolique que donnent nos élèves à la valeur d’échange sur le web. En l’occurrence, pour avoir pu aborder cette question avec des élèves, certains me disent concevoir avec difficulté les restrictions d’usage qui résultent du droit dans la mesure où il leur semble naturel, de par leurs pratiques, de déposer ou de prendre du texte ou de l’image. Sans doute l’éducation a-t-elle ici un rôle à jouer.

Le cadre théorique posé je vais dorénavant m’employer à envisager des pistes de séquences pédagogiques sur l’écriture numérique. J’envisage pour cela la rédaction de quatre article dont le premier portera sur le texte.

La Semaine de la presse 2013 sur Cactus acide

L’une des particularités de la Semaine de la presse et des médias française étant de conserver deux ans le même thème je reprends dans cet article, en le mettant à jour, celui que j’avais écrit pour la même occasion l’année dernière. Pour avoir vérifié, l’essentiel des liens sont toujours actifs et ont été mis à jour. C’est vrai en tout cas pour les séances pédagogiques que je vous avais proposé, qu’elles portent sur la photographie de presse, les caricatures, les Unes, le journal télévisé ou les reportages. J’avais envisagé de préparer une séance au sujet de l’infographie, sur le modèle de la photographie de presse, mais il me semble que c’est un genre qui suppose des savoirs spécifiques qu’il me faudra prendre le temps de réellement acquérir avant de prétendre opérer une transposition satisfaisante. Je me permets néanmoins de vous soumettre ce billet de Marc Mentre, « Le journalisme visuel, une tendance forte dans les médias« , qui date de 2008. C’est dire si le sujet est moins nouveau qu’il n’y paraît, avec toute les évolutions actuelles possibles vers le « journalisme de données« .

J’ai tout de même quelques sites ressources à vous proposer en nouveauté… Bon, en fait, une fois consulté le Scoop.it de Jacqueline Valladon et la brève de Doc pour Docs, si je veux éviter d’être redondant, il ne me reste guère plus que Surlimage, site très complet, notamment sa rubrique « Sites ressources ». Je souhaite par ailleurs pointer cette séquence « Raconter une photo de presse » qui présente l’originalité d’aborder la thématique « Des images pour informer » par des podcasts.

Pour terminer, anticipons un peu, je me propose de reprendre les deux derniers thèmes de la Semaine de la presse et des médias, « Qui fait l’info ? » et « Des images pour informer« , au regard des avancées de la recherche de l’Université de Tokyo en matière de journalisme automatisé. La création de ce robot-journaliste, qui augure de nouvelles prouesses technologiques, me semble tout autant fascinante qu’elle me laisse perplexe, que l’on se réfère au Sonny d’I-Robot ou au Frankenstein de Mary Shelley. L’acquisition de la faculté de discernement, que l’on se situe du côté de la vérification des sources ou de la photographie, est aujourd’hui un obstacle que je ne suppose pas les chercheurs nippons capables de surmonter. La dimension sensible reste par ailleurs à prendre en compte dans une approche esthétique selon la philosophie de la connaissance. Au-delà d’un journalisme factuel, les reporters, tant pour l’écriture que la photographie, ont sans doute beaucoup à objecter aux compétences actuelles de ce robot-journaliste. Il n’en reste pas moins que ce projet doit pouvoir trouver des applications intéressantes, pour les zones de guerre notamment, en attendant le jour où nous devrons apprendre à évaluer une source à de jeunes… androïdes. Mais il se peut là que je m’égare un peu.

Enseigner l’architecture de l’information permet-il d’appréhender le temps de la convergence de l’Education à l’information, aux TIC et aux Médias?

« La question de la convergence entre les éducations à l’information, aux TIC et aux médias est un front de recherche dynamique et émergent 1». Difficile dans ce contexte mouvant d’intégrer dans nos pratiques professionnelles les premiers résultats des recherches en cours. Une évidence toutefois à prendre en compte, d’ores et déjà, consiste à considérer un nouveau cadre pour nos formations, en délimitant dans nos séances ce qui ressort du champs

  • informatique,

  • Informationnel,

  • et médiatique.

Cela permet de ne pas nier la complexité des notions que nous abordons et de mieux circonscrire le champ de nos actions auprès des élèves.

Encore une fois, ce compte rendu de séquence est un essai modeste de mise en œuvre de ce nouveau paradigme. Work in progress donc…

F. Stalder

Coordonnatrice pédagogique de l’ENT de mon établissement depuis octobre 2012, j’ai pour mission de favoriser le développement des usages pédagogiques numériques via ce dispositif. Lors de sa mise en place j’ai donc proposé à une enseignante en secrétariat de travailler sur l’espace public de l’ENT.

Une secrétaire doit savoir accueillir l’usager d’une organisation et le diriger vers le service dont il a besoin. J’ai souhaité passer par une analogie entre une situation réelle et une situation virtuelle pour enseigner aux élèves la fonction et l’objectif d’une page d’accueil d’un site web en leur proposant d’en constituer l’architecture. Le postulat étant que les mettre en posture de création leur permettrait de mieux comprendre, en situation de recherche d’information, le fonctionnement d’une page d’accueil.

Pour cela j’ai étudié le concept d’architecture de l’information. Concept ancien mais renouvelé avec le web. Il fera d’ailleurs l’objet prochainement d’un numéro de la revue Etudes de communication dont l’appel à communication précise « Par analogie avec l’architecture physique des bâtiments construits dans le monde réel, l’architecture de l’information relève des modes d’organisation spatiale et temporelle de l’information, de la structuration et des interactions des différents contenus et du design informationnel. L’architecture de l’information se présente ainsi comme la structure d’organisation sous-jacente à un système de contenu (textes, images, vidéos…). Si le Web est le cadre principal où elle s’inscrit, l’architecture de l’information peut cependant s’appliquer à tout écosystème informationnel complexe, notamment les dispositifs numériques mobiles tels que les smartphones, les livres électroniques, les jeux vidéos ou les serious games. Plus généralement, cette question de l’architecture de l’information se trouve questionnée dans le champ des humanités numériques2 ».

Depuis septembre 2012 un master, dirigé par Jean Michel Salaün3, lui est consacré à l’ENS de Lyon.

Ce concept permet donc d’aborder la notion de page d’accueil d’un site, en tant qu’organisation des contenus d’informations dans un dispositif technique, dans sa dimension translittératique4. Pour ce faire, les élèves doivent acquérir des connaissances en matière informatique (connaître les propriétés du dispositif technique pour savoir ce qu’il est possible d’en faire), en matière informationnel (connaître et organiser un objet informationnel qui a un but de communication), et en matière médiatique (envisager les contraintes et les possibilités qu’offre ce dispositif médiatique qui supporte le document construit).

Cette séquence a été construite sur un temps long. Je tiens à remercier ma collègue d’enseignement professionnel qui m’a fait confiance et a fait preuve d’un grand enthousiasme à l’égard de ce projet. Chaque séance se déroule en classe entière (18 élèves) et dure 2 heures.

Déroulement de la séquence

Pour l’évaluation finale, j’ai demandé aux élèves de rédiger une synthèse de la séquence avec deux contraintes : écrire à la manière d’un récit d’expérience pour s’approprier davantage les activités et les notions abordées, et utiliser le vocabulaire approprié pour prendre conscience d’un champ de connaissances qu’ils avaient abordé.

A part 3 élèves qui ont fait une synthèse a minima, tous les autres ont rédigé un récit structuré en mentionnant des étapes de travail dans un enchaînement logique, et avec mention des productions intermédiaires : la carte des besoins selon les profils d’utilisateurs, le cahier des charges, l’arborescence du site, le questionnaire de retour d’usage. En voici quelques extraits :

« Depuis novembre 2012 on a commencé la création de l’architecture du site Internet de notre lycée. Cela va permettre d’organiser les contenus pour répondre aux questions des utilisateurs (parents, élèves). Énumérer, catégoriser et structurer ce sont trois choses très importantes qui nous permettront de réussir la construction du site (…) . »

« Nous avons dû traiter le rôle d’une page d’accueil d’un site internet, identifier les différents usagers puis les besoins de ces usagers afin de réfléchir à l’architecture du site », « Nous avons établi une stratégie de communication ».

« Pour réaliser ce projet nous avons fait des groupes afin de repérer les contraintes liées à la création d’un site web. Grâce à ces contraintes nous avons réalisé un cahier des charges », Le cahier des charges constitue la synthèse des contraintes à respecter pour réaliser l’architecture du site. Il comprend : la mission, les contraintes, les conditions de réalisation ».

« Par groupe, on a catégorisé les informations (on les a classé dans des grandes familles) et on a structuré les catégories entre elles dans une arborescence. On a mis en commun les différentes propositions, pour n’en faire qu’une seule, en discutant des différents points de vue », « nous avons fait une proposition d’arborescence du site en hiérarchisant nos rubriques ».

Une proposition de catégorisation des informations d'un groupe d'élèves

Une proposition de catégorisation des informations d’un groupe d’élèves

Voici la proposition d’arborescence des élèves

Et celle décidée en comité de pilotage.

Les élèves ont compris les changements opérés et ont surtout compris qu’il y avait eu là le premier retour usager. Qu’il y en aura d’autres. Et que l’architecture évoluera en fonction des besoins et des nouveaux contenus à organiser.

En guise de conclusion, je voudrais insister sur plusieurs points. Tout comme pour la séquence sur l’infographie, je note : une très grande motivation des élèves qui ont fait preuve d’attention, d’écoute, de curiosité, mais également de créativité. Ensuite, le travail par projet permet d’aborder la complexité d’une notion trop souvent réduite à sa plus simple expression. Or, ces apprentissages se placent dans la complexité de compétences imbriquées. Par ailleurs, la notion de cahier des charges est très importante. Précédemment professeur documentaliste dans un lycée des métiers du bâtiment, j’utilisais cette pratique sociale de référence avec les élèves : en atelier, sur le chantier, le travail est guidé par une feuille de route qui précise les objectifs du travail demandé, le niveau de qualité exigé pour la production finale, les ressources à disposition pour la réaliser (savoirs, outils, etc.). Cadre prescriptif, il permet surtout à l’élève de disposer de tous les éléments pour procéder à une métacognition, indispensable dans une démarche d’apprentissage réflexif. J’aimerais insister aussi sur l’importance du vocabulaire utilisé. Ne pas craindre de nommer les phénomènes, les processus, les techniques. Maîtriser le vocabulaire d’un champ disciplinaire, d’un champ de connaissances, c’est en maîtriser les concepts. Lors de l’évaluation, ce vocabulaire a été restitué de manière appropriée à quelques exceptions près. Lorsque j’ai procédé à l’évaluation finale j’ai voulu conclure par une phrase de Boileau qui me tient à cœur. Au moment de la prononcer j’ai été interrompue par une élève qui voulait la dire car elle l’a connaissait. Ce fut elle qui conclut donc cette séquence « tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément ».

Enfin, je voudrais conclure sur l’urgence d’une culture technique pour les élèves. J’ai pu constater, tout comme pour la séquence sur l’infographie, qu’une culture technique permettrait une maîtrise plus importante d’un environnement informationnel numérique complexe ou l’usager élève n’est plus simple récepteur d’une technologie, mais interagit avec elle .

Dans ce contexte : « La convergence étant d’essence technique, il apparaît opportun que la formation le soit également en recherchant le développement d’une « culture technique ». Le philosophe Gilbert Simondon explique son intérêt : « il est nécessaire que l’objet technique soit connu en lui-même pour que la relation de l’homme à la machine devienne stable et valide : d’où la nécessité d’une culture technique ». C’est aussi une manière de rappeler l’importance de la technique dans la constitution de la pensée et de la culture5 ».

 

1F. Chapron, E. Delamotte et V. Liquète (coord.) « Introduction » In Etudes de Communication, n°38, 2012. Dossier : L’éducation à l’information, aux TIC et aux Médias : le temps de la convergence ?

 

2Appel à communication de la Revue Études de communication n° 41 « L’Architecture de l’information : un concept opératoire ? » http://edc.revues.org/3367 <consulté le 1/03/2013>.

 

3Site du Master Architecture de l’information http://archinfo.ens-lyon.fr/ <consulté le 1/03/2013).

 

4J’ai aussi utilisé ce site pour construire cette séquence http://www.ergolab.net/articles/ergonomie-page-accueil.php <consulté le 1/03/2013>.

 

5O. Le Deuff « Littératies informationnelles, médiatiques et numériques : de la concurrence à la convergence ? » In Etudes de Communication, n°38, 2012, p. 131-147.

Construire une séance pédagogique

 Pour avoir pu échanger ces dernières semaines avec des professeurs documentalistes récemment titularisés, j’ai appris que Cactus acide était notamment suivi par des collègues en recherche de méthodes et de matériaux rapidement exploitables. Je me propose donc ici d’approfondir, dans une dimension, disons plus opératoire, ce premier schéma, extrait d’un précédent article. En particulier, j’entends contextualiser la tâche pédagogique, qui forme ci-dessous la pointe de la flèche, dans le cadre d’une séance pédagogique.

Enseigner, ou l'art d'aimer. Fantaisie didactique

Au préalable, j’aimerais apporter quelques précisions sur les étapes préliminaires à cette formalisation d’une séance ou séquence pédagogique. Je pense essentiel de référer cette construction à une problématique ainsi que de l’inclure, lorsque c’est possible, dans une progression. Ce qui me semble d’autant plus vrai pour les professeurs documentalistes qui, nous le savons bien, sont le plus souvent sollicités ponctuellement. Cette première assise, en ce qu’elle renvoie à des savoirs, participe d’une appropriation épistémologique de l’information-documentation. C’est placer les élèves face à des enjeux auxquels ils peuvent être confrontés, sans nécessairement les comprendre d’emblée, mais qu’il est important pour eux de pouvoir un jour intégrer à leur réflexion. A cette fin, le sens que nous donnons à notre enseignement, de par les multiples interrelations entre savoirs déclaratifs, procéduraux et conditionnels, constitue la lecture que nous donnons du monde aux élèves. Il me semble donc primordial de situer notre action pédagogique dans un contexte, qu’il soit général, de l’ordre des enjeux, ou plus spécifique à l’information-documentation, inclus dans une progression. C’est par ailleurs, plus concrètement, se donner la possibilité pour l’enseignant de dégager des objectifs pédagogiques, atteints ou non selon l’évaluation d’une tâche.

Le précédent paragraphe introduisant la distinction entre objectifs généraux et objectifs spécifiques, je vais plutôt me concentrer sur la notion de tâche et sur ce que recouvre l’évaluation. Par tâche, j’entends l’acquisition d’un savoir qui se fait par le biais d’un matériau, par exemple un document ou le logiciel documentaire du CDI, selon une consigne. Avoir à l’esprit ces trois éléments, à l’usage, me semble être une méthode pertinente pour construire une séance et élaborer un « dispositif pédagogique ». Il me semble par ailleurs important de concevoir une tâche pédagogique en s’efforçant de la considérer tant du point de vue du professeur que de celui de l’élève. L’idée est ici d’anticiper la compréhension et le comportement des élèves, ce qui n’est jamais tout à fait possible, mais doit tout de même permettre d’éviter quelques déconvenues, notamment au sujet de la compréhension de la consigne. En plus de cette visualisation de l’activité, il est par ailleurs important de la décomposer en autant de micro tâches selon le niveau des élèves, ce qui concourt à structurer leur sens de la logique. Ce découpage en tâches successives peut donner lieu à autant d’évaluation formative pour avancer dans la progression de l’activité. Sur ce second point, l’évaluation, je pense important de procéder à une évaluation diagnostique en début de séance afin d’ajuster, cas échéant, les objectifs visés. Ce qui est sans doute particulièrement le cas pour le numérique, entre pratiques « informelles » et « scolaires » des élèves. Ces temps d’échanges avec les élèves sont en outre souvent très instructifs pour les enseignants que nous sommes et qui parfois, il faut bien l’admettre, n’échappent pas à quelques idées reçues. Au sujet de l’évaluation en fin de séance, je trouve constructives les formes d’auto-évaluation qui développent chez l’élève, par un retour sur l’activité, les compétences métacognitives, particulièrement importantes lorsque l’on passe d’une séance à une séquence dans la durée.

Voilà ce qui à mon sens peut constituer des points de repère pour construire une séance pédagogique. Les objectifs apportent le sens que les élèves triturent à convenance dans l’exécution de la tâche. L’enseignant fait signe et donne du sens à l’erreur pour que ce qui convient soit juste. C’est du moins je l’espère ma pratique, pour laquelle je ne conçois aucune prétention, bien conscient que l’enseignement de chacun se construit dans le temps longs des pratiques sans cesse réinventées.

Le memex : travail élève et compte rendu

 Je me propose de publier ici la production élève et le compte rendu de la séquence sur le lien hypertexte, lecture-écriture informationnelle. Une séquence malheureusement tronquée par les aléas des emplois du temps qui m’ont contraints à  repenser pour 3 heures ce que j’avais envisagé pour 5. Suite à la première séance où les élèves avaient un travail d’écriture d’un portrait incluant quelques liens, je leur ai demandé, la deuxième heure, d’écrire un article informatif sur le memex. La troisième heures a été consacrée à la rédaction d’un article commun à partir d’un pad pour lequel ils avaient pour consigne de ne communiquer que par l’intermédiaire du chat. Ce qu’ils ont fait avec sérieux.

Je trouve intéressante leur stratégie de travail. Ils ont fait le choix d’importer leurs textes, dans lesquels ils sont aller ensuite puiser des contenus pour leur production finale. Il est sans doute important de préciser ici qu’il s’agissait d’un groupe  d’élèves dont le niveau semble homogène. Il serait sans doute pertinent de reproduire ce contexte de travail pour un groupe hétérogène afin de voir si la stratégie serait la même. Quoi qu’il en soi, pour le peu de temps que j’ai pu consacrer à cette séquence, je trouve le résultat, ci-dessous, très encourageant :

« Le memex est un ordinateur analogique fictif, imaginé par le scientifique Vannevar Bush. Il est le précurseur des premiers ordinateurs personnels qui seront développés à partir des années 1970. Il fut décrit pour la première fois dans un article paru en 1945, intitulé « As we may think ». Le nom est la contraction du mot anglais « memory extender » qui signifie « gonfleur de mémoire ». Le memex ne ressemble pas à un ordinateur d’aujourd’hui, il est conçu à partir de plusieurs appareils électroniques ( caméra …). La machine est une combinaison d’éléments électromécaniques, de caméras et de microfilms, intégré dans un bureau. A l’époque, il était très lent, c’est un système qui préfigure les liens hypertextes. »

Cependant, je note, au sujet des hyperliens, que la tendance que j’avais observé lors de la première séance, le choix d’images et de pages de « Wikipédia », se confirme. Sur ce texte qui comporte 4 liens, 3 renvoient vers « Wikipédia » et un vers une image. Il est vrai que, par manque de temps, nous n’avons pas pu travailler comme je le souhaitais sur le choix des liens hypertextes. Ce qui semble aussi pouvoir traduire ce que sont les pratiques spontanées de nos élèves. L’examen mériterait d’être approfondi.

Quoi qu’il en soit je suppose tout à fait pertinent ce travail de lecture-écriture hypertextuelle. C’est de toute évidence une situation pédagogique qui conduit nos élèves à réfléchir sur le sens de leurs pratiques avant de leur proposer d’en construire de nouvelles. En cela, le lien hypertexte est manifestement un objet « translittératique » à explorer, en ce qu’il permet une re-lecture et une ré-écriture fondées sur une distanciation-appropriation, chez l’élève, entre le texte et le dispositif technique.

Le lien hypertexte, lecture-écriture documentaire

Je me propose dans cet article de prolonger le précédent où, à la lecture d’un texte d’Alain Giffard, il me semblait opportun d’envisager la navigation hypertextuelle sous l’angle d’une lecture-écriture documentaire. Ne serait-ce que parce que cette dernière participe de la lecture-écriture informationnelle. Un déplacement de focal, en somme, où ma réflexion va se porter de l’information vers le document, le lien hypertexte restant l’entrée principale. J’en reviens pour ce faire au dictionnaire des concepts info-documentaires qui propose une distinction entre dimension matérielle, structurelle et matérielle qui simplifie l’approche didactique et pédagogique. L’hypertexte, me semble t-il, se retrouve ici à la croisée des lecture-écriture, que l’on aborde la notion d’auteur pour la dimension intellectuelle, celle du discours (ou « forme sémiotique » selon Bruno Bachimont) pour la dimension structurelle, et enfin la notion de support pour la dimension matérielle. Je précise me référer à cette typologie dans un but de clarification mais, en réalité, les interrelations de ces trois dimensions sont plus complexes. Que l’on garde à l’esprit par exemple le concept d’architexte. Les métadonnées, aussi, mériteraient d’être abordées pour elle même.

Si l’unité documentaire d’un texte est identifiable par son URL, les liens hypertextes participent d’une nouvelle forme d’énonciation éditoriale caractérisée par « le caractère labile de l’écrit d’écran et des écrits de réseaux » (Emmanuel Souchier). Nouvelle forme d’énonciation qui suppose l’acquisition de savoirs qui fassent signes, que l’on soit en situation de lecture ou d’écriture. Considéré du point de vue de l’auteur cela suppose que nos élèves soient en mesure de distinguer les différentes fonctions du discours, mais encore de situer les auteurs dans leur navigation hypertextuelle, qu’ils cheminent à partir du texte original ou dans les péritextes . En particulier lorsque les commentaires impliquent de nouveaux auteurs. La dimension intellectuelle rejoint ici la dimension structurelle du document avec pour impératif de permettre à l’élève de se situer dans le discours et dans la page web, qu’il soit lecteur ou lui-même en situation de publication. Je suppose ici pertinent d’aborder avec les élèves les contraintes spécifiques à l’écriture des hyperliens, appelés parfois « liens qualifiés » lorsqu’ils prolongent le raisonnement de l’auteur hors du document original. De même qu’il apparait plus qu’urgent d’aborder les différents supports, tant d’un point de vue documentaire que technique, ainsi que les conditions réglementaires d’utilisation qui leurs sont associées selon les contextes.

Ricochet Licence Creative Commons photo credit : Rev.Dr.Seb
Ricochet Licence Creative Commons photo credit : Rev.Dr.Seb

Je ne suppose pas être en mesure de proposer de séquence pédagogique type qui réponde à ces objectifs. Ce serait l’envisager sur un volume horaire dont nous ne disposons pas. Par ailleurs, nous savons bien que pour être efficace un enseignement doit s’inscrire dans le durée. De même que les savoirs abordés doivent l’être de manière fragmentée et progressive afin d’éviter les surcharges cognitives et faire sens dans la continuité. Pourtant les enjeux, éducatifs et sociocognitifs, sont importants ;du moins si l’on veut bien dépasser les seuls outils et entrevoir dans le numérique de nouvelles grammaires, potentielles, qu’il ne nous faudrait pas, enseignants, négliger. En conséquence, je suppose au moins salutaire d’aborder les notions d’auteur, de « discours » et de support afin de permettre à  nos élèves de conceptualiser, a minima, l’environnement médiatique dans lequel ils évoluent. Je pense par ailleurs important de s’approprier le concept de « média », à la convergence des lecture-écriture documentaires et informationnelles, et d’en faire l’objet propre de situations d’enseignement-apprentissage. J’entrevois ici une série d’articles à venir…

thε allεgory oƒ Camεra▲Obscura Licence Creative Commons photo credit : jef safi \ pictosophizing
thε allεgory oƒ Camεra▲Obscura Licence Creative Commons photo credit : jef safi \ pictosophizing

Pour terminer, je vous invite à prendre le temps de lire l’allégorie qui se cache derrière l’image ci-dessus…, un lien hypertexte inattendu, mais très instructif.

Le lien hypertexte, lecture-écriture informationnelle

Pour avoir évoqué dernièrement l‘éventualité d’une séance dont les savoirs abordés et les objectifs visés porteraient sur les liens hypertextes, je suis en train de mener ce travail avec des élèves de seconde dans le cadre de l’AP. Hasard du calendrier, j’ai constaté avec étonnement que les élèves qui ont choisi de rendre leur TPE sous forme de site internet n’y ont pas mis de liens hypertextes. Sur les huit productions rendues sous cette forme, je n’ai trouvé qu’une adresse URL, ce qui ne constitue pas à proprement parlé un hyperlien. Par ailleurs, j’ai récupéré un groupe d’AP seconde après un changement dans les emplois du temps. J’ai donc décidé de travailler avec ces dix élèves, que j’ai réparti en groupe de 2. Originellement, nous aurions dû mener cette activité sur une séquence de quatre séances qui vont finalement être réduites à trois (aléas des EdT…).

La première séance s’est déroulée sous la forme d’une évaluation diagnostique. Je suis resté sommaire sur les objectifs de l’activité tout en demandant aux élèves s’ils avaient pour habitudes d’explorer les liens hypertextes. Ce à quoi ils m’ont répondu par l’affirmative. Je leur est donc proposé de réaliser un portrait, d’une personne réelle ou fictive, de quelques lignes en y incluant 5 ou 6 hyperliens. Une nouvelle fois je n’ai pas voulu être trop explicite sur la qualité des liens hypertextes pour éviter de les influencer.  D’un point de vue pratique, je leur ai ouvert un compte rédacteur sur Cactus acide. A la lecture de leur production j’ai été surpris de constater que sur 30 liens hypertextes, 16 renvoyaient vers une images et 8 vers des pages de « Wikipédia », soit 26 occurrences sur 30. Bien que le résultat soit marqué, je ne crois pas devoir en tirer de conclusions trop définitives. Il me semble hâtif de conclure que l’image et « Wikipédia » forment une culture de référence des jeunes, ou des élèves. D’abord parce que  ces résultats ne sont pas exhaustifs. Ensuite, comme me l’a souligné Pascal Duplessis, parce que la simple évocation d’un « portrait » peut avoir suffit à orienter leurs choix vers des images et des pages « Wikipédia » présentant la biographie de la personne choisie. En revanche, cette évaluation diagnostique m’a permis de dégager des objectifs pour répondre aux enjeux éducatifs posés par la navigation hypertextuelle et donc, ce faisant, d’ajuster ma séquence.

My navigation stamps Licence Creative Commons photo credit : Aniol
My navigation stamps Licence Creative Commons photo credit : Aniol

Je vais pouvoir, au début de la prochaine séance, évoquer leurs choix avec les élèves, en insistant sur l’unicité des liens hypertextes choisis, de sorte que nous allons pouvoir entamer une typologie d’hyperliens tant du point de vue des supports documentaires (page web, image, son,…) que de l’objectif discursif (informer, argumenter, convaincre,…). Sur ces bases, je leur demanderai d’écrire un article sur Vannevar Bush, ou le Memex, qui préfigure l’hypertexte. L’objectif est ici d’apporter des savoirs déclaratifs (savoirs) sur la notion d’hypertexte, qui est aussi abordé en qualité de savoir procédural (savoir-faire), puisque les élèves auront appris à intégrer un lien hypertexte. Pour compléter le triptyque, j’entends faire acquérir aux élèves des savoirs conditionnels (savoir-être) en leur demandant une écriture collaborative de l’article. Par ailleurs, ce qui constitue un objectif majeur, j’attends des élèves qu’ils s’efforcent de choisir les liens en considérant leur projet d’écriture, mais aussi les attentes de leurs lecteurs potentiels. L’objectif est ici de venir compléter la typologie débutée au début de la seconde séance. Du moins au sujet des supports documentaires pour lesquels un élément de consigne peut être d’éviter les redondances. En ce qui concerne l’objectif discursif, pour des élèves de seconde (de troisième en collège), et compte tenu du projet d’écriture, je pense préférable d’insister sur l’apport informatif des hyperliens choisis. Ce qui peut être un bon moyen d’aborder la notion de pertinence avec les élèves puisque leur choix doit être guidé par leur propre recherche, mais encore pouvoir répondre aux recherches de leurs lecteurs. A ce niveau, au sujet de l’évaluation, la publication de cet article peut donner lieu à une observation des statistiques de consultation des liens qui auront été suivis par les lecteurs. Par ailleurs, à moyen terme, ces élèves peuvent, selon leur orientation, être suivis lors de leur TPE afin de voir lesquels ajoutent des liens hypertextes pour ceux qui choisissent une production sur un site internet. Notons, enfin, qu’après avoir insisté sur le caractère informatif des liens en seconde, le caractère argumentatif peut être abordé dans le cadre des TPE, puisque c’est là l’une des caractéristiques de la problématique [1].

Imagining links Licence Creative Commons photo credit : Will Lion
Imagining links Licence Creative Commons photo credit : Will Lion

En complément, pour préparer cette séquence, je vous soumets ce texte d’Alain Giffard, en particulier les passages sur la pré-lecture (praelectio), où il distingue navigation et lecture numérique, ainsi que celui sur les différents types de surcharge, opératoire, cognitive et informationnelle qui peuvent  générer des déficits d’attention chez le lecteur. L’évocation de ces surcharges porte en elle l’idée d’une nécessaire progression dans l’acquisition des savoirs. Nous trouvons là tout ce qui fait, ou devrait faire, la spécificité du professeur documentaliste au regard de la culture informationnelle en ce qu’elle engage aussi, et surtout, notre responsabilité. C’est par ailleurs, en termes clairs, une délimitation de ce qui peut constituer les objectifs propres d’un professeur de lettre et d’un professeur documentaliste au regard d’objets distincts et complémentaires. Il me semble, par ailleurs, que cette séquence où le lien hypertexte est envisagé sous l’angle de la recherche d’information, peut aussi être envisagé sous l’angle d’une lecture-écriture documentaire. J’y reviendrai.

[MàJ 19.02.2013 : Pour un compte rendu de cette séquence.]

[1] Je pense que les différents objectifs discursifs peuvent, au sujet des liens hypertextes, être abordés dès le collège, comme cela se pratique déjà, notamment pour la cartographie des sources.

Appréhender la lecture numérique (4) : littératie-s

 J’entends m’inspirer, en toute humilité, afin de conclure cette série d’articles sur la lecture numérique, de la présentation d’Alan Liu parue dans les dossiers de l’Ina. Les « reconfigurations » envisagées me semble absolument pertinentes pour aborder le changement de paradigme qui s’opère par le passage au numérique. Son approche me semble par ailleurs tout à fait honnête et perspicace lorsqu’il s’agit de donner à voir l’ampleur des mutations en cours, tout en précisant l’étendue du travail de recherche à mener. Que l’on considère les médias, la matérialité, les sens, la société, la cognition, la forme et l’échelle ou encore la valeur de la lecture, l’énonciation de ces reconfigurations laisse entrevoir la pluralité des littératies convoquées dans l’acte de lecture. De fait, les enjeux scolaires et éducatifs immédiatement identifiables servent des enjeux « civilisationnels » qui supposent l’alphabétisation numérique des élèves. Je vous renvoie sur ce point à deux textes, déjà cités, de Pierre Fastrez et Alexandre Serres.

Afin d’apporter, peut-être, des éléments qui contribuent à mettre en œuvre ce qui constitue à mon sens un projet éducatif essentiel, je me propose de compléter et d’étendre le schéma conceptuel sur la notion de document aborder par le mind mapping. Après tout, si l’on veut bien associer l’information-documentation au Big Bang de la lecture en ligne, il apparait normal que les savoirs qui s’y réfèrent soient en expansion.

 

 Afin d’en préserver la lisibilité j’ai moins développé la partie supérieure de ce schéma. J’ai en effet déjà réalisé ce travail pour la partie qui concerne la validation de l’information. Quant à ce qui concerne l’architexte, même si je l’ai davantage développé dans le schéma sur le mind mapping, j’avoue ne pas toujours être très à l’aise avec ce concept. J’ai par ailleurs réalisé un second schéma pour lequel je n’ai conservé que les points nodaux, auxquels j’ai ajouté l’écriture numérique et la publication, qui feront l’objet d’une série prochaine d’articles.

Pour intéressant que soit la réalisation de ces schémas, en ce qu’ils font apparaître des relations entre les notions info-documentaires et les compétences vers lesquelles elles renvoient, il y manque une perspective qui donne à voir les progressions qui peuvent être pensées pour l’ensemble de l’enseignement secondaire. Il me semble par ailleurs qu’il faudrait les représenter en 3D afin de matérialiser des corrélations difficilement identifiables sur surfaces planes. Ceci étant, compte tenu des enjeux qui résultent de la lecture numérique, et plus généralement de l’environnement numérique, c’est de toute évidence un travail qu’il est essentiel de prolonger et de compléter selon que l’on stabilise les concepts.

Ecriture et lecture numérique : trait d’union

Alors que je termine une série d’articles sur la lecture numérique et avant que j’en entame prochainement une nouvelle sur l’écriture numérique et la publication, je souhaite prendre un moment sous forme de transition pour évoquer le web qui s’écrit et se donne à lire. J’ai participé, ce 10 janvier, à une journée de formation-action organisée par le CRL des Pays de la Loire sur le thème [lire+écrire] numérique. L’occasion de prendre de la distance par rapport à mes pratiques professionnelles quotidiennes pour y apporter de nouvelles perspectives.

Pour être un lecteur assidu d’Affordance.info, j’ai retrouvé dans l’intervention d’Olivier Ertzscheid des problématiques auxquelles je suis d’autant plus familiarisé qu’elles forment des enjeux qui, à mon sens, pourraient être abordées avec les élèves. En particulier, les questions d’indexation, de redocumentation de l’individu et des big data qui, placées sous l’angle des algorithmes prédictifs, sont à mettre en relation avec les notions d’identité et de présence numérique. Par ailleurs, tout aussi primordial, Olivier Ertzscheid envisage un changement de paradigme dans le rapport qu’entretiennent les jeunes avec le web, fondé sur une nouvelle relation aux modèles de la publication et du partage. Pour l’anecdote, mais ce témoignage ne saurait avoir l’exhaustivité d’une étude rigoureuse, mes élèves de lycée sont surpris de ne pas pouvoir reprendre en l’état ce qu’ils trouvent sur le web, puisqu’il leur semble normal de partager, eux-mêmes, ce qu’ils publient. Je vous invite par ailleurs à écouter la vidéo de Marguerite Duras, stupéfiante !

 

big-data_conew1 Licence Creative Commons photo credit : luckey_sun
big-data_conew1 Licence Creative Commons photo credit : luckey_sun 

 

J’ai découvert Laurent Neyssensas dont je ne connaissais pas les travaux. Son intervention, sous la forme d’un parcours de vie, était articulée selon ses projets artistiques et son questionnement sur la place des technologies dans notre quotidien. Cette approche, davantage poétique, a ouvert un champ que je n’avais jusqu’alors que peu envisagé : le web comme sujet-objet d’art. Il me semble qu’il pourrait y avoir là une base opportune pour développer des projets de séquences pédagogiques. Du moins, puisque le web est d’abord un média visuel, cet aspect doit pouvoir être abordé avec les élèves. Par ailleurs, Laurent Neyssensas, tout comme Olivier Ertzscheid, a un questionnement fécond sur la gestion des données, ce qui peut donner matière pour conjuguer approche artistique et enjeux socio-politiques dans la formalisation de projets interdisciplinaires.

 

404 error Licence Creative Commons photo credit : konungas
404 error Licence Creative Commons photo credit : konungas 

 

Dans le prolongement de cette première journée, une seconde va donner lieu à une copie partie à laquelle j’espère pouvoir assister. Assister à une intervention de Lionel Maurel est une écriture-lecture du web qui me semble valoir le déplacement. Dans le même ordre d’idée, il me semble pertinent de rappeler les débats en cours au sujet de la numérisation programmée d’une partie du fonds de la BNF. C’est là aussi une écriture-lecture du web sur laquelle, professeurs, nous nous devons d’être vigilants. D’abord parce que ces fonds numérisés peuvent constituer notre outil de travail, ce qui suppose de pouvoir y avoir accès. Mais aussi parce que plus largement, sous-jacente, peut se poser la question du modèle des ressources pédagogiques, ainsi que celui de la consultation et de la diffusion de documents dans un contexte pédagogique. Notons sur ce second point que l’élargissement du domaine de l’exception pédagogique constitue une bonne nouvelle. Il reste qu’au sujet de ce qui relève des accords sur la numérisation du fonds de la BNF le modèle d‘exclusivité concédée, en ce qu’il génère des « enclosures », doit être sur-veillé.

Le web se donne à lire donc, ce qui suppose, au delà de tout positionnement idéologique, que nous abordions avec les élèves les enjeux sociocognitifs et politiques qui en découlent. Il en va de leur capacité à prendre du recul par rapport aux technologies de l’information et de la communication et à écrire le web en citoyens avertis.

Appréhender la lecture numérique (3) : mémoire et annotation

Dans le prolongement de l’article précédent sur la navigation hypertextuelle, je me propose d’aborder la lecture numérique sous l’angle de la mémoire des parcours de lecture, ou de recherche, et des formes d’annotation. Il m’a semblé que ces deux points étaient interdépendants, de sorte que je ne suppose pas pouvoir les traiter séparément. En conséquence, par souci de clarté, je pense reprendre pour fil conducteur le concept d’environnement informationnel, que je trouve particulièrement structurant pour les élèves. En plus des travaux de Pierre Fastrez, déjà mentionnés, je vous invite, sur ce qui suit, à lire Du tag au Like d’Olivier Le Deuff, dont vous pouvez avoir un avant goût avec ce chapitre bonus en ligne.

Entre mémoire de lecture et pratiques d’annotations, il me semble essentiel, dès les premières années du collège, d’aborder avec les élèves la notion de classification. Il s’agit d’ailleurs là, à ma connaissance, d’un enseignement largement répandu dès la sixième, l’objectif étant de permettre aux élèves de se repérer dans les rayonnages du CDI. Pour aller au delà, ce qui se pratique déjà souvent, il est tout aussi important d’insister sur la notion d’ensemble pour classer des « objets » ou des « thèmes », ce qui constitue un préalable pour se situer dans un parcours de lecture. L’idée étant ici de commencer à donner des repères conceptuels aux élèves de sorte qu’ils apprennent à concevoir leur itinéraire en « bloc sémiotique ». La question du sens est à mon avis centrale en ce qu’elle détermine culturellement une représentation. Je suppose d’ailleurs qu’il pourrait être pertinent, en 4ème-3ème, de différencier avec les élèves, dans une approche historique et culturelle, les grandes classifications (Dewey ou CDU, BBK et Ranganathan par exemple). Il va de soi que ce travail ne peut s’effectuer que dans la durée, sur des sujets connus par les élèves, le but étant de leur faire prendre conscience de la part de subjectivité inhérente aux taxonomies. Dans le prolongement du collège, il doit pouvoir être imaginé de faire travailler les élèves sur la notion d’ontologie, dans le cadre d’activités type ECJS ou TPE. Ce serait en tout cas là leur garantir une forme d’indépendance dans le jugement qui va de pair avec l’acquisition de compétences pour attribuer des mots clés ou taguer des ressources.

 

Text(ures) I Licence Creative Commons photo credit : leduc divad
Text(ures) I Licence Creative Commons photo credit : leduc divad 

 

Je développerai moins ce second point pour le collège dans la mesure où le travail sur les mots clés fait l’objet de nombreuses séquences préparatoires à l’utilisation du logiciel de recherche documentaire ou à la navigation sur le Web. Peut-être simplement rappeler ces deux écueils que sont la polysémie et l’homographie sur lesquels il faut insister. En revanche, pour le lycée, et peut-être même dès la fin du collège en envisageant la liaison 3ème-2nde, il serait sans doute pertinent d’aborder avec les élèves la pratique du taguage, qui constitue une marque et une trace, que l’on se place, selon la distinction de Thomas Vander Wal, dans une folksonomie « étroite » (personnelle) ou générale (collective). L’ouvrage Du tag au Like d’Olivier Le Deuff est, sur ce point, tout à fait pertinent dans une perspective pédagogique. L’auteur y aborde les avantages et contraintes de ces deux formes de folksonomie, ce qui peut donner lieu à l’élaboration de séquences avec les élèves. Il propose en particulier une typologie des tagueurs et de leur motivations (initié, gentleman, info-pollueur, conservateur, guide et petit contributeur) qui constitue une base adéquate pour aborder les intérêts et les dérives des folksonomies. Olivier Le Deuff propose, par ailleurs, une série de conseils et de règles qui peuvent constituer une « écologie du taguage » sur laquelle s’appuyer, en particulier lorsque l’on se place dans une situation de contributeur. J’imagine ici qu’il pourrait être intéressant de faire travailler des élèves sur une lecture numérique collaborative. Seul, ou en groupe restreint, il leur serait demandé d’annoter et de taguer un même document avec pour consigne d’en clarifier la lecture pour l’ensemble des élèves. Ce qui peut donner lieu, par ailleurs, à un temps de réflexion sur les différents types d’annotation qui peuvent être, ou qui ont été envisagés.

 

¿ʞuıן ƃuıʞuı ɹo ʞuı ƃuıʞuıן? . . Licence Creative Commons photo credit : Jef Safi
¿ʞuıן ƃuıʞuı ɹo ʞuı ƃuıʞuıן? . . Licence Creative Commons photo credit : Jef Safi 

 


Il est sans doute important, en complément matériel pour construire une telle séance, d’envisager les applications ou logiciels qui peuvent être utilisées. Ce qui me pose problème. D’abord parce que chacun à ses habitudes, ce qui ne doit pas être une contrainte pour en changer. Ensuite parce que je ne suis pas compétent pour conseiller plutôt, par exemple, « Evernote » ou « Diigo », que l’on privilégie l’interopérabilité ou l’homogénéité du réseau. L’idée, au regard de la technologie, est plutôt de rendre l’élève « majeur », au sens de Simondon, dans son rapport à la technique. A cet fin, le choix ponctuel des outils importe moins que l’acculturation émancipatrice des élèves qui passe davantage par la capacité à anticiper des dysfonctionnements et donc à envisager des alternatives. Il s’agit moins de considérer l’outil pour son fonctionnement que d’appréhender sa fonction dans un système, ici un environnement informationnel. En conséquence, au delà de l’aspect pratique pour lequel je ne me suppose pas en mesure de faire des suggestions, il me semble qu’il faut aborder trois enjeux, de l’ordre de la mémoire, avec les élèves. Il est tout d’abord important que nos élèves aient à l’esprit que leur plateforme préférée peut un jour disparaitre. Je vous renvoie sur ce point à l’article de Olivier Ertzscheid au sujet de YouTube. Ce qui suppose, cas échéant, qu’ils aient une mémoire de sauvegarde de leurs données. Il est par ailleurs important qu’ils soient confrontés à la notion d’instabilité documentaire. Ce qui suppose qu’ils soient conscients que d’une consultation à une autre le contenu d’un document peut avoir évolué selon les mises à jour. Cas de figure pour lequel il peut leur être proposé la stratégie du double lien ou, du moins, qu’ils aient connaissances, en sortant du lycée, de l’existence des archives d’Internet. Pour terminer, je suppose qu’il pourrait être important d’évoquer avec les élèves l’aspect formel des sites web. Le template d’un site, son design, constituent vraisemblablement des éléments qui entrent en compte dans le choix et la mémorisation des parcours et des traces de lecture par les élèves. Mais je sais, sur ce point, la recherche en cours…

Il me semble, au terme de cet article, que si la surabondance d’informations suppose que des savoirs soient enseignés aux élèves pour qu’ils structurent leur navigation, il doit en être de même, dans le contexte de la lecture numérique, au niveau de leurs pratiques de mémorisation et d’annotation. Une réponse peut être de leur permettre de concrétiser un environnement informationnel pour lequel ils apprennent à catégoriser les contenus, seuls ou en collaboration, en concevant des alternatives qui anticipent des dysfonctionnements.